Un roman courageux et sensible

Une histoire de migration. Non pas d’un point de vue global, mais à hauteur d’hommes et de femmes. Une histoire d’arrachement à sa ville, à sa terre. De traversée périlleuse de la mer. Une histoire de courage. Celui de tout quitter pour partir sur les routes, sur les mers. Une historie d’affrontement avec les passeurs qui vous laissent sur le sable du rivage alors qu’aucun bateau promis n’arrivera. Ou qui abandonnent en pleine mer le cargo chargé de migrants, après avoir empoché le prix du passage. Une histoire vue aussi par les yeux d’un commandant de frégate italienne chargé depuis 20 ans de monter la garde sur la frontière Sud de l’Europe. Pour contenir et sauver les migrants qui se jettent dans la traversée de la mer au prix de tous les dangers.

L’Eldorado européen

Le courage d’en faire un roman dans toute la complexité du sujet. Dans les multiples interstices qui se créent entre raison d’Etat (contenir la migration) et nécessité impérieuse de fuir son pays, avec en vue « l’Eldorado européen ».

La force de l’écriture

Laurent Gaudé nous fait pénétrer avec une grande sensibilité dans les âmes de ses personnages qui errent entre ces deux logiques qui s’affrontent.

La trame du roman est improbable. Elle est faite de rencontres bouleversantes et de retournements soudains. Mais cela importe peu. Les morceaux d’histoire que l’auteur noue dans les cœurs et les esprits de ses personnages transmettent une immense émotion. Ils nous permettent d’approcher la réalité vécue de l’arrachement du départ, de la trahison des passeurs, des retournements vécus par ces hommes, ces femmes, ballottés par les flots et repêchés. Qui sont brusquement et tout à la fois sauvés et emprisonnés. De ses trajets sur les routes où la volonté est entièrement tendue vers le franchissement des frontières, à tous les prix, y compris les pires.

Des morceaux de vie d’une cruelle vérité

La femme, sauvée dans un cargo abandonné sur la mer par l’équipage de passeurs, veut à tout prix venger son enfant mort de soif dans ses bras. Elle retourne au Liban pour tuer le capitaine de ce bateau.

Salvatore Piracci, commandant de frégate italienne qui se laisse envahir par le doute sur le bien fondé de sa mission. Sa mission, c’est de repêcher les migrants perdus en mer. Pour les livrer à la police qui les mettra en camps d’internement.

L’arrachement

Le jeune soudanais qui se prépare pour prendre la route au travers du Sahara vers des frontières à traverser. Il vit ses derniers instants dans sa ville. Il sait qu’il ne reverra probablement jamais ces lieux familiers, sa mère. Il va franchir clandestinement les frontières qui le séparent de l’Europe. La douleur de son arrachement est là, dans les lignes de Laurent Gaudé.

Plus loin, sur la rive de la Méditerranée, il est abandonné par les passeurs qui lui volent tout ce qu’il a. Il reste en sang, sur la plage où ne viendra aucun bateau pour l’Europe. Il rencontre Boubakar, un homme qui tente depuis 7 ans de gagner l’Eldorado, l’Europe. Il continue la route avec Boubakar. Une route qui passe par l’oasis de Ghardhaia dans le désert algérien.

Des hommes déshumanisés

Dans son récit auto-biographique « Si c’est un homme », Primo Lévi montre comment, pour survivre dans un environnement horriblement hostile, les prisonniers en viennent à se comporter d’une façon terriblement cruelle vis-à-vis d’autres prisonniers plus faibles. La victoire des nazis dans les camps, c’est la déshumanisation même des déportés. Des déportés qui peuvent se comporter d’une façon pire que celle de leurs gardiens.

Laurent Gaudé met en œuvre le même mécanisme. Lors d’un arrêt, le jeune fait ce qu’il n’aurait jamais imaginé de faire. Il en vient à tuer un voyageur pour lui dérober son argent qui lui permettra de payer d’autres passeurs, gage de sa survie. La rage de fuir son pays, d’atteindre l’Eldorado, la violence subie sur les routes, pousse ainsi aux pires extrémités.

Avec Boubakar, il se retrouve à la frontière avec Melilla, l’enclave espagnole au Maroc. Avec 500 autres migrants africains, il se rue à l’assaut des murs de barbelés érigés là pour défendre l’Europe. Il fera partie des quelques heureux qui réussiront à franchir l’obstacle.

Salvatore retrouve le sentiment de vivre

Le commandant italien est ébranlé par la farouche volonté de ces hommes, de ces femmes, qui veulent franchir ces obstacles à tous prix. Il sent sa vie vide de sens, sans énergie devant ces migrants. Des hommes, des femmes, décidés au risque de leur mort, à franchir les obstacles que l’Europe dresse de plus en plus haut devant eux. Et avant ces obstacles, toute la violence du voyage, entre solidarité et horreur déshumanisée.

Un roman qui apporte une connaissance sensible sur ces voies migratoires, entre espoir et naufrage

Un roman qui change le regard que nous pouvons porter sur ces jeunes hommes, ces jeunes femmes, qui sont parvenus sur le sol de l’Europe. Au prix de quelles souffrances ? De quels errements ? De quels exploits ?

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