L’angle mort de penseurs du Nord sur le Sud

Castoriadis [1], Baudrillard [2], North [3] et al.

Trois penseurs du Nord ont renouvelé, chacun à sa façon, la compréhension de la marche des sociétés. Des penseurs qui ont repris des mains de Marx, Weber et Polanyi le flambeau des méta-explications du système capitaliste. A rebours des tendances actuelles de la recherche qui se focalise sur le micro à partir d’enquêtes quantitatives. Sans vision d’ensemble explicite.

Des auteurs qui ont, pour Castoriadis et Baudrillard (avec Polanyi comme précurseur), ouvert la voie à un dépassement du marxisme pour penser une action progressiste de changement. Chacun des trois a apporté sa spécificité que nous présentons brièvement ci-dessous.

Mais ce qui nous intéresse ici,

c’est qu’ils ont tous trois partagé le même aveuglement sur leur position dominante dans le monde. En tant que personnes vivant au Nord. En tant que penseurs faisant partie du monde occidental.

Proche de  ce que nous voulons exprimer ici, on trouve une formulation de cet aveuglement dans le propos de Lilian Thuram : « Pour ne pas avoir conscience qu’il y a un privilège blanc, il faut être blanc. »

Dans une première étape, nous présentons brièvement les apports incontestables de Castoriadis, Baudrillard et North. Avant de montrer l’angle mort de leur pensée à l’endroit du Sud. Et ce, malgré une position « bienveillante » de ces intellectuels envers cette partie du monde.

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Cornelius CASTORIADIS (CC) : l’autonomie des individus et des sociétés

Cornelius Castoriadis
Cornelius Castoriadis

Avec une remarquable constance dans la progression de sa pensée, Castoriadis fait de l’autonomie la perspective centrale d’émancipation individuelle et collective. Il adosse cette perspective à l’adoption de la raison comme support de l’élaboration intellectuelle, de l’innovation, de l’action. Cette conjonction entre autonomie et raison a émergé dans la Grèce antique, puis s’est éteinte. Elle a ressurgi en Europe à la fin du Moyen Age.

Uniquement en Grèce et dans quelques pays d’Europe…

Seules ces périodes et ces parties du monde ont connu ce phénomène, selon CC. Chevauchant ces avancées intellectuelles et psychiques, l’Europe a conquis une gigantesque force matérielle et intellectuelle qui lui a permis de dominer le monde.

A partir des apports de la psychanalyse aux sciences sociales, Castoriadis détaille le rôle majeur des croyances, les « imaginaires sociaux », dans la formation des cadres institutionnels qui structurent le fonctionnement des sociétés. Et, in fine, qui conditionnent le changement social.

Nous avons longuement exposé les thèses de Castoriadis dans une Note de lecture décomposée en 4 parties :

  • Son œuvre au filtre de notre recherche sur le développement, les institutions et leurs soubassements (1/4)  ==> ICI  
  • Définitions et cadre analytique de sa pensée (2/4) ==> ICI
  • Les fondements du capitalisme (3/4)  ==> ICI
  • Ce que nous pouvons tirer de ses apports pour une analyse du développement (4/4)  ==> ICI 

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Jean BAUDRILLARD : le naufrage du Nord par la perte du sens et le refoulement du symbolique

L'angle mort de penseurs du Nord sur le Sud - Jean Baudrillard
Jean Baudrillard

Loin des démonstrations méthodiques et implacables de Castoriadis, Jean Baudrillard dresse le portrait des sociétés du Nord à coup d’intuitions fulgurantes, dans un bouillonnement créatif qui n’évite pas les provocations. Il s’éloigne très tôt du marxisme et du structuralisme et définit son champ en donnant aux signes une importance capitale. Il dépeint le naufrage des sociétés globalisées du Nord, englouties dans la perte de sens… par une prolifération de sens portée par une communication envahissante.

Et dans ce naufrage, il inclut la pensée progressiste

Une pensée rendue infertile par le déni de la part maudite qui gît en chacun des êtres humains.

Voir « Tous racistes ? »  ==> ICI

Une pensée progressiste entrainée par l’idéologie molle des droits de l’homme et de l’universalisme abstrait qui ont vidé le politique de tout contenu. Avoir refoulé le mal a rendu les sociétés du Nord incapables de prendre en compte le symbolique. Et donc de comprendre la vie réelle dans ses contradictions, ses tourments. Incapables d’affronter les assauts qui viennent du Sud, le terrorisme notamment. La bataille est inégale et perdue d’avance par le Nord selon Baudrillard. La foi aveugle dans la technique laisse la porte ouverte aux assauts terroristes qui eux, sont immergés dans l’univers symbolique. Et en tirent leur force.

Jean Baudrillard est dans l’abandon de tout espoir d’une transformation progressiste des sociétés

L’Empire capitaliste globalisé a gagné. Baudrillard écrit une partie de ses textes au moment de l’effondrement de l’URSS. Au tournant des années 90. Et estime que la « décongélation » des sociétés communistes va précipiter une masse supplémentaire de gens vers la consommation. Il étale son angoisse dans des prises de position qui ont pu apparaitre provocatrices.

A propos du fondamentalisme islamique qui conduit au terrorisme, Baudrillard écrit « Ces histoires-là c’est du ‘rhabillage’. Si je veux analyser le terrorisme, je ne vais pas le faire en fonction du discours islamiste. C’est une façon d’exorciser les choses que de les renvoyer à une religion, à une idéologie, à une conviction. Si j’observe le terrorisme, c’est l’acte terroriste en tant que fracture d’une puissance mondiale. Cela peut venir de n’importe où, et qu’il y ait des convictions religieuses derrière ne m’intéresse pas. La résurgence des discours ethniques, religieux, linguistiques montre que quelque chose se crispe, se cristallise contre l’hégémonie, contre ‘l’empire’, contre cette pensée unique, cette puissance unique. D’aucuns l’appellent un choc de cultures, un choc d’idéologies. Mais c’est insoluble. Prendre parti pour ou contre ne m’intéresse pas.

Ce que je cherche à voir, c’est l’antagonisme véritable. Or, l’antagonisme se manifeste sur un mode symbolique, c’est donc tout autre chose : il s’agit de la mise en jeu de la mort dans un système qui cherche à exclure, qui se veut ‘zéro mort’, et dont la puissance repose sur cette exclusion. La mort disparaît du système et le pouvoir de l’Empire repose sur cette espèce de non-mort, de non-événement. Alors des singularités surgissent, mais différentes du discours qu’elles tiennent. Je ne peux pas juger de la rhétorique islamiste, je n’y rentre pas… Il faut essayer de voir ce qu’il en est de l’acte en dehors de l’idéologie des acteurs. »

Son pessimisme était prémonitoire

Que dirait-il aujourd’hui, à l’heure du triomphe des grandes firmes multinationales numériques plus intrusives que jamais? De l’accession au pouvoir par les urnes de régimes autoritaires et d’une montée des xénophobies partout dans le monde ?

Voir « Nous avons perdu »  ==>ICI

Et lui qui était très impressionné par la viralité numérique, que dirait-il de cette pandémie du Covid 19 qui a paralysé une bonne partie de la terre !

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  • Douglass NORTH : le pouvoir à ceux qui contrôlent la violence

L'angle mort de penseurs du Nord sur le Sud - Douglass North
Douglass North

Cet historien-économiste a introduit l’histoire longue dans l’analyse économique. Il a ainsi tiré l’économie vers les sciences sociales en l’éloignant de sa version néoclassique et de son hypothèse de rationalité instrumentale. Pour lui, les croyances existent et rendent inopérant le modèle rationnel des néo-classiques.

Un modèle d’économie politique

Son apport principal a porté sur l’élaboration d’un modèle d’économie politique sur le fonctionnement des sociétés depuis la préhistoire (!) [4]. Il y développe la notion « d’ordre social » qui propose un cadre analytique pour décrire le jeu des acteurs sur la scène sociale. Il déploie ce modèle dans toutes les formations sociales que l’espèce humaine a construit depuis la préhistoire jusqu’à aujourd’hui, incluant donc le Sud et le Nord.

Selon North, le but principal du jeu social est le contrôle de la violence

Ce contrôle s’exerce différemment selon que l’ordre social est à accès limité comme c’est le cas dans les sociétés du Sud où les élites tiennent en mains les clés d’ouverture de cet ordre.

Ou dans les sociétés développées où la concurrence politique (et économique) a ouvert l’ordre social à tous. Et organise, à violence contenue, la dévolution pacifique du pouvoir politique. Cette dévolution pacifique tient au fait que les droits (notamment de propriété) y sont garantis et respectés sur une base impersonnelle. Et donc seront maintenus quel que soit le gagnant de la compétition politique au plus haut niveau.

Ce n’est pas le cas dans les pays du Sud. Le contrôle de l’accès au cercle des insiders y est indispensable car les droits restent assis sur les relations personnelles [5]. Ils ne sont donc pas garantis dans le cas d’un changement politique à la tête de l’Etat. L’âpreté des dévolutions du pouvoir dans les pays du Sud, avec ses épisodes violents, s’explique ainsi.

Le « modèle » d’économie politique proposé par North et alii est tout particulièrement pertinent pour expliquer le fonctionnement politique des sociétés du Sud et les jeux d’acteurs associés.

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Malgré la puissance de leurs apports sur la marche des sociétés humaines, aucun de ces trois auteurs ne fait le tour complet de la question. Chacun, dans la singularité de son approche, nous aide cependant à comprendre. Mais au delà de ces singularités, un trait commun les rassemble. C’est qu’ils restent en position de domination sur les sociétés du Sud. C’est ce que nous allons examiner dans la suite du texte.

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  • Pour Cornelius CASTORIADIS, la capacité réflexive accorde à l’Occident une supériorité légitime sur le reste du monde

CC met la capacité réflexive, celle de s’auto-analyser, et la raison comme ultime source du pouvoir et des règles, au sommet de la hiérarchie des valeurs qui spécifient et classent les civilisations. Seules la Grèce antique et l’Europe à partir de la fin du Moyen Age ont acquis cette capacité réflexive et mis la raison à cette place.

Sur Castoriadis et le Sud, on trouvera un développement plus détaillé ==> ICI

Pour CC, seules les sociétés disposant de cette capacité réflexive et de ce rapport à la raison ont la possibilité philosophique et politique de porter un regard critique sur leur propre système. Disposant de ces capacités, Castoriadis s’autorise à hiérarchiser les civilisations.

Les horreurs des autres !

Comme s’il n’était pas totalement sûr dans sa démonstration, CC invoque les pratiques de l’excision et de l’infibulation des femmes dans certaines régions du Sud sur fond d’inégalité structurelle entre les sexes. Dans cette galerie des horreurs, il oublie ce que peut exposer l’Occident, avec sa raison et sa capacité réflexive. Sans remonter à l’esclavage ni à la colonisation, citons deux Guerres Mondiales qui ont fait des dizaines de millions de victimes. La puissance matérielle de l’Occident s’est mise là au service de la mort.

On a raison parce qu’on est les plus forts !

L’incontestable supériorité matérielle, militaire, organisationnelle des pays d’Occident lui a permis de dominer le monde d’une façon quasi-totale. Cette victoire militaire et organisationnelle a finalement enraciné dans l’imaginaire social des sociétés du Nord un glissement imperceptible de la supériorité matérielle vers la supériorité morale. C’est là que gît l’erreur ! Et Castoriadis partage inconsciemment cette erreur avec bien des intellectuels occidentaux. Tout spécialement en France.

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  • Jean BAUDRILLARD, dans le renoncement à tout espoir de changement au Nord, ne prend en compte le Sud que pour « taper sur le Nord »

Tout est joué, pour Baudrillard. L’Empire capitaliste a définitivement gagné. Une victoire qui éteint tout espoir de transformation progressiste des sociétés du Nord.

Dans cette projection dépressive, JB se sert des bouillonnements du Sud pour accabler les sociétés du Nord. Des sociétés développées incapables de résister à ce siphonage du symbolique par l’envahissement de la marchandise. Par l’évacuation totale du sens et l’ivresse virale du numérique.

Dans les interactions (violentes) entre Sud et Nord, Baudrillard ne regarde que le Nord

« Je ne peux pas juger de la rhétorique islamiste, je n’y rentre pas… Il faut essayer de voir ce qu’il en est de l’acte en dehors de l’idéologie des acteurs » Dans cette phrase, écrite à propos des attaques terroristes du 13 septembre 2001 à New York, JB ne s’intéresse qu’à la trace sur le Nord de cet acte, en ce qu’elle défie l’Empire. Cet attentat d’une rare audace porte le feu et la mort au cœur du symbole de sa toute-puissance : le « Centre du Commerce Mondial » (Trade World Center).

Ses auteurs, leurs motivations, ne lui importent pas. Tourné exclusivement sur le Nord, il efface d’un trait l’origine de ce geste, venant de cette partie Sud de l’humanité. Et le sens que ce geste prend dans une compréhension globale du monde. Comme acte de la mondialisation en tant qu’elle a contribué à l’émergence d’acteurs au Sud ! Cela, il refuse de le voir.

Un déni total aux sociétés du Sud de toute dynamique historique

Baudrillard, par cette posture, est de fait incapable de voir ce qui émerge dans les immenses marmites qui bouillonnent au Sud. Avec la montée comme acteurs de centaines de millions d’hommes et de femmes qui ont acquis les capacités intellectuelles et numériques de communiquer, s’exprimer, s’informer. Et finalement, de faire l’Histoire. Dans l’innovation politique, scientifique, culturelle… Mais aussi dans la destruction et la violence. Et notamment dans la menace « du faible au fort ».

Voir sur ce point « Nous ne sommes plus seuls au monde » de Bertrand Badie ==> ICI

Baudrillard jette aux orties les bases mêmes qui soutiennent l’Occident : l’universalisme et la raison

Et, en un retournement étrange, son propos sur le Sud, sur l’Autre, revient à saper les bases mêmes de la pensée occidentale. Rien moins que l’universalisme et l’autonomie des imaginaires dominants face aux puissances surnaturelles. Tout à l’opposé de Castoriadis sur ce dernier point fondamental. Ce n’est pas sa moindre provocation. Mais, à l’heure où les enjeux environnementaux questionnent les fondements de l’imaginaire social du Nord, cette audace à toucher au cœur même des croyances communes devrait permettre que s’ouvre des débats nécessaires.

Et dans sa rage à condamner le Nord et les élans de ses forces progressiste, il ne se prive pas de jugements pertinents. Comme quand il raille la solidarité, l’altruisme des progressistes du Nord qu’il dénote comme comportant une haute dose de mépris pour ceux du Sud qu’on va « aider ».

Comme introduction à son œuvre, on lira la Note de lecture sur une œuvre majeure de Jean Baudrillard  « La transparence du mal. Essai sur les phénomènes extrêmes »  ==> ICI

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  • Douglass NORTH idéalise le fonctionnement des sociétés du Nord

Notre critique de sa pensée porte ici sur deux points.

Le contrôle de la violence ?

Le premier porte sur l’argument majeur du grand jeu social, selon North. Ce que l’on pourrait appeler le « but du jeu » des acteurs dans les sociétés humaines. Pour North, c’est le contrôle de la violence.

Selon moi, faire de ce contrôle de la violence l’argument ultime revient à masquer le véritable but final du jeu social au sein des ordres sociaux qui est plus simplement, le maintien au pouvoir des insiders. De ceux qui possèdent la force, la richesse, et le contrôle des symboles qui apportent la légitimité à leur pouvoir. Cette dimension symbolique pouvant être assurée par le religieux ou par un récit national séculier.

Certes, pour se maintenir au pouvoir, il faut contrôler la violence. Mais c’est le moyen (certes principal) au service d’une autre fin, celle de maintenir au pouvoir la couche sociale dominante, quelque soient les acteurs qui la personnifient. Même si quelques acteurs changent, la pièce doit rester inchangée. Et ce, au Sud comme au Nord.

Au Nord, l’accès aux pouvoirs par la concurrence ?

L’autre point aveugle de North et alii porte directement sur notre propos ici. Quand il oppose le fonctionnement des ordres sociaux, selon qu’ils soient « à accès limités » (au Sud) ou « à accès ouvert » au Nord.

Dans les « ordres sociaux ouverts » (au Nord) North et ses co-auteurs idéalisent la concurrence. Celle-ci dicterait sans résistance ses règles dans le jeu social. Des règles qui s’appliquent tant sur le terrain économique (par le jeu du marché) que politique (par les élections). Même s’ils ne l’écrivent pas ainsi, c’est bien la « concurrence pure et parfaite » qui s’applique, dans leur modèle, aux sociétés du Nord.

Alors que North et alii déploient une froide et réaliste analyse de l’économie politique qui guide les sociétés du Sud, ils mythifient le fonctionnement des sociétés du Nord. La concurrence y départagerait d’une façon libre les prétendants au pouvoir politique et aux positions économiques.

North et alii effacent de leur modèle la « capture de l’Etat » par les grandes firmes

Ils ignorent les interactions fortes, au Nord, entre acteurs économiques et acteurs politiques au sein d’un ordre social qui n’est pas si ouvert qu’ils ne l’écrivent.

Ils sous-estiment la « capture de l’Etat » par les grandes firmes qui pèsent de tout leur poids dans les élections (financement des partis politiques), dans la fabrication des lois (action des groupes de pression), dans les manipulations de l’opinion (contrôle de la presse). Mais aussi sur la parole scientifique, comme on l’a vu à propos des effets sur la santé de diverses substances. A commencer par le tabac, l’amiante… Et plus près de nous, le glyphosate…

Ils ne voient pas la force des investissements de ces grandes firmes multinationales dans les lobbies qui assiègent les lieux de pouvoir, à Bruxelles, Washington, Londres, Paris…

 

Aveuglement des penseurs du Nord sur le Sud - Ici, Obama totalement capturé par les insiders

Obama le lendemain de son investiture en janvier 2009. Une représentation de la « capture de l’Etat »

Même si la concurrence politique et économique a un rôle formellement plus important au Nord, l’emprise des grands groupes financiers et économiques se maintient sur les dirigeants politiques et sur les médias. Ainsi, l’ordre social au Nord reste verrouillé. Contrôlé par les puissances d’argent.

North et alii ignorent la dérive actuelle vers l’individualisme et le primat du privé sur le collectif. Et donc sur l’intérêt général

L’envahissement de l’idéologie libérale dans la conduite des sociétés a accentué cette emprise des intérêts privés sur les Etats. La sacralisation de la recherche de l’intérêt individuel, la dévalorisation de l’action collective et, in fine, de l’Etat et de l’intérêt général ont légitimé cette emprise. North et alii ignorent totalement cette dimension idéologique dans le jeu des acteurs. Dans le fait que les intérêts privés ont conquis une position de force dans ce jeu. L’augmentation des inégalités au sein des pays en est le résultat incontestable.

Crise financière de 2008 et présidence de Donald Trump…

L’ironie de l’histoire a fait que l’ouvrage de North et alii portant sur ce modèle d’économie politique a été publié en 2009, juste après la crise de 2008. Une crise qui a mis à la face du monde l’emprise du système financier sur le système politique américain, et au-delà. C’est ce que démontre Simon Johnson, ancien économiste en chef du FMI [6].

Et que dire de la présidence de Donald Trump ? Qui a vu le respect de la Loi bafoué quotidiennement. Et des menaces sur le caractère pacifique de la dévolution du pouvoir à Joseph Biden.

La tranquille « évidence » de la supériorité du fonctionnement des sociétés du Nord, qui émane de ces travaux, n’a pas été ébranlé par les démentis apportés par les faits. Aucun amendement ou dépassement du modèle n’a été proposé par North et ses co-auteurs.

Un pas pour sortir de l’angle mort que constitue le Sud

On doit reconnaitre ici que North et alii font un pas pour reconnaitre les sociétés du Sud dans ce qu’elles ont de singulier. Non comme des sociétés qui agiraient selon un mode altéré des sociétés du Nord. Ils partent du constat que les sociétés du Sud n’ont pas un fonctionnement pathologique. Pathologie des « manques » qui sert de base aux politiques de développement que la pensée dominante au Nord projette sur le Sud depuis 60 ans (*). C’est ce point précis qui m’a personnellement engagé dans l’étude attentive de leur dernier ouvrage (Violence et Ordres sociaux) et à piloter sa traduction dans son édition en français.

Ils demeurent cependant dans une vision normative,

en ce sens qu’ils fixent comme horizon indépassable la démocratie et le marché. Ils le font dans une projection idéalisée du fonctionnement des pays anglo-saxons. Une vision qui fait l’impasse sur les forces sociales qui organisent, dans ces sociétés, leur maintien au pouvoir. Cela les conduit en outre à ignorer totalement la dimension mondialisée de leur domination. Et notamment le poids que ces forces sociales exercent sur les sociétés du Sud.

Encore un effort, camarade North !

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Résistance en recul, mais crispations en hausse…

Cette résistance à changer de regard sur le monde s’érode progressivement avec les prises de parole et les élaborations intellectuelles qui émanent du Sud [7]. Mais elles provoquent aussi de dangereuses crispations dans des fractions croissantes des populations au Nord et chez certains de leurs intellectuels.

… et tropicalisation du monde !

Dans le mouvement complexe de basculement du monde, il n’y a pas seulement l’émergence de puissances au Sud qui contestent la domination absolue du Nord. Il y a aussi la « tropicalisation » des sociétés du Nord par les grandes firmes mondialisées.

C’est une autre facette de l’histoire. On pourra suivre cette dimension en consultant les travaux ci-dessous présentés :

La tropicalisation du monde de Xavier Ricard Lanata , voir ==> ICI

Voir aussi « Captation ou création de richesse ? Un capitalisme de péage »  ==> ICI

A rebours de cet aveuglement, on lira avec intérêt les ouvrages de l’écrivain-journaliste polonais Ryszard Kapuscinski. Lui qui a sillonné l’Afrique au lendemain de ses Indépendances. Venant d’un pays qui n’avait pas de passé colonial avec le Sud, Kapuscinski a débarqué sur un continent avec un regard ouvert. Sans position de surplomb. Sans naïveté également. Voir note de lecture sur son livre Ebène, Aventures africaines   ==> ICI

(*) Sur la critique de l’approche des politiques de développement « par les manques » (de fonds, de routes, d’écoles, de bonne gouvernance…) voir « SUD ! Une toute autre approche de la marche des sociétés du Sud« , Jacques Ould Aoudia, L’Harmattan, 2018  ==> ICI

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[1] Sur Cornelius Castoriadis, économiste, philosophe, psychanalyste, voir ==> ICI

[2] Sur Jean Baudrillard, penseur, philosophe, auteur de chansons, photographe, voir ==> ICI

[3] Sur Douglas North, économiste institutionnaliste, historien, photographe, voir ==> ICI

[4] Douglass North est l’auteur, avec John Wallis et Barry Weingast, de Violence and Social Orders: A Conceptual Framework for Interpreting Recorded Human History, Cambridge University Press, 2009. Édition française Violence et ordres sociaux, Postface de Nicolas Meisel et Jacques Ould Aoudia – Gallimard, 2010.

[5] Cette opposition reprend celle introduite par Max Weber, entre sociétés de liens (primat des relations personnelles) et sociétés de droits (primat des relations impersonnelles).

[6] Voir notamment « The quiet coup » de Simon Johnson  ==> ICI

[7] Comme celles d’Achille Mbembe (ouvrages, interviews…). Voir notamment ==> ICI

La production littéraire contribue également à amplifier les voix qui proviennent du Sud. Au travers de nos Notes de lecture sur ce Site, nous nous efforçons de soutenir la diffusion de cette autre façon de raconter le monde.


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