L’enfer est pavé de bonnes intentions ou La faiblesse mortelle de la pensée progressiste
Face à la crise actuelle, aucune réponse crédible n’émane des forces progressistes. Paradoxe ?
Comment expliquer que la crise actuelle du capitalisme, qui, comme la mondialisation libérale qui l’a provoquée est une crise mondiale, entraine une montée des forces de droite et d’extrême-droite ? Autrement posé. Comment se fait-il qu’aucune réponse progressiste ne prenne corps dans les sociétés qui manifestent partout dans le monde leur mécontentement ? D’autant que cette crise sociale ET identitaire se double d’une crise écologique qui met en question notre vie sur la planète ?
Nous tentons-là d’apporter un élément d’explication
Dans son roman intitulé « La ferme des animaux » publié en 1945, George ORWEL nous décrit l’évolution d’une société qui s’est révoltée contre l’oppression et a chassé ses anciens maitres. Dans cette fable animalière, les animaux prennent le pouvoir et se libèrent des hommes qui leur faisaient vivre les pires des oppressions.
L’embellie est de courte durée
Les animaux se sont révoltés avec l’espoir de manger mieux, de travailler moins et d’être respectés. Progressivement, les cochons, qui ont conduit la révolte et dirigent la ferme débarrassée des humains, s’arrogent de plus en plus de pouvoirs. Mais aussi de privilèges. Et ils trouvent toutes les arguties pour justifier les nouveaux statuts et avantages qu’ils ont accordé à eux-mêmes..
Après avoir repoussé une attaque des humains des fermes environnantes, ils prennent le prétexte de leur encerclement pour diminuer les rations de nourriture et augmenter le temps de travail. Les animaux sont de nouveau exténués et affamés. Comme avant. Pendant ce temps, la bière coule à flot dans la maison des anciens maitres qu’occupent désormais les nouveaux dirigeants, les cochons. Ceux-ci se sont adjoint les services des chiens spécialement dressés pour les protéger et faire régner l’ordre nouveau.
En leur sein, les nouveaux dirigeants se livrent à de féroces luttes fratricides qui conduisent à l’éviction de l’un d’entre eux. La caste dirigeante se rétrécie en même temps que ses pouvoirs et prérogatives augmentent. Le rêve d’émancipation s’est transformé en cauchemar.
Une transposition animalière de la situation en URSS
La fable, publiée juste après la Seconde Guerre Mondiale, est une transposition de la situation que le pouvoir de Staline et du Parti Communiste a installé en URSS. Par la force de sa police et de sa répression. Par celle de la propagande. Mais aussi par le gigantesque effort de guerre accompli pour repousser et battre l’armée de l’Allemagne nazie.
George Orwell fait là aussi preuve de son immense capacité d’analyse et de prospective, comme dans son célèbre roman « 1984 »[1].
Nier la part du mal, une faiblesse mortelle
« La ferme des animaux » de George Orwell nous inspire sur cet aveuglement de la pensée progressiste sur la part du mal qui habite chacun des êtres humains.
C’est ce que Jean Baudrillard, dans son essai « La transparence du mal » [2], identifie comme faiblesse mortelle de la pensée qui soutient le mouvement progressiste contemporain.
Penser que l’être humain désire spontanément le bien, refouler la part maudite qui habite chacun d’entre nous, conduit à ce désastre. Non pas une dérive que l’on pourrait corriger à la marge. Mais une situation qui conduit au contraire absolu des intentions premières.
« L’enfer est pavé de bonnes intentions »
C’est bien de cela qu’il s’agit. Oui, « Nous avons perdu »[3] à force d’ignorer le sens profond de cet adage célèbre ! A force de penser que les gens souhaitent spontanément le bien. De croire que le peuple a toujours raison. N’a-t-il pas donné la majorité au parti d’Hitler en Allemagne en mars 1933 ? [4]
Le « mal » en chacun de nous
Nous pensons, tout au contraire, que le « mal » est en chacun d’entre nous. A nous, à chacun des individus, d’user de notre liberté, de notre responsabilité, pour contenir ce « mal ». Ou nous laisser envahir par lui.
« Tous racistes ? » ==> ICI
L’imagination radicale, au plus profond de l’être humain
Tout l’œuvre d’une civilisation (au sens large), porte sur cet effort pour contenir nos pulsions morbides, destructrices, agressives présentes en chacun de nous. Un effort pour limiter notre fascination commune pour la haine, pour la mort.
Cornelius Castoriadis nous aide à comprendre comment, dès l’enfance, l’être humain possède cette part d’imagination radicale, sombre et dévastatrice [5]. Pourquoi ‘radicale’ ? Parce qu’elle naît dans les premiers moments de l’existence humaine, à sa racine. Comme part fondamentale de l’être humain, et ce, dès l’enfance.
Le mal, omniprésent dans les textes majeurs qui fondent nos imaginaires
Et si la référence à Castoriadis ne suffit pas, allons voir dans les textes fondateurs des religions monothéistes ce qu’il en est. Ces textes soutiennent les imaginaires sociaux de nos mondes. Avec des différences, certes. Mais avec un trait fondamental commun : la référence obsédante au mal, incarné par le Diable, Belzébuth ou le Sheitan. Que l’on soit croyant ou non, cet imaginaire demeure présent dans les fondements de chacune des personnes qui vit dans les aires culturelles des religions monothéistes. Un imaginaire mis magnifiquement en poème par Dante Alighieri dans la « Divine Comédie ». Voir ==> ICI
De fait, la pensée progressiste occidentale s’est construite en faisant abstraction d’une part majeure de notre imaginaire ! Était-ce pour effacer l’héritage religieux ? Dans les faits, elle a voulu s’affranchir de cette sagesse profonde qui mêle le mal aux autres éléments qui composent notre vie psychique et collective.
On notera que l’expression « L’enfer est pavé de bonnes intentions » est d’inspiration religieuse ! ! Et d’usage profane.
L’emprise croissante dans les sociétés des héros qui attisent le mal, découpe en creux notre échec
Le président Trump était emblématique de ce phénomène. Il mettait à nu les sentiments les plus bas qui peuvent animer chacun d’entre nous. Il les revendiquait sans vergogne, en une rafale continue de provocations gagnantes [6]. Egoïsme, racisme, sexisme, mépris et violence contre les faibles, haine de classe…. Bolsonaro fait de même et tant d’autres bonimenteurs de la haine.
Leurs discours mobilisant l’identité, la haine de l’autre, réussit à surplanter les thèmes sociaux. Une large fraction des couches populaires est ainsi détournée des conséquences de la mondialisation libérale qui les atteint de plein fouet.
L’important ici n’est pas le caractère ordurier de leurs attitude et paroles…
L’important, c’est que des masses de concitoyens les suivent. Ainsi, dans les années récentes, des dirigeants autoritaires ont accédé au pouvoir par des élections non contestées. Des dirigeants ouvertement racistes, fauteurs de haine, ont été élus. Trump, Bolsonaro, Netanyahou, Modi, Duterte, Orban, Poutine, Erdogan… Et si une bonne partie des médias a amplifié leurs saillies, c’est bien que cela leur rapportait de l’audience. En Europe et tout spécialement en France, des dirigeants de droite, d’extrême droite et autres bateleurs tiennent le haut de l’affiche.
Mais on peut aussi ajouter Ben Laden et les autres dirigeants de cette engeance. Certes, ils ne procèdent pas d’élections. Mais leurs discours de haine sont à l’unisson de ceux des dirigeants nommés ci-avant. Et ils sont soutenus par des fractions significatives des sociétés de culture musulmane. Voir Tina et Daech vont en bateau ==>ICI
Il y a bien une fascination pour le « mal »
Personne n’y échappe. Individuellement, nous avons la liberté de nous y laisser couler. A chacun de nous ne pas tenter d’effacer l’angoisse sociale et identitaire qui nous étreint en nous jetant dans la haine [7]. La haine de l’Autre. A nous de retenir la jouissance que procure le sentiment de détestation de celui qui est différent.
Sans franchir le pas de sombrer dans la haine assumée, nombre de « progressistes » dérivent dans une pensée molle vers le soutien aux dirigeants en place qui prétendent faire obstacle à ce déferlement de haine. Ces mêmes dirigeants qui fabriquent la cause de l’angoisse sociale à la source de cette haine. Quelle déroute !
Alors, collectivement, on fait quoi ?
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In English ==> HERE
[1] Sur « 1984 », voir ==> ICI
[2] Voir note de lecture sur cet ouvrage ==> ICI
[3] « Nous avons perdu » ==> ICI
[4] Sur les élections allemandes de 1933, voir ==> ICI
[5] Cornelius Castoriadis : Définitions et cadre analytique de sa pensée 2 ==> ICI
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