Migration : souvenir du départ. Alger août 1959. Dans « Les âmes errantes » [1], Tobie Nathan parle de ce moment qu’il a vécu dans le port d’Alexandrie, sur la passerelle du bateau qui allait l’arracher à son Egypte natale. Là où ses ancêtres étaient enterrés depuis des siècles, chassé par les nationalistes de Nasser. Il avait 9 ans. Ce moment où sa sensibilité a été anesthésiée. Sans émotion apparente. Un moment qui va le hanter sa vie durant.

 

Je pense à mon propre départ d’Algérie en 1959

 

J’avais 13 ans. Je quittais un pays en guerre pour son Indépendance après 130 de domination coloniale. Une guerre entre nationalistes algériens et armée française soutenue par bon nombre de « Français d’Algérie ». Ces « Pieds Noirs » qui redoutaient de quitter la terre où ils étaient nés. Où ils avaient vécu avec tous les privilèges (même pour les plus pauvres) que l’apartheid avait subtilement aménagés. Un apartheid entre « citoyens français » de pleins droits, et « sujets de l’Empire français » aux droits réduits. Avec en plus la spoliation des terres, le mépris et l’humiliation. Les organisations d’extrême droite allaient exploiter les sentiments de ces Pieds Noirs jusqu’au drame. D’abord pour la population algérienne, littéralement terrorisée par les mutins de l’OAS. Mais aussi pour ces Français d’Algérie contraints, la tête basse, de quitter en désordre le pays où ils étaient nés. Bien évidemment, je n’étais pas de ceux là qui quittaient « leur pays ».

 

Issu d’un « couple mixte » dans un pays en guerre civile

Né d’un père algérien et d’une mère française (de France), j’avais subi, enfant, le double rejet. Celui des Algériens (« tu es français, tu n’as rien à faire ici »). Et celui des Pieds Noirs (« sale arabe »). Un cousin de mon père, Amokrane Ould Aoudia, avocat du FLN à Paris, avait été assassiné par les services secrets français au printemps 1959. Je n’aspirais qu’à quitter ce pays en guerre. Un pays où je ne trouvais pas ma place, coincé entre deux murs de haine.

 Le départ pour la France a été pour moi une libération

 Un immense soulagement. Je ne percevais pas, alors, que mon père nous mettais à l’abri de tous les dangers en quittant ce pays en guerre. Deux ans après, son frère, mon oncle chéri, Salah-Henri Ould Aoudia, était assassiné par un commando de l’OAS. Assassiné aux côtés de cinq autres Inspecteurs de l’Education Nationale, parmi lesquels l’écrivain Mouloud Feraoun et Max Marchand. C’était en mars 1962. Au moment de la signature des Accords d’Evian qui allaient mettre fin à l’interminable guerre d’Algérie. Et accorder à ce pays son Indépendance.

 Aucun regret donc

 Aucune nostalgie de cette terre qui nous avait rejeté. De ce pays colonisé, en guerre civile où nous étions cantonnés à la ville d’Alger. Car « l’intérieur du pays » était dangereux. Mon père ne nous disait rien. Il se déplaçait avec un pistolet sous l’aisselle pour se protéger. Zouave d’un régiment de l’armée française, pendant la « Drôle de Guerre », il avait pris cette arme sur un officier allemand. Un officier qu’il avait fait prisonnier avec ses zouaves lors d’une offensive à la frontière belge en 1939 ou en 1940. Quelques temps avant la débâcle.

 Je quittais ce monde de haine et de peur sans un regard derrière moi

 J’arrivais en France, avec un nom difficile à prononcer et à orthographier. Mais avec l’énergie de l’adolescence. Je me jetais à corps perdu dans ma vie naissante. Avec les amis, le rugby et l’athlétisme, les jeunes filles à séduire, les études à mener.

 Pendant des années, j’ai effacé mon pays d’origine de mon paysage

 

(…)

 Retour aux sources dans les années 90

 Je l’ai retrouvé dans les années 90, avec le désir d’un retour vers mes sources. J’ai eu la chance de le faire par le biais professionnel. En combinant ce « retour personnel » avec un travail sur l’économie des pays des rives Sud et Est de la Méditerranée que j’ai amplement sillonnées. En 2008, j’en ai tiré un livre qui rassemble ce que j’avais appris sur cette partie du monde. « Croissance et Réformes dans les pays arabes méditerranéens », publié chez Karthala. Les principaux enseignements de cet ouvrage, je les ai tirés sur le terrain de l’économie politique. Ils restent globalement valables aujourd’hui. Y compris après les poussées populaires amorcées en 2011 en Tunisie et renouvelées en 2019 en Algérie.

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[1] Voir sur ce site la note de lecture sur  « Les âmes errantes »  voir   ==> ICI

Pour une vue d’ensemble sur la Guerre d’Algérie, voir ==> ICI


© 2023 Jacques Ould Aoudia | Tous droits réservés

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