« Un moment à Pékin (1) » de LIN Yutang – 1- Enfances chinoises. Avec ce roman de plus de 1200 pages, nous plongeons dans une grande fresque familiale qui nous emmène au sein des classes dirigeantes chinoises au début du XX° siècle à Pékin et dans les régions alentours. Au moment où le pays entre dans un siècle de turbulences et mutations gigantesques. Des mutations qui vont faire passer le pays le plus peuplé de la terre, de l’Empire du Milieu en déroute à la seconde puissance mondiale à la fin du siècle.

Cette note de lecture porte sur la 1ère des deux partie du roman. Une partie intitulée « Enfances chinoises ».

Ce roman se découvre en trois niveaux de lecture

  • Il y a d’abord les évènements historiques qui vont affecter les familles au sein desquelles se déploie le récit. La première partie commence avec la révolte des Boxers (1899-1901), leur instrumentalisation cynique par l’impératrice, l’insécurité sur les routes pour quitter Pékin… La seconde partie débute avec la révolution et la chute de l’Empire (1911-1912) et les bouleversements qui s’en suivent dans la société.
  • Il y a ensuite les descriptions minutieuses de la vie sociale dans la Chine de cette époque. Les règles qui dictent l’éducation des filles et les comportements des personnages au sein de la famille. Avec une assignation forte dictée par le milieu social. Où la place de la femme, ce qu’elle peut faire et surtout ne pas faire, est au cœur du système de conventions qui organise la vie au sein des familles et entre les familles. L’éducation des filles est décrite en détail. Comment faire d’une fille une bonne épouse, soumise, instruite (mais modérément), sensible… Le tout dans l’immense respect que les enfants doivent à leurs ainés.

Les règles dictent les comportements

Ces règles s’expriment par exemple par la façon dont on appelle une personne

Dans les familles élargies, ces façons de se désigner servaient à marquer la nature du lien et le rang. « Grande sœur » ou « Troisième sœur », « Tante » ou « Frère », « Jeune maître » ou « Jeune maîtresse » (les enfants) pour marquer également les liens au sein des familles. Mais aussi entre les familles. Les servantes participaient à cette complexe ingénierie de la nomination.

La ville, la cuisine, les accents, le mariage…

D’autres thèmes font aussi l’objet de description méticuleuse, comme la ville de Pékin qui est hautement célébrée. La cuisine des différentes partie de l’Empire. Les différents accents des parlers qui vous situent dans la géographie du pays. Et dans le rang social. Parler avec l’accent de Pékin est de la plus haute distinction. Les façons de se vêtir et les signes sociaux qu’elles délivrent. Les rituels sophistiqués du mariage. La composition des coffres de cadeaux qui accompagnent la mariée qui va s’installer dans la maison de la famille de son mari. Les rituels qui entourent la mort. L’organisation et la décoration des maisons patriciennes… Mais aussi les feux d’artifice, les combats de grillons…

L’auteur montre une belle appétence pour observer et décrire tout ce qui caractérise son pays ! Le tout fait œuvre quasi-scientifique !

  • Il y a enfin le récit des émotions, des sentiments, des amours. Et des évènement qui ponctuent la vie. Le mariage, la mort. Les conflits, la transgression des règles et les réactions des parents quand le fils ainé de la famille s’éprend de la servante qui l’a servi depuis plusieurs années…

Des liens se tissent, croisant étroitement sentiments et règles. Entre amis, entre parents et enfants, entre amoureux. Entre maitres et servantes. L’auteur peint avec une extrême sensibilité les émotions, les échanges entre les personnages.

« Un moment à Pékin (1) » de LIN Yutang - couverture du livre

« Un moment à Pékin (1) » de LIN Yutang nous fait vivre aux coté de deux jeunes filles, les héroïnes du roman

Ce sont Moulane et Mannia, jeunes filles porteuses, chacune, d’une forte individualité. Le courant moderniste est passé par là. L’Impératrice a su écarter les réformistes avant l’effondrement de l’Empire. Mais bien des idées « modernes » ont commencé de se répandre dans la société. Qui s’impriment différemment dans la vie de ces deux filles et au-delà dans l’organisation familiale et les nouvelles façons d’aborder les règles.

Les servantes

Chacun des personnage, y compris les enfants, est secondé par une ou plusieurs servantes. Celles-ci occupent une place importante dans ces familles. Elles ont été vendues par leur famille (ou par des voleurs d’enfants) au maitre de maison. Elles portent des noms que les maitres leur ont donné : Arôme Froid, Phénix, Ecran d’Argent, Fleur de Neige, Petite Joie, Encens… Mais aussi Senteur vague, Buisson de miel, Parfum rare… Leur statut « d’esclave » leur est parfois jeté à la figure par la maitresse en colère. Les grandes maisons qui les abritent comprennent ainsi une collectivité nombreuse.

Les maisons de maitre

La maison comporte de nombreux bâtiments reliés par des couloirs et séparés par des jardins où grenadiers et petits étangs décorent les espaces [1]. Des petits étangs que l’on franchit sur des « ponts en zigzag ». Voir au sujet des ponts en zigzag ==> ICI

Une trame de récit mouvementée

Le récit se déroule sur une trame marquée par des évènements qui s’impriment fortement dans la vie des personnages. La fuite de Pékin de la famille du riche commerçant YAO devant l’avancée des troupes étrangères qui vont mater la révolte des Boxers.

Dans le chaos de cette fuite, la perte de la fille YAO Moulane. Puis son rapt par un couple de Boxers en déroute [2]. Les enleveurs d’enfant formaient des bandes qui œuvraient depuis des siècles en Chine. Perdre un enfant était une terreur pour les familles. Surtout les familles riches. Moulane, fillette de 10 ans, est prisonnière. Et sera délivrée contre rançon.

C’est Monsieur TSENG, haut fonctionnaire et ami de la famille YAO, qui retrouve l’enfant et paye le prix de sa liberté. Moulane va ensuite retrouver sa famille après deux mois passé dans la famille TSENG. Cet épisode douloureux va rapprocher les deux familles. Et aura une grande importance dans le destin de Moulane.

Cette trame est croisée avec une série de descriptions des « institutions » chinoises de la fin de l’Empire

Par « institutions », nous entendons les règles formelles et informelles, les rituels, les coutumes qui structurent les hautes classes de la société chinoise. Qui puisent leur force et leur légitimité dans l’Histoire longue de l’Empire. Et qui sont mises à mal par le courant moderniste qui se répand dans l’Empire.

Les pieds bandés

Mannia, qui va entrer dans le récit en épousant un des fils TSENG, a été élevée dans la plus stricte tradition. Pour devenir une épouse comme les règles l’imposent. Elle a les pieds bandés et en est fière. Moulane n’a pas eu les pieds bandés. Son père, touché par les idées modernes, a refusé ce supplice. Mais il arrive à Moulane d’envier son amie Mannia dont les pieds raccourcis offrent la plus parfaite élégance, selon elle. Que va faire Moulane de ses « grands pieds » ?

« Un moment à Pékin (1) » de LIN Yutang - chaussures - pieds bandés
Chaussures de chinoises aux pieds bandés. Musée de la chaussure – Romans sur Isère

Les combats de grillons

Les fils de la famille possèdent des grillons qu’ils font combattre entre eux en de féroces batailles. Les bêtes y laissent pattes, antennes, parfois la vie. Les garçons sont passionnés par ces combats. Mais tout cela laisse les filles indifférentes. Et même dédaigneuses. Un dédain qu’elles expriment discrètement, pour ne pas choquer les garçons qui ont une position nettement plus élevée dans la famille.

La maladie

Pingya, fils ainé de la famille TSENG, est brusquement atteint d’une grande faiblesse. De fièvres. D’un manque d’appétit. Un des médecins du Palais, ami de la famille, prend en charge ses soins. L’approche de la médecine chinoise est présentée avec détails. Entre les éléments « chaud » et les éléments « froids ». Et la recherche d’un nécessaire équilibre entre eux. Des décoctions savantes sont administrées. L’une contient du salpêtre !

Une servante est affectée à le veiller nuit et jour. A le faire manger. Mais la mère de Pingya pense que ce qui peut le sauver, c’est l’amour de Mannia. Pingya et Mannia s’aiment, comme peuvent s’aimer deux jeunes que les strictes conventions écartent en permanence. Le médecin approuve le projet de la mère. On fait alors venir Mannia à Pékin. Elle est follement heureuse de retrouver Pingya. Même si elle le retrouve au bord de la mort.

Le mariage des deux jeunes est décidé. La mère de Mannia y consent. Mais Mannia donnera-t-elle son accord ? Elevée dans la tradition, elle accepte. Le fait-elle par amour pour Pingya ? Par soumission à sa mère ? Certainement par une combinaison des deux.

Un mariage singulier

Le jeune homme est mourant. Le mariage parait comme ultime tentative pour éviter l’issue fatale. L’auteur LIN Yutang décrit les règles complexes du mariage et comment elles sont détournées pour permettre ce mariage au seuil de la mort. La santé de Pingya se dégrade. Il ne peut plus se lever. Mannia peut-elle l’approcher avant la cérémonie ? Elle le désire tant ! Les mères des deux époux font preuve de souplesse en combinant respect des règles et accommodements dictés par la nécessité.

Le mariage est célébré. Sans le faste que le rang des familles aurait autorisé. Mais il y a quand même des pétards, de la musique et des danses. Mais pas de grand festin. Au lendemain de cette noce particulière, Pingya meurt. Mannia se retrouve veuve et vierge.

La mort et ses rituels

La famille organise l’enterrement du jeune marié. Là encore, on doit jouer avec les règles. La mariée, aussitôt veuve, a un rôle à jouer. Ce sont les mères qui organisent la mise en scène des obsèques en une chorégraphie complexe. Mannia restera dans la famille TSENG, comme bru aimée de tous.

L’amour

Le récit de l’auteur porte haut la valeur de l’amour, par-delà les conventions, les règles. C’est dans l’amour que les familles mettent leur espoir de guérison du fils. C’est par amour que Mannia épouse Pingya alors que son état empire. Et c’est l’amour qui relie Mannia et Moulane, un amour qu’elles ont scellé dans un pacte secret. Celui de rester des sœurs fidèles pour toute leur vie.

Le mariage

C’est la grande affaire des mères, comme en bien d’autres lieux dans le monde. Dans la haute société chinoise, les calculs sociaux sont au cœur de leurs démarches. En croisant ces calculs avec les éléments surnaturels. Les horoscopes des deux fiancés sont-ils en phase pour cette « union des cœurs » ? Et de quel signe chacun est-il, est-elle ? Bois ? Terre ? Feu ? Eau ? Or ? Attention au rapprochement néfastes de signes. L’Eau et la Terre ne vont faire que boue. Le Feu va consumer le Bois. Mais Terre et Bois sont complémentaires. Et pas question de se marier avec une personne du même signe !

L’amour, encore l’amour

Les jeunes des deux familles ont grandi. La question de leur mariage se pose. Le hasard des rencontres fait apparaitre dans le paysage des deux familles Lifou, un jeune homme d’extraction modeste. Il a une grande soif d’apprendre et l’esprit vif. Sa rencontre avec Tijen, fils ainé de la famille YAO qui n’a pas besoin d’étudier pour trainer sa vie dans l’opulence et le courroux du père, perturbe les jeunes filles. Moulane découvre que des ambitions légitimes peuvent exister hors de leur classe sociale.

L’émergence de l’individu

Dans cette société où la tradition règne en maitre, les mariages sont arrangés par les parents. Par les mères surtout. L’amour vient avec la vie commune, la famille qui s’agrandit avec les enfants…

Pourtant, Moulane que les idées modernistes de son père inspirent, se laisse aller à écouter ses émotions. Elle sait qu’elle a été promise par les parents à un des fils TSENG. Et c’est sa jeune sœur, Mocho, que les mères ont promis à Lifou. Mais Moulane se questionne sur les étranges émois qui l’étreignent quand elle voit le jeune Lifou (ce qui est très rare). Ou quand elle y pense (ce qui est fréquent).

Elle n’a pas de mots à mettre sur ce qu’elle ressent. En parler ? Totalement impossible même à Mannia son amie de cœur. Ses sœurs ? Sa mère ? Il ne faut pas y penser ! Et comment le pourrait elle alors que les mots lui manquent ? Seule la poésie offre aux sentiments des épanchements dans l’émotion. Les évocations du temps qu’il fait (la neige, la pluie, le soleil, le froid…) et des fleurs sont là pour suggérer les émotions amoureuses.

Pourtant, l’amour a été reconnu dans la tentative de guérison du fils TSENG avec l’arrivé de Mannia près du jeune homme. Mais un amour doublement cadré par l’issue redoutée du jeune homme et par le mariage à venir et son rituel qu’il faudra aménager.

Avec une remarquable finesse, l’auteur nous fait partager l’éclosion de ce sentiment dans le cœur de Moulane. L’éveil à l’amour. Pourtant, celle-ci sait qu’elle va épouser TSENG Sunya. Elle y consent d’avance. Peut on dire qu’elle est résignée ? Ce serait voir la scène avec les yeux du Nord.

Pour la mère, l’histoire est toute autre

La maman, maitresse de la maison YAO, est inquiète. Moulane est si belle, si intelligente. Quel avenir pour une femme trop remarquable par sa beauté et ses dons, se demande-t-elle ?

Et elle pressent les poussées vers la modernité de sa fille. Les parents finiront par se laisser convaincre d’envoyer leurs deux filles, Moulane et Mocho, étudier dans une école moderne. Quelle bouleversement !

La modernité importée d’Occident

Parmi les hautes classes de la société impériale, le débat s’est ouvert avec l’irruption des éléments de modernité importés d’Occident. Cela porte d’abord sur les apparences. S’habiller à l’occidentale, porter des lunettes de soleil, couper sa natte pour un homme, ce symbole d’asservissement au pouvoir mandchou… Cela pèse sur la façon dont les familles se structurent, s’allient par des mariages. Comme dans toutes les sociétés du monde, la modernité s’invite avec fracas dans les mœurs. Et met à rude épreuve les règles ancestrales qui organisaient les relations sociales.

La société résiste à ce déferlement

Comment trouver du respect pour ces gens qui mettent le prénom avant le nom. Ici, on est YAO Tijen, et pas Tijen YAO. On note que sur la couverture du livre, le nom de l’auteur est bien écrit à la chinoise : LIN Yutang.

Et que dire de ces gens qui écrivent comme les crabes marchent, de gauche à droite ? Et non de haut en bas comme il se doit !

Découvrant une montre qui sonne les heures, les demi-heure et les quart d’heure, la grand-mère TSENG s’exclame : (p 527) « Ces étrangers ignorent les usages mais ils font tout de même des choses bien étonnantes. »

« Un moment à Pékin (1) » de LIN Yutang (note de lecture)? Une histoire tissée au sein de ces jeunesses chinoises dans ces riches et puissantes familles

Un drame familial. Toutes à la perpétuation de la grandeur et de l’honneur de leurs familles, les mères pensent aux mariages de leurs enfants. Les jeunes, en revanche, sont dans la vie immédiate. Surtout le fils ainé YAO Tijen qui s’est épris d’Ecran d’Argent, la servante qui l’accompagne depuis son adolescence. Une jeune femme de son âge.

Désespéré de la mollesse et l’indécision de Tijen son fils ainé, le père projette de l’envoyer en Angleterre. Non pas pour étudier. Il n’en a pas besoin. Mais pour qu’il « devienne un homme » selon les propos du chef de famille. La mère est bouleversée, mais se résigne en pensant que c’est une façon d’éloigner Tijen de la servante Ecran d’Argent qui a pris son cœur. Tijen prend le bateau. Toute la famille l’accompagne pour ce départ lointain… Mais il débarque à Singapour et y reste dépenser l’argent que son père lui a donné. Une vie de débauche. Il continue cependant de penser à Ecran d’Argent.

Le drame de l’honneur

La mère avait promis à son fils de garder la servante dans la maison familiale jusqu’à son retour. Mais elle joue d’un stratagème pour tenter d’imposer à la jeune femme un mariage avec un homme de sa classe. Ecran d’Argent s’enfuit de la maison YAO et trouve refuge chez un couple marginal. La femme accueille des hommes chez elle. Sexe et opium. Le mari, inconsistant, vend des bonbons dans la rue.

On entrevoit alors, dans le fil du récit, les classes populaires qui peuplent Pékin. Ecran d’Argent ne se laisse pas entrainer dans les turpitudes de son hôtesse. Elle est sûre d’elle, elle sait que Tijen reviendra. Elle l’attend, elle a pris sur lui un ascendant certain.

Tijen revient et retrouve Ecran d’Argent

L’échec de son voyage accroit la colère du père. Tijen accepte de travailler dans l’entreprise familiale. Mais s’absente souvent et emprunte de lourdes sommes d’argent, « pour payer ses dettes de jeu », dit-il. En réalité pour entretenir à grands frais sa maitresse, Ecran d’Argent.

Un garçon nait de cette union. Alors que le père est en voyage, la mère apprend la nouvelle. C’est la catastrophe : la famille est humiliée, son honneur bafoué. La mère, intraitable, veut récupérer l’enfant qui est du sang YAO. Tijen tente de résister. Mais, aidée par les servantes et le portier, la mère est la plus forte. Le bébé est capturé. Ecran d’Argent a perdu devant la détermination de la mère à défendre l’honneur de la famille et la puissance sociale de celle-ci. Tijen veut la retrouver. Il la découvre morte, pendue dans sa maison.

La grande Histoire surgit entre les lignes du récit

En 1908, l’empereur Kouanghsou (Guangxu) meurt empoisonné probablement sur ordre de sa tante, l’impératrice Tseu Hi. Elle-même meurt le lendemain, d’une maladie subite du foie, mais on parle d’empoisonnement. Elle a 73 ans. L’impératrice laisse la Chine dans le chaos.

(p 482) « La vieille femme ignorante qui avait tenu le pouvoir pendant toute la seconde moitié du XIX° siècle avait, plus que personne au monde, entravé le développement de la Chine. Sans elle, l’empereur Kouanghsou, qui était pour le progrès, aurait certainement continué dans la voie des réformes. Jusqu’à la fin, pareil à un aigle dont on a coupé les ailes, l’empereur demeura soumis à sa tante. L’ignorance, lorsqu’elle s’ajoute à un caractère énergique, était une double malédiction. (…)

L’impératrice avait en fait détrôné l’empereur et l’avait emprisonné à la Terrasse de Yingtai, au milieu du Lac de la « Mer du Sud », dans l’enceinte du Palais. (…) Elle savait que si l’empereur lui survivait, une terrible vengeance s’exercerait sur sa mémoire et sur son âme. Aussi, lorsqu’une longue dysenterie eut épuisé ses forces et qu’elle comprit que ses jours étaient comptés, elle fit empoisonner son neveu deux jours avant qu’elle-même mourût. (…) La révolution était dans l’air. »

« Un moment à Pékin » dans sa première partie (« Enfances chinoises ») va se terminer dans l’apothéose du mariage de YAO Moulane avec TSENG Sunya

Deux familles d’une immense richesse. La famille YAO tient cette richesse du commerce de thés et de plantes médicinales (les simples [3]). Le père, instruit, cultivé, est un grand connaisseur des antiquités chinoises dont il a composé une imposante collection dans sa riche maison. Avec gout et savoir. Il est adepte de la doctrine taoïste [4], a priori plus ouverte à la modernité.

La famille TSENG tient sa richesse de la position du père dans l’administration de l’Empire. C’est un mandarin de haut rang, un haut fonctionnaire au service de l’Impératrice. Confucianiste convaincu, il est un partisan irréductible du monde d’avant la révolution. Il repousse tout ce qui vient de l’étranger : livres, objets, institutions, mœurs… Pour lui, les étrangers ce ne sont que des barbares, même s’ils ont d’habiles artisans (Moulane lui a donné une montre qui sonne les heures, achetée à Singapour et importée d’Europe).

Pour lui, un pays « sans roi et sans père » est soumis au chaos où l’individu a toute licence. Dans sa grande maison, il vit avec son épouse et sa concubine Cassie. Les deux femmes dirigent la maison dans toutes ses dimensions. Y vivent bien sûr les enfants et une trentaine de domestiques.

C’est par le hasard du sauvetage de Moulane, fille YAO, au cours du chaos qui a suivi la révolte des Boxers en 1900, par TSENG, que les deux familles se rapprochent étroitement. Au point de vouloir se lier par le mariage de leurs enfants.

Le feu d’artifice du mariage de Moulane

L’Impératrice est morte, mais l’ordre impérial n’est pas encore renversé. Il faudra attendre la révolution de 1909 pour voir s’effondrer les règles qui avaient soutenu l’ordre social de l’empire.

Les familles YAO et TSENG vont s’unir par le mariage de Moulane avec Sunya.

Elles veulent marquer leur rang, leur pouvoir, leur richesse. Elles feront de ce mariage un évènement somptueux. En mobilisant des dizaines d’artisans, cuisiniers, couturiers. Les deux mères dirigent l’opération de main de maitre. Les enfants aident en prenant en charge les différentes dimension de la fête.

Celle-ci doit suivre un rituel strict, fait de visites entre les deux familles, d’accueil des invités, de moment pour les mariés, épuisés par les rôles qu’ils ont à jouer. Un rôle principal dans l’apparence : ils sont au centre des attentions. Mais en position passive.

Pourtant, Moulane ne respecte pas totalement les règles. Au lieu de rester les yeux baissés, sans un mot, sans un sourire, pendant toute les cérémonies, elle se permet d’exister par des mots, des expressions, des regards. Mais on pardonne tout à Moulane tant elle a de charme et d’intelligence ! Et finalement, de bienveillance vis-à-vis des autres. Et elle passe avec brio l’épreuve du moment où les amis sont autorisés à « taquiner la mariée » en retournant l’échange à son avantage.

Le bouquet final: le feu d’artifice

C’est la fin des trois jours de la fête de mariage. Un moment qui marque avec éclat la puissance des familles. Les gens du quartier se pressent dans les rues pour voir le spectacle. Le vieil artificier qui a composé le divertissement est fier de son œuvre. Celle-ci inscrit dans le ciel de la nuit des formes autant éblouissantes qu’éphémères.

Les figures qui dessinent ces formes dans la nuit ont des noms : « Neuf Dragons pénétrant dans les nuages », « La Grappe de Raisin », « Les Pêches dégringolantes », « Le Lotus qui s’épanouit vite », « Les Souris bondissantes », « Huit féées tenant la pêche de Longévité », « Sept Saints domptant le Démon »… Et l’un de ces tableau qui prenait le singe comme motif a été rapidement appelé « Le Singe qui pisse ».

(A suivre, la seconde partie : « Un moment à Pékin.  2- Le triomphe de la vie » ==>ICI

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LIN Yutang (chinois traditionnel : 林語堂), (1895 – 1976), est un écrivain et inventeur chinois, dont la traduction de classiques chinois en anglais a aidé à leur diffusion en Occident. Il est né dans la ville de Banzi dans la province du Fujian, dans la Chine du Sud-Est. Son père était pasteur. Après des études à la Saint John’s University de Shanghai, Lin Yutang obtient une bourse pour des études doctorales aux États-Unis, à Harvard. Mais il n’y reste que quelque temps et c’est à l’université de Leipzig qu’il obtient son doctorat. Il enseigne la littérature anglaise à Beida de 1923 à 1926. Lin retourne aux États-Unis en 1931.

Passeur très actif de la culture chinoise, il travaille sur la romanisation du chinois, crée un système d’indexation des caractères chinois et invente une machine à écrire adaptée à l’écriture chinoise. Wikipédia.

Pour en savoir plus sur l’auteur, voir ==> ICI

[1] Voir les photos de la maison du mandarin à Shanghai ==> ICI

[2] Sur la révolte des Boxers, voir ==> ICI

Voir également « Mémoire d’un eunuque dans la Cité interdite » ==> ICI

[3] Les simples ou simples médecines (simplicis medicinae ou simplicis herbae selon ses appellations latines) était le nom donné au Moyen Âge aux plantes médicinales. (Wikipédia)

[4] Le taoïsme (chinois : 道教 ; litt. « enseignement de la voie ».) est un des trois piliers de la pensée chinoise avec le confucianisme et le bouddhisme, et se fonde sur l’existence d’un principe à l’origine de toute chose, appelé « Tao » (Wikipédia). Pour en savoir plus, voir ==> ICI

 


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