Les bruits de Marrakech, dans la médina. Tout au long de la journée, dans la soirée, au petit matin, la médina de Marrakech bruisse de mille sons.

Au tout petit matin, quand c’est encore la nuit…

Soudain, s’élèvent les appels à la prière. Ici, là, là-bas. Au loin. Tout proche !! Les muezzins se répondent. Chacun avec sa mélodie, avec son intensité, sa hauteur de voix. Harmonies, cacophonie, harmonie. Décalages dans les appels. Les uns, sobres. D’autres pleins de trémolos où l’émotion pointe. Le son monte, les voix s’entremêlent, puis, graduellement, les voix se taisent. Le « chœur » baisse en intensité. Le silence retombe sur la ville. Dans des ruelles ou la lumière vacille, des hommes s’acheminent en silence vers la mosquée du quartier.

Un moment passe. Les oiseaux prennent le relai

D’abord un merle chanteur qui va réveiller tous les autres animaux à plume. Une mélodie immuable, qui se transmet de génération en génération (en générations de merles). Entendre cette mélodie ==> ICI

Un coq donne de la voix. D’autres merles répondent au premier. Les tourterelles roucoulent leur chant mélancolique et répétitif. Des moineaux s’éveillent dans un grand désordre de chants aigus. Les pigeons font leur chant triste inlassablement répété. Avec comme un gémissement. Seul charme, le bruit feutré des battements de leurs ailes quand ils se posent quelque part.

A mesure que le jour se lève, les oiseaux s’arrêtent de chanter

Ils s’occupent comme on peut s’occuper dans une vie d’oiseau. Sans doute sont ils à la recherche de nourriture. Ou bien à leurs affaires amoureuses. Ou à leurs disputes très bruyantes. Se pourchassant d’une branche à l’autre en poussant des cris stridents. Ce sont surtout les merles qui sont querelleurs, en agitant leur houppette sur la tête. Les moineaux aussi se disputent fréquemment.

Au loin, le grondement des avions matinaux qui décollent nous rappelle que Marrakech est une haute destination touristique. Pour le meilleur et pour le pire !

Dans la chaleur de la journée…

… on peut encore entendre, à Marrakech, le chant discret du Tibibt. Un oiseau de la famille des moineaux qui chante en disant « tibibt ». D’où le nom qu’on lui donne dans la médina. De temps en temps, un âne pousse son braiement. Que peut il se passer dans la tête d’un âne qui braie?

Au loin, sur la Place Jamâa El Fna, s’activent les charmeurs de serpent. Ils soufflent en son continu dans leur ghaïta [1]. Cela demande un sacré entrainement. Au moment où vous inspirez, vous videz l’air que vous avez accumulé dans la bouche en gonflant les joues. Ainsi, le son de ce petit instrument nasillard de s’arrête jamais…

Marrakech - tableau de Marquet
La Place Jamâa El Fna et la Koutoubia par Marquet

Les cinq appels à la prière égrènent le cours du jour

Elles servent d’horloge aux habitants. Une horloge calée sur la hauteur du soleil dans le ciel. En phase étroite avec les saisons. Après la prière de l’aube (Fajr), vient la prière du moment où le soleil est à son zénith (Dhuhr). Puis celle du milieu de l’après-midi (‘Asr), pour nous réveiller de la sieste, sans doute. Ensuite, la prière de la tombée de la nuit (Maghreb). C’est cette prière qui donne le signal de la rupture du jeûne (Ftour) pendant le mois de Ramadan. Enfin, la dernière, quand la nuit est tombée (‘Ichâ’).

Dans le calme des maisons

De temps en temps, en tendant l’oreille, on perçoit le bruit d’une mobylette qui pétarade au loin. Et dans les ruelles sans voiture, passe le vendeur de sardines qui vante son produit : « Sardi ! Sardi ! ». Curieusement, c’est le mot en français, adapté au darija, qu’il fait résonner. Des chats efflanqués le suivent. Inquiets, sur le qui-vive.

Passe le vendeur de Javel. Un produit d’entretien qui sert à tous les usages de la maison. Il pousse sa cariole. Avec son grand bidon, il prélève une dose et la verse dans la bouteille que vous lui tendez contre quelques Dirhams. Mais lui vous annonce le prix en Riels qui est une ancienne mesure monétaire encore populaire. Un Riel égale 0,0024 Dirham. Quand on n’est pas familier de cette mesure, on a vite fait de se tromper !

A mesure que la chaleur s’élève, les bruits s’atténuent

La ville s’assoupit. Seuls des touristes bravent le soleil. Gare à ses blessures. C’est folie de venir à Marrakech pour bronzer ! Le soleil est trop agressif. Ou alors il faut s’enduire de tant de crème…

Même les charmeurs de serpents et leurs charmants animaux prennent du repos sur la grande Place Jamâa El Fna.

La vie reprend avec la tombée du jour

De leur vol ample et silencieux, les cigognes rentrent au nid. Leur caquètement inlassable nous casse les oreilles. Gare aux crottes qu’elles peuvent faire tomber du ciel. Comme elles mangent serpents et crapauds, on vous laisse deviner le résultat !

L’appel à la prière du Maghreb a retenti. La vie se concentre autour de la Place Jamâa El Fnâa où les restaurants éphémères se sont montés en quelques instants. Depuis la terrasse de la maison, venant de la Place, on entend le roulement des percussions. Les charmeurs de serpent et leur ghaïta ont disparu. D’autres musiciens animent la place. Les Gnaouas en leurs tuniques rouges et leur calotte à pompon qu’ils font tourner d’un mouvement du cou. Des panaches de fumée s’élèvent au-dessus des grillades.

La rumeur de la place s’éteint doucement

Le calme de la nuit s’installe. Jusqu’au réveil du lendemain.

Ainsi vont les bruits de Marrakech, dans la médina.

& & &

« Les voix de Marrakech ». En 1953, Elias Canetti fait un voyage à Marrakech. Au cours de ses promenades à travers les quartiers arabes et juifs de la ville, il enregistre des voix, des bruits, des gestes et des images qu’il relate dans son journal, aussitôt de retour à Londres. Il en tire un récit à lire avec un immense plaisir. Voir la note de lecture sur cet ouvrage ==> ICI

Voir les album photos de Marrakech ==> ICI

Marrakech, ancienne cité impériale de l’ouest du Maroc, centre économique majeur abritant des mosquées, des palais et des jardins. La médina est une cité médiévale entourée de remparts. Elle est densément peuplée avec ses ruelles (derbs) entremêlées tel un labyrinthe, où les souks (marchés) offrent des étoffes, des poteries et des bijoux traditionnels. Symbole de la ville, le minaret de la mosquée Koutoubia du XIIe siècle est visible à des kilomètres.

Pour en savoir plus sur la ville de Marrakech, voir ==> ICI

A noter que la Koutoubia a été construite dans les mêmes années que Notre Dame de Paris et le Temple de la littérature de Hanoï. Trois aires culturelles, trois oeuvres différentes dans leur sublime beauté. On trouvera des photos de ces trois édifices dans l’album de ce site :  

  • Photos de la Koutoubia dans tous les albums sur la ville ==> ICI
  • Photos de Notre Dame de Paris avant l’incendie de 2019 ==> ICI
  • Et le lendemain de l’incendie ==> ICI
  • Photos du Temple de la littérature de Hanoï ==> ICI

[1] La ghaïta (prononcer raïta) fait partie de la famille des hautbois rencontrés sur un territoire allant du Maroc à la Turquie. En général la ghaïta se joue avec la technique du souffle continu. Elle est souvent associée avec le bendir. (Wikipédia)


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