USA : le Privilège d’Empire menacé. Nous poursuivons dans ce texte notre élaboration sur le « privilège d’empire » amorcé en 2020 dans un texte précédent. (Voir ==> ICI)
Nous restons dans cet article sur la dimension internationale de l’hégémonie américaine. Celle-ci s’effectue par le biais du dollar, devenue monnaie de paiement et de réserve internationale. S’ajoute depuis quelques années, l’avantage digital que les Etats-Unis ont pris notamment via le monopole exercé par les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft).
Ne sont pas traités ici les conséquences internes aux USA du tournant pris en 1971 par le président Nixon. Conséquences internes qui se sont manifestées par le découplement de la croissance de la productivité de celle des salaires [1]. Et donc par une augmentation continue des inégalités. Mais c’est une autre histoire.
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Tout d’abord, qu’entendons-nous par « privilège d’empire » ?
Le privilège d’empire exprime le fait que les Etats-Unis accumulent chaque année des déficits externes qui forment une dette en dollars vis-à-vis du Reste du monde. Cette accumulation a produit un endettement colossal qui a la caractéristique… de comporter une partie (les réserves en dollars, notamment dans les banques centrales des pays du Reste du Monde) qui ne sera jamais remboursée. En d’autres termes, les Etats-Unis payent leurs importations et les investissements qu’ils effectuent à l’extérieur en monnaie (le dollar) dont ils n’auront que partiellement à honorer le paiement.
Cela résulte de la décision unilatérale prise en aout 1971, par le président américain, de ne plus assurer la convertibilité en or du dollar. Et de l’accord de fait des autres pays de prendre le dollar comme monnaie pour les transactions internationales et les réserves de change de leur banque centrale. Une détention sans espoir de récupération en or (ou en autre actif réel) de ces avoirs libellés en dollars (qui est monnaie de papier).
Dans les faits, les Etats-Unis accumulent depuis cette date des déficits commerciaux et courants qui croissent régulièrement. Traduits en termes simples, cela signifie que les Etats-Unis dépensent plus qu’ils ne créent de richesse. Qu’ils vivent donc à crédit. Le Reste du monde finance ainsi, par le crédit, la surconsommation américaine. Et ce, depuis 50 ans.
L’Amérique est ainsi le seul pays qui peut se permettre cette surconsommation car les « marchés financiers » font une exception en ne sanctionnant pas ces déficits chroniques que le pays accumule année après année.
Nous avons là un fait massif ! Un pays qui dépense sans compter en s’endettant sans perspective d’avoir à rembourser. C’est ce que nous nommons le « privilège d’Empire ». On comprend l’énergie que les Etats Unis déploient pour ne pas perdre ce privilège ! ! A la façon de Trump ou d’Obama / Biden.
C’est la puissance des Etats-Unis, économique, militaire, politique, qui a permis que ce système s’instaure durablement depuis 1970. S’ajoute depuis quelques années la cyberpuissance numérique; Puisque les grandes firmes américaines ont un monopole de fait sur les réseaux internationaux. Jusqu’à présent.
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Quelles étaient les contreparties réelles de cette dette que les Etats-Unis contractaient vis-à-vis du Reste du monde
Il ne faut pas chercher dans l’espace économique ou financier une réponse à cette question. Mais dans l’espace sécuritaire, militaire et politique.
Jusqu’à l’effondrement de l’URSS en 1990, les Etats-Unis se disaient garants de la sécurité du « Monde libre » face à l’Union Soviétique. On était en pleine « Guerre froide » et le monde était globalement divisé entre l’Est (sous influence et protection soviétique) et l’Ouest (sous influence et protection américaine) [2]. L’Europe de l’Ouest (à gauche du « Rideau de Fer » sur la carte du monde) s’était clairement rangée dans le camp de l’Ouest.
D’une façon implicite, la sécurité de l’Europe de l’Ouest, assurée par les Etats-Unis, représentait la contrepartie de ce financement de la surconsommation américaine. Une contrepartie qui n’était donc ni économique ni financière. Mais politique et militaire.
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Que se passe-t-il depuis 1990 ?
Depuis l’effondrement du bloc soviétique, la question de la sécurité a évolué profondément. Pour ce qui est de notre grande zone Europe-Afrique-Proche Orient, la menace vient désormais… des conséquences des actions américaines.
Qu’on en juge : soutien sans faille aux monarchies du Golfe qui répandent la doctrine mortifère du jihad dans le monde ; invasion de l’Afghanistan en 2001 qui débouche en 2021 sur le triomphe des Talibans ; appui inconditionnel à l’Etat d’Israël dans l’invalidation de tout projet de paix avec les Palestiniens ; guerres en Iraq, notamment celle de 2003 déclenchée sur la base de mensonges (la prétendue menace nucléaire de Saddam Hussein); retrait unilatéral de l’accord nucléaire avec l’Iran… Ces actions, sensées établir la paix et la stabilité dans la région, ont conduit tout à l’inverse. Parce qu’elle a subit des échecs cinglants. Avec des conséquences catastrophiques. Notamment le renforcement des forces destructrices dans la région. Globalement, l’insécurité chronique dans notre grande zone s’est accrue avec les interventions des Etats Unis (*).
Des conséquences catastrophiques
D’abord pour les sociétés des pays en question. Mais aussi pour la région du Proche Orient. Et au-delà, pour toute la zone Europe-Afrique. Les déstabilisations provoquées par ces actions de l’Etat américain ont modifié durablement la face du monde.
La « contrepartie » implicite du financement par le Reste du Monde de la surconsommation américaine (la sécurité internationale) a disparu. Et s’est même transformée en son inverse : l’insécurité internationale provoquée par les actions militaires et politiques des Etats-Unis.
Le « privilège d’Empire » n’est plus justifié ! Dès lors, pourquoi continuer de financer cette surconsommation ?
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Conséquences du bouleversement du monde
La montée en puissance de la Chine sur le plan économique s’accompagne d’un investissement important par ce pays sur le plan militaire .
Regardons les chiffres pour mesurer les écarts entre l’effort de guerre des différents pays. Les dépenses militaires [3] des Etats-Unis en 2020 (682 milliards d’Euros) sont trois fois plus importantes que celles de la Chine (221 Mds €). Quant à la Russie (54 Mds €), le rapport des dépenses vis-à-vis de l’Amérique est de 1 à 12.
On comprend mieux les raisons du déferlement médiatique actuel présentant la menace Chinoise et/ou Russe comme le danger majeur et imminent. Il faut recréer un climat de peur. Il faut remettre les imaginaires des sociétés en état de nouvelle guerre froide pour justifier ces dépenses militaires. Mais aussi, implicitement, pour continuer le soutien au financement des déficits américains par le Reste du monde. C’est bien le maintien du Privilège d’Empire qui est en jeu !
L’Europe, aveugle et impuissante, emboite le pas des Etats-Unis
Dans ce jeu de dupes, l’Europe se réfugie dans le discours américain. Et donc sous sa « protection » dont on a vu qu’elle était tout l’inverse d’une protection.
Les principaux leaders politiques européens, la presse dans sa majorité, font chorus avec cette manipulation. La propagande se déverse en continu, présentant la Chine et la Russie comme des menaces internationales.
Dans ce bras de fer qui s’installe, l’enjeu pour les Etats Unis est le maintien de sa position hégémonique, pour conserver son Privilège d’Empire. On peut s’interroger : quel est l’intérêt de l’Europe de soutenir une telle démarche américaine ?
Agissant ainsi, l’Europe se prive de pouvoir agir en toute autonomie dans la réorganisation du monde qui se dessine chaque jour
Notre propos n’est pas, ici, de présenter la Chine et la Russie comme des pays aux intentions bienveillantes. Mais des pays qui veulent trouver ou retrouver leur place dans le monde. Avec leurs ambitions légitimes et leurs propres impératifs de sécurité. Et nous savons qu’ils le font au prix de méthodes qui défient les droits de l’homme.
Mais nous devons accepter désormais de nous trouver dans la situation où il y a « deux éléphants dans la boutique » (Voir ==> ICI). A cette situation, s’ajoutent la Russie et l’Inde, en second rang.
Allons-nous continuer, nous habitants de la grande région Europe, Afrique, Proche-Orient, de nous aligner sur la puissance déclinante américaine ? Allons-nous continuer d’indexer notre sécurité aux agissements d’une Amérique en perte de pouvoir ? Et poursuivre notre financement inconditionnel de la sur-consommation et de la sur-pollution américaines ?
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On lira aussi, sur ce sujet, les travaux de Bertrand Badie. Voir la note de lecture sur « Nous ne sommes plus seuls au monde » ==> ICI
[1] Le graphique ci-dessous illustre bien ce point. Ce n’est pourtant pas sur cette dimension que nous portons notre attention dans cet article.
[2] Des pays du Sud (du « Tiers monde ») ont cherché à sortir de cette division, en créant le Mouvement des non-alignés. Sur ce point, voir ==> ICI
(*) Une exception : l’intervention en Libye en 2011 a été impulsée par le Président Sarkozy. Celui-ci a réussi à entrainer les Etats Unis, la Grande Bretagne, les monarchies du Golfe et d’autres Etats dans cette intervention militaire dont les conséquences ont été également catastrophiques. Chaos interne à la Libye; expansion du Jihad en Afrique de l’Ouest ; base de départ pour l’immigration massive de Sub-Sahariens vers le Sud de l’Europe. Voir « Sarkozy et le chaos libyen » ==> ICI
[3] Source : Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). Un institut d’études stratégiques fondé en 1966 pour célébrer cent cinquante ans de paix ininterrompue en Suède. Sur le SIPRI, voir ==> ICI
Les données du SIPRI sont fournies par Statista. Pour en savoir plus sur Statista, voir ==> ICI