« Ces âmes chagrines » de Léonora MIANO (note de lecture)

Léonora Miano nous entraîne dans une descente aux enfers, à suivre la route de personnages cabossés, déglingués, disloqués. Des personnages brisés par les violences familiales qui déchirent les individus. Des individus pris dans les chaos d’un pays d’Afrique centrale.

 Un père qui rejette sa fille, une adolescente violée, des enfants refusés par leur mère, en quête vaine d’amour. Une société ravagée par le cynisme et la corruption.

 « Ces âmes chagrines », le roman se passe à cheval entre Afrique et Europe

 Dans un pays imaginaire du Continent, Mboasu, marqué au fer rouge par le déferlement colonial et post-colonial. Des sociétés africaines qui ont basculé dans un mode de vie incompréhensible. Prises entre raidissements évangéliques et débauche, grande pauvreté et consumérisme. De roman en roman, Léonora Miano n’a pas de mots assez durs pour dépeindre ces élites africaines cyniques et corrompues. Et notamment les hommes qui composent ces « élites ». Pas seulement d’une corruption qui rapporte de l’argent. Mais corrompue comme on peut le dire d’un fruit pourri.

 En France, à Paris, l’auteure nous fait surfer sur la culpabilité malsaine des anciens « métropolitains ». La fascination tout à la fois naïve et cynique pour « les noirs qui réussissent ». Si possible quand ils sont grands, beaux et élégants. Les bons sentiments des ONG qui s’agitent pour sauver les petits noirs d’Afrique de la misère. Plutôt que de se battre dans leur pays contre les acteurs de leur pays qui continuent de piller le Continent.

 Antoine et Maxime, les deux frères issus d’une famille disloquée

 Et deux frères, Antoine et Maxime qui se retrouvent à Paris. Dans l’enfer de la misère physique et psychique. Du racisme à l’endroit et à l’envers. Dans le tourbillon de la recherche d’identité. Des identités qui vous glissent sans cesse entre les doigts, et dont on joue. Dans les fausses certitudes des réussites sociales. Dans les paillettes de la vie parisienne.

 Chacun dans son rôle de part et d’autre de la barrière coloniale

 Antoine et Maxime, les deux frères que tout opposent, sont à la recherche de leur mère, Thamar. Elle a été le jouet de Pierre, un homme blanc riche qui trouvait jouissance à avoir à son bras une belle femme noire dans ses soirées mondaines. Thamar y avait aussi à gagner, d’avoir un homme riche à ses soins. Antoine le fils conçu en Afrique a été sacrifié dans cette histoire d’adultes sans amour. Entre un homme et une femme pris, chacun, dans l’imaginaire colonial. Chacun à gagner à être de part et d’autre de la barrière de domination.

 Léonora Miano - Ces âmes chagrines, roman

Couverture du roman de Léonora Miano

 

Un enfer pavé de bonnes intentions

 Antoine réussi à vendre son image de bel homme noir. Il va trouver une renommée superficielle comme personnage principal dans une série télé. Dans le rôle du « bon black des cités » qui aide les jeunes du quartier à s’en sortir. Il ne croit pas un mot de cette histoire. Il sait, au fond de lui, que l’enfer est pavé de bonnes intentions.

 Double jeu

A la ville, il préfère assumer ses turpitudes à se moquer de ceux qui le prennent pour une étoile. A humilier sa mère qui l’a abandonné et qui finit dans la rue. Une bouteille de vin à la main, à mendier. Il se moque de son frère Maxime. De son ascension professionnelle dans une banque en France. Et surtout le manque d’amour maternel qu’ils n’ont reçu ni l’un ni l’autre. Issu d’un viol, Maxime a fait de sa réussite sociale le moyen désespéré d’accéder à l’amour de sa mère. Qui le rejette sans vergogne.

 L’enfer, sans fond, est partout

 Maxime va finir par retrouver sa mère, mendiante à Paris, et la sauver de la misère. Il va la ramener en Afrique. Auprès de sa mère Maria-Modi qui a tenu bon contre toutes les tempêtes familiales. Et qui a accueilli, grand-mère, les deux garçons quand leur mère Thamar les délaissait. Dans sa quête à reconstruire autour de Thamar et de la grand-mère Modi ce qui reste de sa famille, Maxime convainc son frère Antoine de revenir en Afrique. Antoine qu’une femme résolue, Amalia, qui ne s’est pas prise à son jeu cynique, va remettre en selle. Une femme qui a pris le risque de faire avec lui un enfant.

 Au moment même des retrouvailles entre Antoine et sa Thamar sa mère, celle-ci est sauvagement et banalement assassinée dans sa maison par un voleur qui emporte son écran de télévision. C’en est trop pour Maxime. Lui, le bon garçon, celui a réussi à sortir sa mère de la misère, à récoler les morceaux épars du noyau familial, à revenir dans son pays pour y travailler… Maxime sombre dans la folie. Il redevient le petit enfant qu’il n’a jamais été. Qui n’a jamais vécu son enfance, totalement honni par sa mère, lui, l’enfant du viol.

 Au bout de l’enfer, sur les décombres familiaux, Léonora Miano ouvre une fenêtre

 Lors de ses déambulations dans la ville Africaine de sa naissance, Antoine va retrouver son grand-oncle. Le frère de sa grand-mère Modi. Jeune fille, Modi avait été rejetée par son père Pasteur, déclenchant l’avalanche des violences familiales. Le choc de l’assassinat de sa mère Thamar ajouté à la découverte de son grand-oncle va bouleverser la vie d’Antoine. Lui, le dandy, le jeune homme, froid, pétri de rancune, le cynique achevé…. Antoine retrouve sens à la vie, avec la naissance d’un fils et la reconnaissance de ses racines, même flétries.

 L’écriture somptueuse de Léonora Miano

 L’auteure fait preuve d’une virtuosité peu commune dans la pratique de la langue française. Quel plaisir de parcourir ce livre. D’accompagner par la lecture cette façon magistrale d’exprimer tant de sentiments, tant de situations, tant de regards sur le monde complexe !

& & &

Pour voir aussi du même auteur ==> ICI et ==> ICI

Et pour en savoir plus sur l’auteure ==> ICI