« No-no-yuri » de Aki SHIMAZAKI (note de lecture). Kyôko est une femme de trente-cinq ans, belle, élégante, cultivée. Extrêmement compétente comme assistante de son directeur dans la filiale au Japon d’une entreprise américaine de cosmétiques. Elle a toujours refusé le mariage, y compris le miaï [1] que lui proposent régulièrement ses parents. Elle vit seule, choisit ses amants parmi des hommes mariés. Change souvent de partenaires. Tout va bien pour elle.

Avec « No-no-yuri », Aki Shimazaki nous entraine dans l’univers des entreprises mondialisées

Avec une légère adaptation au contexte culturel japonais, l’entreprise américaine au Japon fonctionne avec ses règles, ses décisions prises au siège à New York, ses exigences de rentabilité. L’encadrement est américain. Les cadres japonais sont entièrement dévoués au succès de la boite. Kyôko est bien dans cette disposition. Sa vie professionnelle conduit sa vit personnelle.

Un souvenir d’enfant

Un souvenir vient troubler régulièrement la jeune femme. Elle est avec sa mère et sa sœur dans une pâtisserie. Elle voit en sortir une très jolie femme qui se dirige vers une voiture… où Kyôko reconnait son propre père. Il a l’air heureux, il sourit. La voiture démarre, la maman n’a rien vu. Kyôko ne va rien dire à sa mère, ni à sa sœur d’ailleurs. Mais elle revit en rêve cette scène mainte et mainte fois.

« No-no-yuri » de Aki SHIMAZAKI couverture du livre

 

Pouvoir, argent, sexe

Kyôko est trop près du pouvoir dans l’entreprise pour être épargnée par la séduction des dirigeants, le rôle qu’on est tenté de lui faire jouer dans des enjeux commerciaux avec les « gros clients », la jalousie des uns et des autres. Mais aussi la crainte des rumeurs sur la confusion entre vie personnelle et vie professionnelle.

Un coup de foudre au cours d’un Gôkon

Un gôkon, c’est « une rencontre en groupe entre des femmes et des hommes célibataires dans l’espoir de former des couples » nous apprend le glossaire inséré à la fin du roman.

Kyôko a toujours refusé ces procédés. Mais elle est dans une période difficile sur le plan professionnel. Va-t-elle être reconduite dans sa position ou bien devra-t-elle démissionner ? S’ajoutent une série de ruptures, y compris de sa relation avec son directeur. Elle ressent un immense sentiment de vide.

Nous sommes en pleine post-modernité, ou « modernité tardive » comme le dirait Harmut Rosa (voir ==> ICI sur les travaux de ce sociologue héritier de l’Ecole de Francfort). Une modernité vue par les yeux d’une femme prise dans le jeu de l’économie triomphante menée par des individus libres de s’affronter en pleine concurrence.

Elle décide de se rendre à ce gôkon par jeu, pour se distraire…

…et tombe amoureuse d’un homme, Yûji. Cette rencontre prend d’une façon très rapide une immense importance pour elle. Elle qui parvenait jusque-là à refouler ses sentiments amoureux. Kyôko pense au mariage. Le roman s’achève au tout début de cette rencontre, à l’entrée du restaurant No-no-yuri, au bras de Yûji.

Aki Shimazaki nous séduit encore par son écriture

Une écriture simple, directe, sans fioritures. Qui déroule le récit d’une façon limpide. Qui nous fait entrer dans l’univers de cette femme prise entre son ambition professionnelle et le refoulement de tout engagement amoureux. Elle tente de le réaliser en exorcisant cette seconde « scène primitive » qu’elle a vécue, enfant, à la sortie d’une pâtisserie…

Une femme qui finit par craquer pour l’amour. Va-t-elle modifier sa trajectoire personnelle ? Le récit nous laisse en suspens.

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On lira avec intérêt les notes de lecture des précédents romans d’Aki Shimazaki, en commençant ==> ICI

Aki Shimazaki est une auteure québécoise, née en 1954 à Gifu au Japon. Elle a immigré au Canada en 1981 et vit à Montréal depuis 1991. Écrits en français, ses livres ont été traduits en anglais, en japonais, en serbe, en russe, en italien, en portugais, en allemand, en hongrois et en espagnol. Wikipédia. Pour en savoir plus sur l’auteure, voir ==> ICI

[1] Rencontre arrangée en vue de mariage.