Sociétés en colère sociétés divisées
Un matin d’octobre 2019, à la Radio, j’entends cette phrase terrible d’une jeune étudiante de Barcelone qui manifeste sa colère après les condamnations des leaders indépendantistes : « Tant qu’il n’y aura pas de morts, les autorités ne bougeront pas »
Barcelone,
nuit d’émeute dans le centre ville, après la condamnation des dirigeants indépendantistes à de lourdes peines de prison. Des
centaines de milliers de personnes descendent dans la rue pour protester plusieurs jours durant. La violence éclate.
Beyrouth,
manifestations massives contre le gouvernement. Contre la corruption, la cherté du coût de la vie, l’incapacité à assurer les services publics. Contre le système politique qui verrouille toute expression populaire. Les politiciens sont dans leurs manœuvres habituelles et leur impuissance délibérée. La population est en colère contre l’inaction des politiques.
Londres,
samedi 19 octobre noir de monde devant le Parlement contre le Brexit. Dans la plus grande confusion. La société est divisée sur des positions de plus en plus radicalisées. La société britannique est totalement déboussolée. La plus ancienne démocratie du monde ne parvient pas à résoudre le dilemme. Sortir ou pas de l’EU. Et si oui, comment?
Santiago du Chili,
manifestations contre la hausse du prix des transports durement réprimées. Un général est appelé par le président pour rétablir l’ordre ! Finalement, le gouvernement recule et annule les hausses de prix. Mais la lutte contre la croissance des inégalités continue.
Alger,
poursuite des manifestations hebdomadaires du Hirak demandant le départ du « système » qui saigne le pays depuis des dizaines d’années. La répression s’intensifie. Les dirigeants actuels n’ont aucune autre vision que de se maintenir au pouvoir.
Rome,
rassemblement des soutiens au parti d’extrême droite. La société est divisée, entre Nord et Sud du pays. Entre riches et pauvres. Entre ouverture et refus de l’étranger…
Culiacan, ville du Mexique,
où le cartel des narco-trafiquants a mis la ville à feu et à sang. Pour exiger, et obtenir, la libération du fils d’El Chapo, patron de la drogue emprisonné aux Etats Unis. L’Etat a reculé, dans son impuissance face à la violence des cartels.
Bagdad,
où les populations manifestent contre la hausse des prix, la dégradation des services publics, l’incurie des politiciens. La répression est terrible, des centaines de morts.
Paris,
après les manifestations de pompiers durement réprimées par la police Place de la République, et avant une prochaine manifestation de Gilets Jaunes. On se souvient des précédentes manifestations pour le climat durement réprimées sans sommations par la police. Et les mouvements contre la réforme des retraites qui cristallise les mécontentements dans les hôpitaux, les écoles, et toute une angoisse sociale diffuse.
Le Caire,
où la population retrouve le courage de descendre dans la rue. Pour s’opposer à la corruption des autorités politiques. Celles-ci profitent de la peur qui règne sous le président Sissi pour s’enrichir en pillant l’Etat. Alors que la misère de masse progresse dans le pays.
Mais aussi Addis Abeba, Conakry, et toutes les expressions de colère de par le monde qui ne sont pas arrivées jusqu’aux antennes de ma radio…
Les deux expressions de l’ordre social actuel
Sous sa face « libérale – mondialisée » ou raciste d’extrême droite, les gouvernements en place se durcissent pour maintenir le pouvoir des classes dirigeantes. Pour réprimer l’exaspération des populations face à la montée des inégalités, aux atteintes à leur mode de vie. Au déclassement social, à la menace concrète de la pauvreté pour les couches moyennes. A la dégradation des services publics de base. Mais aussi à l’arrogance des dirigeants. Manifestation sans vergogne de leur mépris de classe ! Des dirigeants qui ont abdiqué leur pouvoir devant les marchés. Durs avec les faibles, faibles avec les forts !
Des motifs spécifiques, une cause commune
Dans chaque lieu, les motifs de colère sont spécifiques. Mais les causes convergent sur cette mondialisation libérale qui organise les atteintes sociales et identitaires des populations pauvres et des classes moyennes et évacue les réponses aux urgences climatiques. Surtout, qui organise, avec leur consentement, l’impuissance des dirigeants politiques. Leur activité principale est de s’enrichir, d’enrichir leurs proches ou leurs mandants, et de se maintenir au pouvoir. Au Sud comme au Nord, même si les modalités sont différentes.
Les mesures de diversion
La résurgence de la haine de l’étranger, brandie au plus haut niveau de l’Etat, agitée par les gouvernements et/ou les forces xénophobes, tente une fois de plus, de faire diversion. La haine de l’autre. Le remède contre l’angoisse éprouvée par des fractions toujours plus larges de la population, fonctionne à plein régime. Elle déchire le lien social. La polarisation sur les thèmes sociétaux participe aussi de cette manœuvre pour détourner les opinions publiques des enjeux sociaux, écologiques et démocratiques de l’heure.
Voir ici « La haine remède à l’angoisse? » ==> ICI
Montée des autoritarismes de droite partout dans le monde
On a donc l’émergence et le durcissement de pouvoirs autoritaires de droite. Ces pouvoirs trouvent dans les sociétés des soutiens importants, pouvant déboucher sur des majorités électorales. Les pouvoirs comptent sur deux types de soutiens. 1/ Les gagnants du système qui défendent clairement leurs intérêts. 2/ Et ceux qui ont peur du chaos qui serait engendré par un changement. Ils peuvent avoir l’appoint de forces réactionnaires religieuses, comme les Evangélistes au Brésil et aux USA. Comme les Indouistes radicaux en Inde, les Wahabites dans les pays du Golfe.
Ces pouvoirs autoritaires jouent, chacun selon les spécificités de leur société, sur trois familles de variables. 1/ plus ou moins d’ouverture économique sur la mondialisation libérale ; 2/ plus ou moins de fermeture sur les libertés individuelles et sociétales ; et 3/ plus ou moins de xénophobie et de nationalisme.
Sociétés en colère sociétés divisées – Le cocktail est différent pour chaque société
Chaque dirigeant de droite combine ces trois variables selon ses intérêts politiques à court terme et les forces sociales en présence. Sachant que tous restent dans l’inaction sur les enjeux climatiques. Les déclarations sur ce sujet de certains d’entre eux ne trompent personne.
Rejoignent ce mouvement autoritaire les dirigeants de nombreux pays [1] : France, Brésil, Inde, Egypte, Israël, Etats Unis, Russie, Turquie, Grande Bretagne, Hongrie, Philippines, Pologne, Algérie…
Et la gauche dans tout cela ?
Dans la majorité des cas, les sociétés exaspérées ne trouvent pas de réponse à leurs angoisses dans les forces progressistes. La social démocratie a trahi en rejoignant le camp du libéralisme économique.
Les forces qui restent à gauche sont le plus souvent dispersées. Elles agissent au niveau local sans avoir encore inventé de principe fédérateur sur un mode nouveau. La cause écologique, qui rassemble les jeunesses du Nord, pourrait renouveler le champ de la contestation. Un lien sera à établir avec les jeunesses du Sud qui, dans l’ensemble, ne mettent pas les enjeux écologiques comme priorités. C’est plutôt l’emploi et les libertés qui les mobilisent.
Quelles formes d’action ?
Violence ou non violence ? Le débat ne se pose pas forcément dans ces termes. Mais dans celui du soutien de masse aux actions engagées.
La non-violence ne signifie pas l’inaction, bien au contraire. Le durcissement de la répression impose de chercher de nouvelles
voies pour se faire entendre et agir.
Agir, pour ne pas donner raison au désespoir de cette jeune étudiante de Barcelone et de tant d’autres jeunes du monde !
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Voir « Trump, Johnson, Salvini. Le droit contre les peuples? » ==> ICI
[1] La liste n’est pas exhaustive. Et nous ne prenons pas en compte les pays où il n’y a pas d’élections comme l’Arabie Saoudite…
Sur le mécontentement dans le monde, voir ==> ICI