Elie KAGAN  photographe des luttes. Un personnage a accompagné, comme photographe, les luttes politiques dans les rues de Paris des années 1950 à 1980. C’est Elie Kagan, barbu, hirsute, toujours mobile sur son Solex avec ses grandes sacoches et son matériel de prise de vue. Et son audace, son culot même, à se placer toujours au cœur brulant de la manif, au plus près des protestataires, pas loin des uniformes.

Une rencontre sur le pavé de Paris

Je l’ai connu dans les années 1970 quand je battais le pavé comme militant. Je ne me souviens plus des circonstances de notre rencontre. Mais à chaque manifestation, nous nous retrouvions. Et évoquions ensemble la situation politique et que sais-je encore…

17 Octobre 1961 à Paris…

Je savais de lui qu’il avait été le seul photographe informé par le FLN de France à couvrir la manifestation pacifique des Algériens le 17 octobre 1962. Le préfet Papon, de sinistre mémoire à Bordeaux où il avait organisé le départ des Juifs pour les camps de concentration, avait donné des consignes pour réprimer le plus sauvagement possible cette initiative [1]. Près de 200 manifestants seront tués par la police, la plupart jetés dans la Seine [2].

Elie KAGAN photo du 17 octobre 1961 à Paris
Photo d’Elie Kagan prise le 17 octobre 1961 au métro Concorde. Alors que la police s’apprête à embarquer les manifestants algériens.

La démarche d’Elie Kagan ce 17 octobre 1961 à Paris illustre parfaitement la définition de la photographie que Roland Barthes a donné, après de longues hésitations, dans son ouvrage : La chambre claire.


Que nous livre Roland Barthes ? Que la photographie nous dit « oui, cela a été ! » Pas plus, mais pas moins.

Oui, le massacre du 17 octobre 1961 à Paris a été !


On trouvera ==>ICI une note de lecture de cette belle balade dans la photo comme concept auquel nous convie Barthes.

23 mai 1959 à Paris…

Je savais aussi qu’il avait couvert les obsèques d’Amokrane Ould Aoudia [3], mon grand-cousin. Assassiné le 23 mai 1959 à Paris [4]. C’était au cimetière du Montparnasse, une foule se pressait parmi laquelle, autour des parents de l’avocat, les militant connus du FLN, des intellectuels signataires du Manifeste des 121……

Je lui avais demandé de me donner des tirages de ces photos et lui avait même réglé les frais (je crois de 800 francs). Nous sommes allés chez lui, rue René Boulanger, dans le X° arrondissement, près de République. D’immenses armoires de photos, de négatifs… il n’avait pas trouvé celles que nous cherchions… et je n’ai jamais pu récupérer par Kagan ces photos. Je les ai eu par d’autres voies.

Avoir 14 ans en 1942, seul à Paris Occupé

Nous avons continué de nous croiser, au grès des manifestations, et autres initiatives de lutte…. Il m’a raconté son enfance, la rafle qui a pris tous les habitants juifs de son immeuble, sa cachette dans les poubelles… Son errance, seul. Il avait 14 ans. Dans Paris occupé, lui enfant abandonné…

Son travail sur les marchés à vendre des légumes dans le froid du matin, la faim, la peur… Et puis la photographie. Elle ne l’a plus quitté. Photographe indépendant, il a laissé sa trace dans le paysage parisien des luttes.

Salue Elie, fait de belles photos depuis là où tu es !

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Élie Kagan, né en 1928 à Paris et mort en 1999 dans la même ville, est un journaliste et photographe français. Archives conservées par La Contemporaine (https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Contemporaine )

Élie Kagan naît le 26 mars 19281. Ses parents immigrent en France. Son père étant originaire de Russie et sa mère de Pologne Ils habitent dans le 10e arrondissement de Paris (entre La République et la Porte St Martin). Adolescent, il fut confronté à l’occupation allemande et à l’antisémitisme. Avec ses parents d’origine juive ashkénaze, il dut se cacher et se considéra toujours comme un survivant. Provocateur, il n’hésitait pas à invectiver et pousser à bout ses contradicteurs.

Photographe, Élie Kagan couvrit toute l’actualité en indépendant, et il commercialisa lui-même ses clichés. Ceux-ci concernaient surtout les manifestations politiques, ou des instantanées de rues. Il les publiait dans Témoignage chrétien, le Nouvel Observateur, Libération. Il couvrit notamment la manifestation du 17 octobre 1961 que le FLN avait organisé. Et qui fut réprimée avec violence. Son témoignage photographique a été implacable et il se battait toujours pour faire la lumière sur cette affaire.

À partir de 1976, il a été pendant trois ans le photographe attitré de l’hebdomadaire Rouge. Confiées par sa famille en 1999, ses archives, qui réunissent plus de 200 000 images – négatifs, tirages, planches-contacts et diapositives –, sont conservées à La Contemporaine. Voir ==>ICI

[1] Le massacre du 17 octobre 1961 est la répression meurtrière, par la police française, d’une manifestation pacifique d’Algériens organisée à Paris par la fédération de France du FLN. Cette manifestation s’est déroulée dans un contexte de guerre d’indépendance algérienne. Préparée en secret, la manifestation constitue un boycott du couvre-feu nouvellement appliqué aux seuls Algériens. Pour en savoir plus, voir ==>ICI

[2] Une plaque commémore ce massacre, sur le Pont St Michel, sur l’Ile de la Cité.

[3] Amokrane Ould Aoudia, né en 1924 à Aïn El Hammam et mort assassiné le 23 mai 1959 à Paris, est un avocat algérien. Étudiant proche du Parti communiste algérien et membre du groupe des étudiants communistes de la Sorbonne, il est aussi membre du collectif des avocats du FLN. Son engagement en faveur de l’indépendance de l’Algérie lui vaut d’être assassiné à Paris par les autorités françaises. Pour en savoir plus, voir ==>ICI

[4] Voir une famille …. ==>ICI