« La muraille de Chine » de KAIKÔ Takeshi. Il y a quelque chose qui cloche dans ce livre. Est-ce la traduction qui est inadéquate ? Je pencherai plutôt pour l’œuvre elle-même. Celle d’un écrivain japonais contemporain qui écrit sur la Chine. Sur le grand « modèle » dont on suppose qu’il rassemble un tas d’impensés pour cet écrivain.

Un récit plein d’anachronismes, d’approximations. Où la projection de la Chine d’il y a 2300 ans sur le régime communiste et autoritaire de Mao transparait entre les lignes. Un récit décentré par rapport au titre. De la muraille, on ne lira que quelques pages à la fin du livre. Avec un sous-titre, « Récit d’un fugitif », qui ne correspond pas au contenu du livre. Le héros du récit n’est en rien un fugitif. Il est plutôt le captif des plans grandioses de l’Empereur qui veut construire cette muraille gigantesque et stabiliser le pays dans la soumission et la violence.

Un texte étrange

Le « Récit d’un fugitif » est censé se dérouler à l’époque où a commencé la construction de la Grande Muraille [1]. C’est-à-dire le III° siècle avant Jésus Christ. Mais la description de la vie dans la petite ville où notre héros s’active, entre son commerce et son champ, ne reflète en rien une époque lointaine. Le récit est suspendu en l’air, sans attache précise. Et cette « suspension » n’est pas un objet dans la construction du récit. Elle est presque posée comme une évidence qu’on ne traite pas.

Takeshi Kaikô attache une grande importance aux matières

La terre est très présente dans le récit. C’est le sol poussiéreux qui soupoudre la plaine et se soulève avec le vent. C’est l’élément pour construire les murailles qui entourent les petites villes de l’immense campagne chinoise. Une terre fertile, faite de lœss riche et gras « comme le ventre d’une femme » [2].

Ce sont aussi les muscles des hommes qui peinent au travail. Les muscles qui se tendent sous les coups de fouet des soldats qui mènent le troupeau humain vers la capitale. Puis vers l’immense chantier de construction de la Muraille. Ce sont aussi les corps des hommes rompus de fatigue, qui dorment à même le sol, à même la terre, en mêlant la sueur, le sperme, l’urine.

Une terre déchirée par les conflits

La guerre est permanente. Entre bandes que des « généraux » commandent à répandre la terreur sur le monde paysan. Pillant les ressources arrachées à la terre laborieusement. Des bandes de voleurs qui ne cessent de guerroyer entre elles. Paysans producteurs de richesses, soumis à la violence de ces hordes de pillards.

« La muraille de Chine » de KAIKÔ Takeshi couverture du livre

Et puis arrive l’Empereur

C’est le premier maitre qui fait régner son ordre sur l’immensité du pays. Un ordre cruel, violent, arbitraire. Mais qui réduit et écarte les « généraux » et la soldatesque de pillards.

Les roitelets querelleurs sont mis au pas. L’Empereur incarne un pouvoir centralisé, autoritaire, sanguinaire, parfaitement organisé. Le nouveau maitre met fin au chaos pour imposer sa volonté hégémonique, violente et mégalomaniaque.

La peur du pouvoir central

Le nouveau maitre transforme la peur des roitelets servis par une soldatesque de mercenaires sans foi ni loi, en peur du pouvoir central. Avec ses soldats appliquant sans remord des ordres cruels pour concentrer sur le Nord du pays des millions de paysans. Des hommes qui vont ériger cette œuvre gigantesque, la « Grande muraille ».

Un édifice fait de briques de terre cuites au soleil. De millions de briques à fabriquer à partir de la terre. A transporter. A empiler selon une disposition précise. La Muraille s’allonge lentement au fil de ce travail harassant.

Au loin, au-delà de la Muraille, c’est le désert

Un désert aride, fait de sable et de pierres. C’est le monde des nomades qui se déplacent en hordes avec leurs troupeaux. Montés sur des chevaux rapides, ils harcèlent les ouvriers bâtisseurs de la Muraille et les soldats qui sont censés les protéger.

Fugitif ?

Dans les dernières lignes de ce court récit, dont on dit qu’il aurait été écrit en une nuit, l’auteur offre une ouverture à son héros. Celle de rejoindre ces nomades Hiungnu [3], ces barbares, ces « Apaches » qui caracolent de l’autre côté de la Muraille. Au loin, dans le désert, entourés de leurs troupeaux. Des hommes se jouent de l’ordre que les soldats de l’Empereur et sa Muraille tentent de construire.

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Takeshi Kaikô est né en 1930 et mort en 1989. Écrivain globe-trotter, il rapportera de ses périples en Chine, en URSS, dans le Paris de 1968 des reportages d’une grande perspicacité. Après plusieurs romans, il décède en 1989 avant de pouvoir terminer une série vietnamienne intitulée « Ténèbres ». Wikipédia. Pour en savoir plus sur l’auteur, voir ==> ICI

Sur cette région, on pourra lire la note de lecture du « Loup bleu ». Voir ==> ICI

[1] La Grande Muraille1 (長城, litt. « la longue muraille »), est un ensemble de fortifications militaires chinoises construites, détruites et reconstruites en plusieurs fois et à plusieurs endroits entre le iii° siècle av. J.-C.et le xvii° siècle pour défendre la frontière nord de la Chine. C’est la structure architecturale la plus importante jamais construite par l’être humain à la fois en longueur, en surface et en masse. Wikipédia. Pour en savoir plus, voir ==> ICI

[2] Le lœss est une roche sédimentaire meuble formée par l’accumulation de limons issus de l’érosion éolienne, dans les régions désertiques et périglaciaires. Wikipédia.

[3] Les Huingnu ou Huing Nu ou Xiongnu sont une confédération de tribus venue de l’actuelle Mongolie nomadisant dans les steppes entre le lac Baïkal et la Chine du Nord. Ils sont mentionnés par des sources chinoises pour la première fois vers l’an 245 avant JC. Wikipédia.