Tintin au Congo c’est fini ! ou  La France prise dans la haine de l’Occident. Nous y sommes ! Le basculement du monde, produit de la mondialisation, touche désormais le champ des représentations. On avait déjà connu en Europe et en France la désindustrialisation, le chômage de masse, l’accès à bas prix aux produits de consommation « made in République Populaire de Chine »… 

Mais l’édifice symbolique, la « place de la France dans le monde » continuait de tenir. Une France qui faisait partie du top 5 des pays qui comptent dans le monde. Avec sa diplomatie, son armée, sa bombe atomique, son influence dans les pays de l’ancien empire colonial, en Afrique sub-saharienne notamment. Avec son rôle majeur en Europe. Mais aussi, souvenons-nous, avec sa capacité à refuser de se laisser entrainer derrière les Etats Unis, pour attaquer l’Iraq en 2003. Pour ne prendre qu’un des exemples récents…

C’est tout cela qui s’écroule sous nos yeux ! Un violent rejet se manifeste à l’égard de la France dans les parties du monde où son influence était la plus grande. Et ce rejet prend une nature particulière. Essayons de mettre des mots sur ce phénomène brutal à défaut d’être surprenant.

Le rejet de l’Occident monte dans le « Sud global »

Comme tout phénomène complexe, ce sont de multiples facteurs qui expliquent ce rejet. de l’Occident. Celui-ci intervient en pleine agression de Poutine contre l’Ukraine. Une guerre qui a ressoudé l’Occident derrière les Etats Unis sur les plans militaire, politique, diplomatique. Une guerre dont la condamnation pure et simple était attendue par les dirigeants de la « communauté internationale » (c’est-à-dire des pays occidentaux). Or cette condamnation est restée limitée.

Cette guerre entre Russie et Ukraine est perçue par de larges parties des sociétés du Sud comme un conflit entre pays du Nord. L’Histoire récente reste marquée par les deux conflits mondiaux qui ont déchiré le XX° siècle. Des conflits où les sociétés du Sud ont, par deux fois, été entrainées contre leur volonté. Avec des pertes humaines considérables en leur sein.

Voir « Deux guerres mondiales, ça suffit »  ==> ICI

De la réserve à l’hostilité ouverte

Face aux pressions diplomatiques pour faire condamner l’agresseur russe, bien des dirigeants du Sud gardent une certaine réserve. Souvent pour ne pas couper les soutiens financiers dont ils bénéficient de la part de pays du Nord ou d’organisations contrôlées par ces derniers.

Mais les sociétés du Sud s’expriment. Tout particulièrement en Afrique sub-saharienne. Elles font déborder les expressions qui vont du rejet des postures des élites du Nord à l’égard des sociétés ou des dirigeants du Sud, à la condamnation, l’insulte, la haine ouverte.

Dans l’histoire récente

Sans remonter à la colonisation ou à l’esclavage et leur cortège d’humiliation institutionnalisée, les sociétés du Sud se souviennent.

  • Comment peuvent-elles oublier l’invasion de l’Irak en 2003 par les Etats Unis et leur coalition sur la base de mensonges d’Etat ? Les prétendues armes nucléaires que Saddam Hussein avait accumulées. Argument qui s’est révélé totalement faux. Voir ==> ICI
  • Ou l’agression contre la Libye par une vaste coalition militaire en 2011, là aussi, sur la base de mensonges ? Des forces gigantesques qui ont mis 9 mois pour venir à bout d’un pays de 6 millions d’habitants. Voir ==> ICI
  • Comment peut-on laisser de côté le « deux poids – deux mesures» quand l’Occident dénonce l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Et, dans le même temps, ferme les yeux sur la colonisation meurtrière menée par l’Etat d’Israël contre la Palestine ou ce qu’il en reste ? Ou ignore l’agression de l’Arabie Saoudite contre le Yémen ? Pour ne prendre que ces deux exemples ?

Désormais, les sociétés du monde entier ont accès à l’information

L’information circule aujourd’hui sans entraves majeures. Pour le meilleur et pour le pire. Les fake news, la désinformation, les manipulations pullulent sur Internet [1]. Elles côtoient sans filtre clair les véritables informations.

Il est donc loin le temps où les Etats du Nord pouvaient s’engager, sur leur territoire et avec leur société, dans une libéralisation, démocratisation, ouverture … tout en réprimant les sociétés colonisées.

Le Pr. Panikkar nous donne ainsi l’exemple des Pays Bas dans leur Age d’Or, au XVII° siècle. A Amsterdam où s’expérimentaient des avancées décisives en matière de droits de l’homme. Tandis que leurs agents commerciaux et leurs soldats déportaient de Chine des dizaines de milliers de travailleurs transformés en esclaves, notamment en Indonésie, une de leurs colonies.

Voir « L’Asie et la domination occidentale »  de K. M. Panikkar  ==> ICI

ET LA FRANCE DANS TOUT CELA ? 

La France est dans une situation difficile sur ce champ pour plusieurs raisons

La France des « Lumières »

La France, ses dirigeants, ses élites, une partie de sa société, ont porté au plus haut point la croyance qu’ils avaient un rôle singulier à jouer dans le monde. Eclairer les peuples du Sud ! Leur apporter les « Lumières », produites dans le bouillonnement intellectuel du XVIII° siècle. Patrie des Droits de l’homme, la France se sent une responsabilité particulière dans la diffusion sur la planète entière de l’universalisme. Un universalisme conçu comme la réplique de ses propres valeurs.

L’intention pourrait être perçue comme louable par une partie de la société française. Même si elle s’accompagne d’une bienveillante condescendance. Jules Ferry a été un homme de gauche et en même temps un grand promoteur de la colonisation ! Cela a formaté pour longtemps la position des forces progressistes [2].

Un écart gigantesque entre les valeurs proclamées et la pratique sur le terrain

Les choses sont en effet plus grossières ! La France, ses élites, une bonne partie de sa société sont restés aveugles à l’écart immense entre ses prétentions à exporter aux peuples du Sud la modernité humaniste selon ses vues, et la réalité de sa pratique coloniale puis post-coloniale.

La colonisation en Afrique sub-saharienne, en Afrique du Nord comme en Asie du Sud-Est s’est faite par le pouvoir français sur la base d’un racisme institutionnalisé et au prix d’une répression continue des résistances qui se sont manifestées sur tous les territoires colonisés. Une colonisation qui s’est menée sur une négation permanente des Droits de l’Homme par le pays qui les avait inventés aux tout premiers jours de la Révolution française, en 1789. Sans vergogne !

Un ressentiment d’humiliation s’est accumulé pendant des années. Voir la note de lecture de « Oui mon commandant ! » Amadou Hampâté Bâ==> ICI

Voir aussi « La ségrégation au cœur de la colonisation française »==> ICI

 Mais une autre raison explique la crise particulière de la France vis-à-vis du Sud

Depuis les Indépendances, la France est dans une situation singulière. Ce pays a eu un immense empire colonial. Afrique du Nord. Afrique de l’Ouest. Grande Ile de Madagascar. Indochine en Asie du Sud Est pour ne considérer que les grandes régions colonisées.

A partir des années 1960, la France a entamé une décolonisation que l’Histoire, après la Seconde Guerre Mondiale, rendait inévitable. Le fiasco de l’intervention Israélo-franco-britannique en Egypte en 1956 a marqué la fin des prétentions ouvertement coloniales de la Grande Bretagne et de la France.

Mais la France a mené cette décolonisation en gardant sa position de surplomb. Notamment en Afrique sub-saharienne. Et sans renoncer à la répression violente. Au Cameroun notamment, contre le mouvement nationaliste. En Indochine où la guerre d’Indépendance avec la France, d’une grande violence, s’est terminée par la défaite humiliante de l’armée française à Diên Biên Phu en 1954 [3]. Et en Algérie, où la Guerre de Libération menée pendant 7 ans par les nationalistes algériens a mis un point final à l’Empire français dans sa domination directe sur de peuples du Sud. Cette guerre été le théâtre d’une violence immense à l’égard de la population algérienne. Ma famille, comme des milliers d’autres, en a été atteinte.

La Grande Bretagne a aussi été à la tête d’un immense Empire

Encore plus vaste, plus peuplé que l’Empire français. Un empire où « le soleil jamais ne se couchait ». La décolonisation y a été plus précoce. Notamment avec la naissance de l’Inde indépendante en 1947 et sa partition avec le Pakistan.

Mais les Britanniques ont un avantage immense sur les Français. Ils ont continué à dominer le monde via leur enfant rebelle, les Etats Unis. Leur langue a conquis le monde comme langue de la mondialisation. L’Otan, instrument des Etats Unis, un moment en déclin, a repris de la vigueur « grâce » à l’agression de Poutine contre l’Ukraine. Les alliances affichées et plus discrètes entre les Etats Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle Zélande enserrent la planète dans une géographie qui ne laisse aucun angle mort…

La France n’a rien de cela. Certes, elle possède un immense espace marin, avec ses petites iles dispersées dans tous les océans. Mais c’est de peu de poids face à la puissance de l’Empire américain, adossé à son ancien maitre, la Grande Bretagne, et à ses satellites anglo-saxons.

Les élites politiques, économiques, sociales de France ont-elles la capacité d’accompagner la société française dans la prise en compte du monde tel qu’il est ?

Prendre en compte le monde tel qu’il est, en ce début du XIX° siècle, c’est se donner le temps de regarde en face ce qu’il est devenu. C’est s’intéresser à l’autre dans sa différence. A l’autre du Sud, dans toutes ses dimensions. C’est abandonner une posture de bienveillance humiliante. Mais aussi, c’est se voir tel qu’on est relativement aux autres, dans un effort réflexif. Des forces existent au Nord pour accompagner ce mouvement.

Mais on peut se poser la question. Ces élites ont elles les ressources intellectuelles, psychiques, et le courage politique de regarder le monde en face ? Et les gesticulations des médias de droite, au Nord, dénonçant le mouvement « woke » sont aussi dérisoires qu’inutiles [4].

Prendre en compte le réel, c’est comprendre que la France n’aura plus jamais la position dominante qu’elle a pu avoir. Que le monde a irrémédiablement changé. Que le temps du respect est advenu.

Tintin au Congo, c’est fini !

& & &

[1] Il y a même des agences pour cela. Les Etats et les grandes firmes y font appel pour déstabiliser leurs opposants.

[2] Jules Ferry, homme politique français à la fin du XIX° siècle. Promoteur de « l’école publique laïque, gratuite et obligatoire ». Considéré après sa mort comme l’un des pères fondateurs de l’identité républicaine. Il a été par ailleurs un ardent défenseur de la colonisation. Avec deux types d’arguments. 1/ les débouchés économiques pour les entreprises française. Des débouchés protégés par l’exclusif colonial. Et 2/ la mission civilisatrice : les Français ont le rôle de tuteurs auprès des populations colonisées. D’après Wikipédia.

Sur l’ambivalence du mouvement progressiste vis-à-vis du Sud et de la colonisation, on notera la position de Jack London telle qu’il la développe dans son roman (largement autobiographique) « Martin Eden ». Voir la note de lecture ==> ICI

[3] La bataille de Diên Biên Phu est un moment clé de la guerre d’Indochine avec la France. Elle se déroula du 13 mars au 7 mai 1954 et opposa, au Tonkin, les forces de l’Union française aux forces du Việt Minh, dans le nord du Viêt Nam actuel. Wikipédia. Pour plus de détail, voir ==> ICI

[4] Le terme anglo-américain woke (« éveillé ») désigne le fait d’être conscient des problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale. Wikipedia. Pour en savoir plus, voir ==>ICI

 


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