« Le sabre des Takeda » de Yasushi INOUE. L’auteur nous conte une histoire, ou peut-être une légende, dans le Japon du XVI° siècle. Celle d’un homme, Yamamoto Kansuke, qui va prendre une part décisive dans les luttes que se livrent les nobles japonais pour élargir leurs territoires.

Le Japon est morcelé en seigneuries qui ne cessent de batailler. Pourquoi ? Pour conquérir plus de pouvoir. Plus de terres. Pour maintenir sa lignée. Mais aussi pour ne pas être écrasé par le seigneur voisin.

« Le sabre des Takeda » c’est Yamamoto Kansuke

Un homme disgracieux. Nain, boiteux, au visage balafré… Un homme seul, qui vient de nulle part. Qui ne suit aucune école de combat. Et qui gagne ! Sa seule école, c’est le résultat : tuer son ennemi en mobilisant une énergie et une adresse inouïes. Yasushi INOUE lui prête une intelligence hors pair dans l’art de la guerre. Et un cynisme total. Tout est possible pour aboutir à ses fins.

La lignée, le sang, jouent un rôle essentiel

Les fins de Kansuke, c’est la préservation de la lignée des Takeda. C’est-à-dire l’augmentation de sa puissance, de son territoire. Cela passe par la sauvegarde du sang des Takeda que Kansuke notre héro veut préserver à tout prix. Il voue une admiration presque totale au jeune chef du clan Takeda, Harunobu. Et à une de ses concubine, la princesse Yubu. Celle-ci a été capturée après que Harunobu a tué son père et défait ses armées pour s’approprier les terres autour du Lac de Suwa.

Les alliances matrimoniales jouent un rôle essentiel dans ces luttes

Pour apaiser un rival, on lui donne sa propre fille. Ou on prend la fille du rival en otage en la mariant à son héritier. En espérant que cet adversaire va rester neutre dans un combat qui est menée contre un autre rival. Mais, même avec sa fille en otage, le moment viendra où il faudra prendre sa vie.

Finalement, Yasushi Inoue brode son roman historique autour du désir de conflit !

Autour du désir de guerre. Désir de conquête, désir de victoire. Et tant pis si on ne gagne pas toujours. Désir aussi de l’euphorie des batailles. Affrontements rangés, où cavaliers et fantassins s’entremêlent et s’entretuent gaillardement. Harunobu et ses officiers observent la tuerie depuis une colline, et donnent des ordres… A la fin, qui a gagné ? On compte les têtes des morts de chaque camp. Drapeaux qui claquent au vent. Son des conques qui donnent ordres et contre-ordres. Cavaliers qui portent des informations et envoient des ordres. Une griserie s’empare des combattants. Jusqu’à ses chefs.

« Le sabre des Takeda » de Yasushi INOUE - couverture du roman

Stratégie et tactique sont les arguments du grand jeu de la guerre

Et à ce jeu, Yamamoto Kansuke est passé maitre. Ses conseils militaires s’imposent, au grand dépit des officiers de noble sang. Mais il a aussi des visées à plus long terme. Des visées qui se jouent sur les alliances matrimoniales. Sur les espoirs de voir un fils vigoureux et courageux prendre la relève du père. Kansuke entre dans ces combinaisons matrimoniales où les enfants sont aussi en danger que les guerriers sur les champs de bataille. Ils sont en effet des promesses de victoire pour un camp. Mais les conflits au sein des châteaux, au sein du clan, peuvent aussi être mortels. Annihiler la descendance d’un rival peut être une opération décisive. Aussi importante que de gagner une bataille.

Ce « désir de conflit », nous en parlons dans notre ouvrage « SUD ! Un tout autre regard sur la marche des sociétés du Sud » (voir ==> ICI)

Le roman est bâti sur la perspective de l’affrontement décisif que doivent se livrer deux grands seigneurs de guerre et leurs clans respectifs

Celui du clan des Takeda, Harunobu, qui se nommera Shingen quand il deviendra moine. Face à lui, Kenshin Uesugi, autre grand seigneur, stratège hors pair, lui aussi. D’escarmouches en batailles contenues, les deux seigneurs d’observent pendant près de 10 ans. Ils passent des alliances avec d’autres seigneurs, agrandissent leurs territoires respectifs, se provoquent. Mais ils reculent le moment de l’affrontement total, décisif.

Celui-ci aura lieu à Kawanakajima, au cours d’une bataille devenue légendaire

Lors de cette bataille, Kenshin va créer un leurre en occupant brièvement une position haute qui attire le gros des troupes de Shingen. Son plan est de fondre sur les troupes du clan Takeda restées pour couper la route de son armée sensée être défaite sur la colline. Son plan s’applique dans la première phase de la bataille. Avec le gros de son armée, il se précipite sur les troupes de Kenshin restées en bas. Le seigneur du clan Takeda est en danger de mort. Yamamoto Kansuke se précipite pour défendre son maitre. Il meurt au combat. Lui, le stratège, s’est laissé prendre par plus fort que lui. Mais les forces du clan Takeda redescendent de la position haute vers le champ de bataille. Et exterminent l’armée de Kenshin. Le clan Takeda a gagné la bataille décisive. Mais Yamamoto Kansuke est mort au combat.

Le Japon est totalement déchiré par ces guerres

Des guerres propices à l’émergence de personnages légendaires comme Kansuke. Faire d’un nain boiteux et borgne un héros laisse, dans la conscience collective, la part belle à la ruse, à la science de la guerre. Finalement, à l’intelligence.

L’écriture, à tout le moins la traduction du japonais au français, participe subtilement au partage de « l’esprit japonais »

L’écriture présente des aspérités dans la construction de l’enchainement des mots. Avec une résolution du sens des phrases qui reste parfois légèrement en suspens. J’ai pris cela comme un trait de la culture japonaise.  D’une expression qui parait heurtée, du point de vue de la langue française. Mais aussi de son oreille, comme les dialogues dans les films de Kurosawa nous le font ressentir [1]. C’est ce que j’ai perçu à la lecture du roman, surtout dans les premières pages. Une interprétation que je ne peux vérifier.

Mais au fond, la lecture du roman n’en est pas perturbée. Nous suivons le héros Yamamoto avec un immense plaisir dans ses manœuvres, ses exploits, ses doutes.

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[1] Par exemple dans le film « Les sept samouraïs »

Sur l’histoire du Japon, et notamment l’époque troublée du XVI° siècle, voir  ==> ICI

Pour en savoir plus sur l’auteur, voir ==> ICI

Voir aussi une autre œuvre d’Inoue ==> ICI

Sur la bataille de Kawanakajima, voir  ==> ICI

 

[1]