« Le Loup Bleu » de Yasushi INOUE (note de lecture). Le Loup Bleu, c’est l’ancêtre de Gengis-khan, le Khan suprême.  Yasushi Inoue, nous raconte son histoire. A partir des légendes, des textes d’époque, des travaux scientifiques, Inoue tricote ici le fil d’une œuvre de fiction captivante. Un roman historique qui donne à voir également l’imaginaire de l’auteur, un écrivain japonais du XX° siècle qui écrit sur la Chine [1]. Mais aussi qui raconte la grande Histoire de l’Asie centrale et de l’Est. Et de la Chine d’aujourd’hui.

On retrouve ici la même région où se déploie le roman du même auteur, Lou-lan, qui parle de cette petite communauté à l’Ouest de la frontière chinoise deux siècles avant l’ère occidentale. (voir note de lecture sur Lou-lan ==> ICI)

Dans l’immense steppe au Nord de la Muraille de Chine

Nous sommes au XIII° siècle de l’ère occidentale. Dans ces plateaux entourés de montagnes, traversés par de grands fleuves, dont celui de l’Amour. Des groupes humains nomadent sur ces immenses espaces. Mongols, Tatars, Kereyits, Onggiras… Entre Lac Baïkal au Nord et Désert de Gobi au Sud-Ouest, la Muraille de Chine au Sud-Est. Au sein de chaque tribu, des multitudes de clans se querellent. Entre alliances éphémères et luttes fratricides. Les tribus ne sont pas en reste qui se font des guerres incessantes.

« Le Loup Bleu » de Yasushi INOUE met en scène le ciel (le Loup Bleu) et la terre (la Biche Blanche)

La légende attribue à l’accouplement entre un Loup bleu et une Biche blanche l’origine du chef des Mongols. Les générations qui en sont issues ont toutes pris pour chef des hommes qui descendaient de ce couple mythique. Un couple qui marque l’identité des Mongols, l’appartenance à la tribu. Une appartenance dont le sentiment est entretenu par les récits de la succession des chefs qui ont dirigé la grande Tribu mongol depuis la nuit des temps. Dès lors que l’on est assuré de faire partie de cette lignée issue du Loup et de la Biche, on est Mongol. Et on peut revendiquer d’en devenir le chef.

« Le Loup Bleu » de Yasushi INOUE

Pas de règle de successions au sein de la tribu : tout Mongol peut aspirer à diriger la Tribu

Cette absence de règle provoque deux effets majeurs. D’une part, des luttes fratricides permanentes entre les clans qui composent la tribu. Qui s’ajoutent aux guerres entre les tribus. Dès lors, il faut laisser de grands espaces entre les clans, mais aussi entre les tribus, pour limiter les occasions de rencontre et les frictions possibles. Qui dégénèrent souvent en guerres.


Amin Maalouf « Les croisades vues par les arabes »

On pense ici au récit de l’auteur franco-libanais [2] qui raconte que les Croisés avaient, sur les tribus arabes évoluant dans ce qui constitue aujourd’hui le Proche Orient, un avantage décisif au moment de la mort du chef. Les Croisés pratiquaient la transmission du pouvoir au fils ainé du Roi défunt. Une règle formelle relativement facile à édicter et reconnaitre. Les tribus arabes de leur côté réunissaient, au moment de la mort du chef, une assemblée pour désigner parmi les multiples chefs tribaux celui qui serait le plus apte à diriger la communauté.

Ce mode de désignation était théoriquement plus rationnel. Puisque c’est sur la qualité de chef que celui-ci devait être désigné. Mais dans les faits, il se traduisait par des luttes sans fin. Chaque tribu étant persuadé que son chef était le meilleur. Ces luttes créaient des vides de pouvoir dans les rangs arabes, des périodes de doute et de désarroi. Moments dont les Croisés profitaient. Ils sont restés au Proche Orient pendant 4 siècles, de 1095 – 1492 [3].


L’obsession de l’identité

D’autre part, cette absence de règle provoque une obsession de l’appartenance à la lignée, à la Tribu. Sans cette appartenance, toute volonté de devenir chef est vaine.

Les conflits incessants au sein et entre les tribus se soldent par des morts d’hommes et des rapts de femmes et d’enfants. Et avec ces rapts de femmes, le doute s’installe sur la véritable paternité de bien des enfants. Des enfants qui naissent de ces femmes qui ont changé de maitres au grès des victoires et défaites des clans et tribus.

« Suis-je réellement Mongol ? » se demande Temüjin, le jeune homme qui vient de perdre son père qui dirigeait un des clans mongols alors que sa mère s’échappe d’une capture par une tribu ennemie.

D’immenses espaces très peu peuplés

Les immenses plateaux aux riches pâturages, aux fleuves poissonneux, restent très peu peuplés. Les clans demeurent isolés les uns des autres. « Protégés » par les immenses espaces vides entre eux. Protégés de leurs méfiance permanente. Mais aussi de leur « désir de conflit » [4].

Le jeune Temüjin reconstitue un clan autour de sa famille

Yesügeï, chef d’un des clans mongols, est empoisonné par les membres d’un clan rival. A sa mort, sa famille est abandonnée par son clan qui se met sous la protection d’une autre tribu. La famille du défunt Yesügeï se réduit à une femme et de jeunes enfants. L’ainé de ces enfants, Temüjin, va s’éveiller à la vie dans cet environnement particulièrement hostile. La petite communauté, pauvre, sans ressources, est à la merci d’autres clans et tribus.

Temüjin prend, à 14 ans, la direction de ce petit groupe humain

Il n’a de cesse d’organiser la vie de sa petite communauté, de la défendre. Et surtout, de chercher à la renforcer. Il recueille auprès d’autres clans des information sur sa région, sur les forces qui la composent et qui la structurent. « Pourquoi les Mongols sont-ils si dispersés ? Si fragmentés en clans hostiles ? Si peu solidaires entre eux ? » se demande-t-il ? C’est cette interrogation, que l’auteur attribue à ce jeune homme qui va devenir Gengis-khan, qui va conduire la vie du futur empereur du plus grand espace jamais réunifié dans l’Histoire humaine.

Le jeune Temüjin n’a de cesse de renforcer son clan

Au départ, ce clan est minuscule. Il regroupe quelques très jeunes hommes autour de Temüjin [5]. Celui-ci va le renforcer constamment. D’abord en attirant à lui quelques jeunes hommes d’autres tribus, d’autres clans. Mais aussi des enfants orphelins de plusieurs clans et tribus. Avec le désir permanent d’unifier les Mongols.

Ensuite, en nouant des alliances opportunistes avec d’autres clans beaucoup plus puissants que le sien. On s’engage dans une alliance et on se promet une fidélité absolue. Mais on sait que cette alliance est fragile et peut être dénoncée dès qu’une occasion favorable se présente. On combine une alliance à deux tribus contre une troisième. Mais après la victoire, on sait qu’on aura à affronter son allié.

C’est ainsi que le petit clan de Temüjin a contribué à écraser la puissante tribu des Tatars

Profitant de l’attaque par l’empereur de Chine de la tribu Tatar au Nord de la Grande Muraille, Temüjin s’allie à un puissant clan mongol pour prendre en tenaille les Tatars, ennemis de toujours des Mongols.

Ecraser une tribu, cela signifiait tuer tous les hommes, et capturer femmes et enfants, pour en faire des serfs ou de futurs mongols par la transmission masculine de la lignée. Les enfants nés de ces unions auront bien du sang issu du Loup bleu et la Biche blanche.

Et ces victoires attirent vers le clan d’autres groupes humains venant d’autres clans mongols

Le clan de Temüjin constitue maintenant une force considérable

Temüjin se fait nommer Khan des Mongols. Il sait que tous les clans mongols ne le reconnaissent pas comme tels. Et qu’au sein de son propre clan, des complots se préparent. Mais il sait qu’il peut s’appuyer sur une solide garde rapprochée. Un groupe d’officiers constitué quand il était encore adolescent, dans le minuscule groupe humain à l’origine de l’épopée de son clan.

Temüjin met un soin particulier à l’organisation militaire de son clan

Il entraine inlassablement ses hommes. Pour les aguerrir, il les lance dans des expéditions contre les tribus à la périphérie d’espace qu’il contrôle. Il créée des relais pour permettre la circulation de l’information sur des très grandes distances. Informations politiques sur ses ennemis. Informations militaires pendant les batailles complexes qui opposent d’importantes forces dispersées sur des fronts étendus. Peu à peu, la puissance de son groupe s’accroit. Les clans se soumettent. Par la guerre ou de peur d’être exterminés. Il noue des alliances en accordant ses filles aux chefs des clans soumis. Ses filles issues de ses innombrables concubines ou de sa première femme, selon d’habiles dosages diplomatico-familiaux.

Temüjin est nommé Gengis-khan

Au cours d’une immense cérémonie qui réunit tous les clans mongols, Temüjin est consacré Khan suprême. Il dirige maintenant un empire qui a unifié tous les clans mongols. Il attribue aux membres de sa famille des territoires conquis. Napoléon Bonaparte ne fera pas autrement pour tenter de stabiliser son empire [6].

Gengis-khan pense déjà à des horizons plus lointains. A l’Ouest, la Perse. Mais d’abord à l’Est, rien moins que la Chine derrière sa Grande Muraille.

Il consulte ses proches en leur promettant d’adoucir cette vie de nomade, austère et rude. Ces proches voient l’amélioration de leurs conditions de vie par l’envahissement de nouvelles contrées et l’acquisition de gigantesques butins à se partager.

En 1211 il se sent suffisamment fort pour attaquer l’empire Kin, la Chine

Avant cela, il écrase la tribu des Si-Hia à la frontière de l’empire chinois. Puis il l’attaque en passant par le Nord. C’est-à-dire en se heurtant de front à la Grande Muraille, plutôt que de la contourner par l’Ouest.

Cette première invasion dure 7 ans. Il met ses proches et ses fils aux commandes de corps d’armées de plusieurs dizaines de milliers d’hommes. Ses victoires successives renforcent encore son armée qui voit affluer des troupes des terres conquises.

La mobilité triomphe des fortifications fixes

Deux mondes s’affrontent. L’invasion de la Chine par les armées mongoles oppose des troupes nomades, mobiles, rapides, à des forces chinoises qui défendent des territoires ponctués de citadelles, de villes fortifiées. Celles-ci sont prises les unes après les autres. De même la Grande Muraille est subvertie. Plusieurs brèches sont faites dans cette puissante protection fixe.

« Le Loup Bleu » de Yasushi INOUE - La Grande Muraille
La Grande Muraille de Chine, au Nord de Pékin

Les nomades, qui ne connaissent pas la pierre et « les maisons qui ne bougent pas comme leurs tentes » réussissent à venir à bout des défenses fixes construites par les chinois aux savoirs immenses.

« Le Loup Bleu »
Jacques Ould Aoudia sur la Grande Muraille de Chine en octobre 2015

Après la Chine à l’Est, Gengis-khan envahit le Khârezm

C’est dans le pays que l’on nomme aujourd’hui Ouzbékistan que Gengis-khan, après un court repos, envoie ses troupes [7]. Il vole de victoires en victoires. Les places fortes cèdent les unes après les autres. Avec toujours la même règle : la soumission totale ou l’extermination totale.

Gengis-khan est fasciné par ces contrées. Où se croisent les peuples de toutes origines : Turcs, Chinois, Persans, Arabes… Avec une intense activité commerciale, tant ces pays regorgent de savoirs et donc de richesses.

Il s’étonne qu’après avoir rasé la ville de Samarkand, cette ville se redresse si vite.

Il projette d’envahir l’Inde

Mais il renonce à ce nouveau défi dans le franchissement difficile de l’Himalaya. Il rebrousse chemin et pense à sa région d’origine, les hauts plateaux mongols.

Deux de ses fils ont continué d’avancer vers l’Ouest. Ils ont découvert des pays dont les Mongols ne connaissaient même pas le nom. Au-delà de la Mer Caspienne, dans le Caucase. Mais aussi en Russie, en Bulgarie…

Les enfant de Gengis-khan iront même jusqu’à la mer Baltique !

« Le Loup Bleu » de Yasushi INOUE (note de lecture)
Apogée de l’Empire mongol en 1279. Le plus vaste empire jamais réalisé dans l’Histoire humaine par Gengis-khan et ses descendants.
Photo Ali Zifan — Travail personnel; used orthographic projection from here., CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=44303908

Retour sur les terres mongoles

Gengis-khan entreprend, après 5 ans de conquêtes en direction du Sud-Est, un retour vers les plateaux de ses origines. Il met en branle son immense armée qui a semé la désolation dans son mouvement de conquête. Son armée revient, chargée des trésors tirés des multiples butins qui ont accompagné les victoires sur les villes riches de ces régions.

Finalement, l’amélioration de la vie des Mongols, voulue par son chef, s’est réalisée par la prise des butins obtenus par les pillages des régions conquises. C’est ce que lui avaient suggéré ses conseillers, ses généraux, ses fils. Dans l’alternative « prendre ou créer », il est resté du coté de la prise. Entre l’abeille et le frelon, il est resté frelon. Sur ce point, voir ICI.

De retour dans ses terres, il se relance dans une nouvelle opération militaire vers l’Est, vers la Chine. Il meurt en 1227, au cours de cette ultime aventure faite de batailles, de prises de places fortes, de victoires.

Il a désigné, parmi les fils qu’il a eu de sa première femme, son successeur. Deux ans après sa mort, son troisième fils Ögödei lui succède. C’est sous son règne que se déroule la grande campagne d’Europe, entre 1236 et 1242.

Gengis-khan s’est intéressé aux cultures des pays qu’il a conquis

Il prend un jeune savant chinois comme conseiller personnel. Et est curieux de leurs façons de penser. Gengis Khan s’étonne quand il apprend que les généraux chinois se suicident quand leur place forte est prise par les Mongols. Entre clans, ils n’éprouvent pas d’humiliation à se soumettre après une défaite. Ils seront décapités ou intégrés comme alliés des vainqueurs.

Mais il regarde aussi vers l’Ouest. Il s’y intéresse par le biais des marchands qui viennent des bords de la Caspienne, de Turquie, de Perse, avec leurs riches produits et leurs inventions.

Il découvre les autres croyances. Les musulmans notamment. Il comprend l’importance de respecter les croyances des autres. C’est la condition nécessaire pour constituer un empire. Un empire que ses successeurs vont encore étendre.

Pendant ces années de formation de l’Empire mongol, dans le reste du monde [8]

En Afrique,

C’est le début le règne de Soumaoro Kanté, roi de Sosso. Tandis que l’empire du Mali commence son développement en Afrique occidentale. Les Beni Ghania sont chassés d’Ifriqya (actuelle Tunisie) par les Almohades. Débute la dynastie des Hafsides.

En Amérique,

La capitale maya Chichén Itzá est abandonnée après une guerre civile. Une nouvelle capitale est construite à Mayapan, protégée par plusieurs kilomètres de murailles. Les Aztèques commencent à fonder de petits États au Mexique. Les constructeurs Pueblos sont à leur apogée en Amérique du Nord.

En Europe,

Philippe Auguste déclare Jean sans Terre félon et confisque ses possessions continentales. C’est le début de la puissance territoriale capétienne. La quatrième croisade est détournée sur Constantinople qui est mise à sac. En France, les Albigeois sont massacrés. Tandis qu’une guerre civile éclate dans le Saint-Empire romain germanique entre les partisans de Philippe de Souabe et ceux d’Otton de Brunswick. Sont fondées les université de Paris, de Palencia et de Valence en Espagne.

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[1] Pour en savoir plus sur l’auteur, voir ==> ICI

[2] Amin Maalouf : Les croisades vues par les arabes. Ed. Jean-Claude Lattès, 1983. Voir ==> ICI

[3] Pour en savoir plus sur les Croisades, voir ==>ICI

[4] Voir Jacques Ould Aoudia : SUD ! Un tout autre regard sur la marche des sociétés du Sud. Ed L’Harmattan, 2018. ==> ICI

Voir aussi une présentation de l’ouvrage sur ce site ==> ICI

[5] Sur Gengis Khan, voir ==> ICI

[6] La maison Bonaparte a régné sur plusieurs pays européens au cours du 1er Empire, dans le cadre de la politique familiale de Napoléon Ier : l’Italie (Napoléon Ier) ; Naples (Joseph Bonaparte) ; l’Espagne (Joseph Bonaparte) ; la Hollande (Louis Bonaparte et Louis II) ; Lucques et Piombino (Élisa Bonaparte) ; la Toscane (Élisa Bonaparte) ; la Westphalie (Jérôme Bonaparte). Voir ==> ICI

[7] Sur l’Ouzbékistan, voir ==> ICI

[8] Pour en savoir plus sur les années 1200 dans le monde, voir ==> ICI