Que se passe-t-il dans la société israélienne ?

« Israël est un pays qui n’a pas de limites »

Eyal Sivan[1], intellectuel israélien vivant entre France et Israël, nous livre une analyse glaçante de la situation au sein de la population israélienne. Son interview par Franck Barat[2] s’intitule : « Israël est un pays qui n’a pas de limites« . Dans ses propos roboratifs, il n’hésite pas à parler d’apartheid, de colonisation, de génocide.

Je vous invite à écouter cet échange entre Eyal Sivan et Franck Barat dans toute la finesse et la puissance de sa réflexion ==> ICI

En attendant, je vous livre quelques idées forces tirées de cette écoute

  • La société israélienne avait réussi, avant le 7 octobre, à effacer les Palestiniens et la question palestinienne du quotidien (le « mur » y contribue largement). Chaque fois que l’autre est effacé, la société se retrouve « entre soi ». Et se divise en des conflits internes. Comme dans les mois qui ont précédé octobre 2023. On a assisté aux grandes mobilisations pour la démocratie, contre les projets de main mise du gouvernement sur la justice. Mais sans un mot sur la Palestine !
  • La société israélienne est un picknick sur un volcan. A l’image de la fête organisée par les jeunes à quelques pas de Gaza, attaquée le 7 octobre par les organisations palestiniennes.
  • Cette société se vit en état de victime perpétuelle, synonyme d’innocence. Dès lors, toute attaque doit faire l’objet d’une action de riposte. Et cette riposte, quelle que soit sa violence, est légitime, puisque l’on est innocent. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la mémoire des souffrances, de la shoah, ne conduit pas à apaiser la haine et la violence envers l’autre en position de faiblesse.
  • Dans ses lois fondamentales, l’Etat d’Israël n’a pas fixé ses frontières. En hébreu, selon Eyal Sivan, le mot frontières signifie aussi limites. D’où sa phrase : « Israël est un pays qui n’a pas de limites« .
  • D’après Eyal Sivan, le projet de « Deux Etats » maintient l’idée de guerre, de séparation. Il pense plutôt à un « Etat commun » pour faire reculer les peurs, les haines, les désirs de vengeance. A construire, justement, en commun, pour en définir les règles de gouvernance et de fonctionnement.

En ces jours sombres, en ces moments de massacre de masse, ces propos nous sont utiles pour mieux comprendre les enjeux actuels et tenter de penser des solutions pour le futur. Chacun depuis sa place.

Propos entendus en 1994 en Israël après la signature des Accord d’Oslo

J’étais en mission professionnelle en octobre 1994 dans les pays en lien avec la question Palestine-Israël. C’était après la signature des Accords d’Oslo. Le Directeur de la Précision du Ministère des Finances (France) de l’époque, Philippe Nasse, voulait sincèrement apporter sa contribution au Processus de Paix dans le domaine économique. Au cours de cette mission, nous avions rencontré des intellectuels et des hauts responsables au Liban, en Jordanie, en Egypte, en Israël et en Palestine (Cisjordanie et Gaza). Nous étions dans l’espoir, dans l’illusion que le Processus était un processus de Paix [3].

  • A Jérusalem, un intellectuel israélien nous avait dit l’enthousiasme que la période lui inspirait. Il se souvenait de la période de construction de l’Etat israélien à laquelle il avait participé. Et se trouvait tout à fait intéressé de voir comment les Palestiniens allaient se mettre à l’ouvrage pour construire leur Etat. Lui aussi était dans l’illusion.
  • A Tel Aviv, au cours d’une réunion de patrons d’entreprises françaises présentes en Israël, un de ces patrons, avait dit : « Quand nous auront fait la paix, qui, parmi nos jeunes, ira nous défendre ?» Une bonne part des contradictions qui traverse la société israélienne se retrouve dans cette expression.

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Sur la question palestinienne, voir aussi sur le sujet  ==> ICI

[1] Eyal Sivan (en hébreu : אייל סיון), né en 19641 à Haïfa (Israël) (Palestine), est un producteur, réalisateur, essayiste et enseignant israélien basé à Paris. Eyal Sivan a grandi à Jérusalem, devient photographe à Tel-Aviv, puis rejoint la France en 1985 et s’installe à Paris. Depuis, il partage sa vie entre l’Europe et Israël. Il est l’auteur de plusieurs films documentaires reconnus et primés à travers le monde et en a produit beaucoup d’autres. (Wikipédia). Pour en savoir plus, voir ==> ICI

[2] Frank Barat est un activiste français, auteur et producteur de film. Coordinateur du Tribunal Russell sur la Palestine de 2008 à 2014, fondateur de BARC productions, à Bruxelles en février 2019, il a édité des livres avec Noam Chomsky, Ilan Pappé, Ken Loach et Angela Davis. (Wikipédia) Pour en savoir plus, voir ==> ICI

[3] J’avais tiré de cette mission un article « L’économie dans le processus de paix au Proche-Orient ». Le CEPII l’a publié dans la revue Economie Internationale n°58, 2° trimestre 1994. J’y faisais preuve d’un optimisme qui a largement été démenti dans les faits. D’une erreur d’analyse, on peut même dire. Par surestimation des facteurs économiques, qui était un trait de cette époque. Cela n’excuse pas mon erreur. Pour accéder au document : ==> ICI