L’Afrique à la recherche de son « arrangement » politique
Résumé. La répétition des crises politiques en Afrique suggère que la transposition importée du Nord des formes d’expression de la volonté collective, et notamment de dévolution du pouvoir, n’assure pas une stabilité dans la marche des sociétés. Les « arrangements institutionnels » de la démocratie, que les pays du Nord ont façonné au cours de plusieurs siècles, sont-ils en cohérence avec les imaginaires sociaux qui dominent dans les sociétés du Sud ?
Nous questionnons ici ces « arrangements » qui se donnent comme universels mais qui, transposés dans une démarche de fétichisme des formes, ne répondent pas, en Afrique, aux « fonctions institutionnelles » qu’elles sont censés incarner. Quelques artistes s’aventurent sur ces terrains et ouvrent le champ créatif en inventant d’autres formes de gouvernance.
Mots clé : démocratie, Afrique, arrangements institutionnels versus fonctions institutionnelles
Africa in search of its « political arrangement »
Summary. The repetition of political crises in Africa suggests that the transposition of the forms of expression of the collective will, in particular the devolution of power, imported from the North, does not ensure stability in the functioning of societies. Are the « institutional arrangements » of democracy, which the countries of the North have shaped over several centuries, consistent with the social imaginaries that dominate in the societies of the South?
We question here these « arrangements » which are given as universal but which, transposed in a way of fetishism of forms, do not respond in Africa to the « institutional functions » that they are supposed to embody. Some artists venture into this field and open up the creative field by inventing other forms of governance.
Keywords: democracy, Africa, governance, “institutional arrangements” versus “institutional functions”.
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On ne peut que s’interroger sur la série de crises politiques qui secouent les pays du Sud depuis tant d’années, et qui semblent se multiplier ces derniers temps autour du mode de gouvernance des pays. Tout particulièrement sur le Continent africain, de part et d’autre de l’espace saharien.
La crise de la démocratie au Nord, dont témoigne le chaos de la fin du mandat de Donald Trump aux Etats-Unis et les crispations identitaires qui traversent toutes les sociétés avec le rejet de l’autre et les raidissements autoritaires, ajoutent à la complexité de l’interrogation. Car la crise de la démocratie est pour essentiellement liée à la perte de pouvoir du politique face aux marchés. Abandonnant une large partie de leurs pouvoir d’agir, les dirigeants politiques se retrouvent impuissants à satisfaire les demandes sociales, environnementales, démocratiques, culturelles des sociétés. Que les mécontentements se manifestent d’une façon différente au Nord et au Sud, et dans chacun de ces espaces selon les pays, ne nous distrait pas de l’idée qu’une racine commune de cette crise de la démocratie tient à l’impuissance du politique. Impuissance que les marchés mondialisés organisent depuis quelques décennies.
Ici, nous évoquons essentiellement la crise de la démocratie sous l’angle de celle de la gouvernance politique
Nous mobilisons pour cela deux registres dans l’analyse des institutions, les « fonctions institutionnelles » et les « arrangements institutionnels » [1]. Les premières sont des composantes universelles et atemporelles que tout groupe humain élabore pour « faire société ». Elles portent sur un nombre limité de catégories essentielles : la sécurité, la gouvernance politique, la justice, la capacité à produire des ressources et la solidarité avec les personnes vulnérables. Les seconds sont les formes contingentes que chaque société, avec son histoire, sa culture, ses ressources, adopte pour mettre en œuvre les fonctions énoncées plus haut. Dans l’histoire et partout dans le monde, les sociétés humaines ont mis en œuvre une immense variété d’arrangements institutionnels pour assurer la sécurité, pour désigner et faire fonctionner le pouvoir politique, faire justice, produire des ressources etc…
Un exemple en matière de foncier
Par exemple, pour assurer la sécurité foncière (la « fonction institutionnelle »), il y a une grande diversité « d’arrangements institutionnels » dont le cadastre est l’une des formes. Confondre les deux notions cache, souvent, une approche normative qui fait de l’arrangement adopté au Nord la forme unique pour assurer la fonction institutionnelle partout ailleurs [2]. L’acharnement des grandes organisations internationales à imposer le cadastre comme norme universelle illustre ce que la confusion entre les deux registres institutionnels peut signifier.
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En Afrique, la question des formes (des « arrangements ») que prennent les modes d’accession au pouvoir n’est pas tranchée
Au sens où elle n’est pas intégrée comme une évidence partagée dans les imaginaires sociaux de la plupart des sociétés au Sud. Des sociétés qui ont adopté, sous l’influence des pays occidentaux, les règles formelles de la démocratie. Des règles inventées et mises en œuvre dans les pays du Nord. Ces règles formelles, trop souvent réduites aux élections, ont été adoptées au Sud sur le papier. Leur adossement aux « croyances » qui sont nécessaire à leur bonne marche mérite d’être questionnée.
Car les croyances qui sous-tendent ces règles qui instituent la démocratie au Nord ont émergé au cours d’une lente maturation, après plusieurs siècles de conflits, controverses, avancées et reculs. Un long processus qui a forgé ces « croyances » dans les sociétés (ou « imaginaire instituant » au sens de Cornelius. Castoriadis [3]) pour porter l’idée démocratique.
1.1. Quelles sont les « imaginaires instituants » qui sous-tendent la vie politique et notamment les élections dans les pays du Nord ?
– La première croyance/imaginaire instituant tient à l’origine des lois. Au Nord, les lois relèvent clairement des êtres humains dans l’imaginaire collectif, fruit d’une lente évolution vers la « modernité » éclose aux Etats Unis, en Angleterre et en France au XVIII° siècle. Evolution qui s’est répandue progressivement dans le monde occidental. D’après cette croyance, les lois sont faites par les êtres humains. Elles sont donc modifiables par les êtres humains.
Or, contrairement à ce qui est implicitement admis comme évidence, cette croyance n’est pas partagée par une large majorité de la population de la planète. Pour laquelle les lois, les règles, dépendent plus ou moins directement d’une puissance supérieure : Dieu, des Dieux, les ancêtres. Une entité hors de portée humaine… Les lois sont alors immuables, prises dans un mélange de religion et de tradition. Les pouvoirs en place y voient une source de légitimité. Et surtout une protection contre toute mise en cause des règles du jeu politique par d’autres êtres humains.
Clairement, la progression de l’éducation « moderne » tend à réduire le poids de ces croyances. Mais dans quelle mesure exactement ? Dans nombre de pays, le poids des croyances religieuses a montré que cette question, aujourd’hui, reste non-tranchée [4]. Qu’elle soit formulée explicitement ou non, elle divise profondément les sociétés.
– La seconde « croyance » porte sur l’égalité des individus. Un ministre et un vendeur de rue pèsent du même poids. Avec chacun une voix. La voix d’une femme est égale à celle d’un homme. Dans les sociétés de statuts, cette croyance va profondément à l’encontre du sens commun.
– S’ajoute la croyance en l’idée que les tenants du pouvoir doivent respecter les opposants et non les ignorer ou les écarter.
– Enfin (mais la liste n’est pas exhaustive), la croyance dans la vérité des résultats chiffrés des votes agrégés, qui débouche sur des résultats abstraits, non perceptibles directement.
1.2. Ces croyances sont loin d’être massivement partagées dans bien des sociétés du Sud
Les soubresauts avant, pendant et après les élections de ces dernières années en témoignent. Notamment sur le Continent africain, mais pas exclusivement.
D’autres croyances sont présentes, tout aussi respectables. Mais différentes. Qui devraient, dans leur différence, conduire à d’autres formes. D’autres arrangements pour élaborer les lois et dévoluer le pouvoir.
C’est ce qui explique que les perdants des élections les contestent presque systématiquement. Que plusieurs candidats se déclarent vainqueurs pour un même siège sur la base de résultats partiels. Que les institutions qui sont censées garantir la sincérité des élections soient presque systématiquement contestées.
1.3. Un principe simple, une mise en application complexe
Les élections sont simples à comprendre dans leur « fonction » : permettre l’expression majoritaire des citoyens. Mais leur mise en œuvre au travers de dispositifs concrets (les « arrangements ») mobilise des processus très complexes, et qui connaissent une infinité de formes. Des processus où les règles dans leur détail peuvent avoir d’importantes conséquences. Où croyances profondes et dispositifs formels se mélangent et donnent lieu à toutes les interprétations possibles. Et à toutes les manipulations imaginables.
Le passage obligatoire par l’isoloir pour le vote : un exemple d’obligation qui libère
Le caractère obligatoire de ce passage par l’isoloir avant de glisser son bulletin dans l’enveloppe vise à libérer l’électeur de la pression du groupe. Là où le chef du village, le patron, l’officier, le père de famille peut contraindre l’ensemble des villageois, des employés, l’ensemble des soldats, les membres de la famille à voter comme il l’entend.
Ce dispositif apparemment simple a donc des effets importants. Car il offre la possibilité de briser la soumission au groupe, libérant l’individu dans son choix politique. A condition toutefois qu’il soit appliqué correctement. Notamment par l’obligation de prendre tous les bulletins de vote sur la table où ils sont présentés.
Sur cet exemple, on voit l’importance des « détails » dans la mise en œuvre de la mesure.
Ces processus complexes nécessitent l’adoption d’une multitude de règles formelles
Et sans les croyances qui « vont avec » les formes de la démocratie, des élections, il ne reste que les règles formelles. Des règles que les tenants au pouvoir bricolent et peuvent soutenir par d’audacieuses arguties pour se maintenir au pouvoir. Des règles qui sont mises au service d’autres finalités que celles auxquelles elles prétendent.
Constater cela, c’est rappeler qu’une règle, une institution, importées fonctionnent autrement que là où elles ont été créées [5]. Il en va ainsi d’une élection, d’un appel d’offre, du fonctionnement d’un tribunal, de celui de la direction d’un hôpital, du management des « ressources humaines » dans une entreprise, une association, une administration…
La question du « troisième mandat » du président
C’est souvent la pierre d’achoppement qui cristallise le conflit. L’adoption de cette disposition dans la plupart des Constitutions, sous l’influence des bailleurs du Nord, se retourne contre ses louables intentions. Elle polarise le débat politique, créant une instabilité chronique dans nombre de pays. Entre batailles sans fin sur l’interprétation des textes, changement (contesté) du texte de la Constitution et manifestations violentes. Comme en Guinée, en Côte d’Ivoire ou en République Centrafricaine en 2020.
Cette obsession du nombre des mandats est difficile à comprendre. Ainsi, reproche-t-on à Angela Merkel d’avoir brigué et gagné des élections et occupé le pouvoir pendant 16 ans ?
1.4. Acrobaties avec les règles formelles pour contourner les règles électorales
Sans les croyances pour soutenir les règles formelles de la démocratie, il ne reste que le formalisme. Et ce formalisme, on peut en faire un « jeu » par d’infinies manœuvres.
La tragi-comédie politique qui se joue en République Démocratique du Congo (RDC) illustre ce point. Depuis 2017, les manœuvres politico-juridiques en RDC se multiplient. Retards dans la convocation des élections présidentielles par l’ancien président. Accord de partage du pouvoir entre le nouveau et l’ancien président après des élections (contestées). Puis rupture de l’accord et appel à l’Union sacrée en débauchant les députés fidèles à l’ancien président pour composer une autre majorité parlementaire…
Pendant ce remue-ménage dans la capitale, l’insécurité prospère et la pauvreté se maintient dans le pays
Ces embrouilles politiciennes en RDC s’effectuent sur fond de crise sécuritaire. De défaillance des services publics, de détournements de fonds, y compris ceux destinés à la lutte contre la Covid 19. La « communauté internationale » apporte régulièrement des financements aux autorités de la RDC. Elle soutient et finance une force armée multilatérale (contestée). Est-ce pour permettre la poursuite de l’exploitation des immenses ressources minières du pays pour le profit des groupes miniers internationaux ? Avec un partage des bénéfices, certes inégal, mais qui rend le pouvoir à Kinshasa suffisamment attractif pour susciter ces luttes fratricides permanentes ?
Les « élites » se déchirent pour le pouvoir. La paralysie de la décision politique est totale. Et chacun, la main sur le cœur, déclare ne s’occuper que des besoins des populations !
1.5. Avec tous ces méli-mélo, les élections portent sur des enjeux incompréhensibles par la majorité de la population
En RDC et dans bien d’autres pays, les batailles politiques sur des enjeux réels des élections restent très confuses pour la plupart des électeurs. Et que dire de la transhumance politique qui voit des élus changer de camp ? Ainsi que du recours à l’argent pour influencer les votes des couches sociales les plus pauvres ?
Devant cette confusion, on ne vote pas. Ou bien « on vote pour quelqu’un de chez soi » car on le connait, on lui fait confiance a priori. C’est la force du lien. Et s’il trahit la confiance, on a un (léger) moyen de pression sur lui, puisqu’on est de la même région.
Une régression citoyenne
Ainsi, le jeu politique tel qu’il est pratiqué dans le cadre des règles formelles adoptées entraine une régression citoyenne majeure. Un repli sur les identités régionale sous leurs différentes formes. Un renforcement de la primauté du lien qui s’effectue au détriment du droit [6].
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Au total, les élections ne règlent pas les problèmes !
Au terme de ces processus où la loi, la vérité, la transparence… ont été mises à mal, les élections ne tranchent pas les questions majeures qu’affrontent dans la vie quotidienne les populations. Seuls les « gagnants » des élections en défendent les résultats et le principe. Ce qui entraîne la poursuite du conflit qui couve sous les cendres pour les supporters des partis perdants. Et un rejet du système politique pour la majorité de la population.
2.1. Du refus à reconnaitre les résultats des élections au refus du principe même des élections
Au fond, la contestation des résultats conduit à la contestation des élections elles-mêmes ! Participer ou non aux élections pour les forces d’opposition s’inscrit dans cette défiance vis-à-vis de ce processus. Et nombreuses forces d’opposition refusent de participer à ce qui est appelé par avance une « mascarade » [7]
2.2. Au Nord de l’Afrique également, les élections ne règlent pas les questions que se posent les sociétés
– En Algérie, le mouvement du Hirak n’a pas été ralenti par des élections présidentielles qui sont restées verrouillées par le pouvoir. Celles-ci ont maintenu aux postes-clé les tenants du « système ». C’est la Covid 19 qui a fait refluer (provisoirement ?) les manifestations de la contestation.
– En Egypte, le président Morsi est arrivé en 2013 par un coup d’Etat soutenu par un mouvement populaire (comme au Mali en 2020). Il se maintient au pouvoir au prix d’une féroce répression contre les opposants de tous les bords. Et il compte sur son aléa moral (Too Big to Fail) pour entretenir le chantage au chaos régional qui lui assure de substantielles aides financières de ses tuteurs, Etats Unis et Arabie Saoudite.
– Au Maroc, les élections remplissent les rangs des Chambres, haute et basse. Mais le pouvoir réel demeure ailleurs et les ministres n’ont au mieux que le pouvoir de directeurs d’administration. Ce qui n’évite pas les jeux politiciens pour occuper les postes. Les retombées financières de l’accession à ces fonctions ne sont pas à négliger. La population est lassée de voter pour des élus qui n’ont d’autre pouvoir que de s’enrichir. Les partis politiques, même les partis nationalistes historiques, sont dévalués. La correction infligée au parti islamiste en septembre 2021 fait sens. Elle a cependant poussé les électeurs vers les partis de la droite libérale qui ont déversé des masses d’argent considérables aux différents stades du processus électoral.
– En Tunisie, après le départ du président Ben Ali en 2011, le compromis politique a débouché sur l’adoption à la quasi-unanimité de la Constitution en 2014. Mais il a établi un « triangle de pouvoirs » paralysant, entre Président, Chef du Gouvernement et Parlement. La décision politique en est devenue impossible. Ce qui a laissé libre cours aux combinaisons politiciennes opportunistes. Celles-ci éloignent les électeurs de la chose publique. L’Etat est vacant, la société est laissée à elle-même, y compris face à la pandémie du C19.
La décision du président de la République, élu dans la population avec une très forte majorité, de suspendre en juillet 2021 les travaux du Parlement et de congédier le Gouvernement intervient comme un soulagement dans la population face au blocage de l’action publique. Les risques de dérapage autoritaires cependant sont perçus. Dans un pays qui a déjà fait l’expérience de l’absolutisme de deux précédents présidents, Bourguiba et Ben Ali.
– En Libye où le pouvoir était tenu par la tribu dominante sous Kadhafi, le système électoral n’est pas parvenu à désigner un exécutif légitime pour la totalité de la population. Des formules non électorales ont conduit à la constitution d’un exécutif sensé retrouver autorité sur l’ensemble du territoire. Mais les parrains étrangers continuent de tirer les ficelles qui agitent les acteurs locaux. Tandis qu’après tant de violence, l’impunité reste la règle. Y compris pour les acteurs étrangers.
2.3. Devant le blocage des situations politiques, des acteurs prennent l’initiative hors cadre légal
Au Mali, au Tchad, en Tunisie, en Guinée, et avant eux en Egypte pour ne parler que de la période récente, les tenants du pouvoir (militaire ou politique) brisent les règles et prennent le pouvoir. Avec l’appui plus ou moins affirmé d’un mouvement populaire (Egypte, Mali, Tunisie), ils défient les lois pour sortir le pays d’une paralysie que les manœuvres des partis organisent de fait. Et ils cherchent après coup des formules pour mener une « transition » vers un cadre légal. Le même qu’avant le coup, ou un autre à inventer.
Les recommandations de la « communauté internationale » sont dévaluées
Après ces prises de pouvoir hors légalité, les appels au « retour au cadre institutionnel » de ce qu’on nomme improprement la « communauté internationale » sont proférées comme vœux pieux. On notera que depuis quelques mois, elles se font moins pressantes, tant le cadre légal antérieur était bloqué, dysfonctionnel, contesté.
2.4. Sous le vernis fragile des élections, d’autres formes poussent
Devant l’échec des formes institutionnelles à faire émerger et à stabiliser un pouvoir légitime et à apporter des réponses aux questions que se posent les sociétés, surgissent des formes nouvelles.
Les perdants des élections ou les tenants du coup d’Etat avancent des propositions pour dépasser les blocages politiques que les élections n’ont pas tranché. Demande d’un processus de « Réconciliation nationale ». De mise en place d’une « Instance de transition ». Nécessité d’instaurer un « Dialogue national ». Ou un « Dialogue républicain inclusif » qui réunirait l’ensemble des « forces vives de la nation ». Convocation « d’Assises nationales ». Formation d’un « Gouvernement d’union sacrée » … Les formules se multiplient. On « s’assoit et on discute ». L’expression « s’assoir » devient synonyme de « débat politique » [8].
Ces demandes des perdants sont autant de preuves du refus de reconnaitre les résultats des élections
Des preuves de la non-résolution des tensions politiques par le processus électoral. Ou la recherche d’autres formes de gouvernance après une prise du pouvoir hors les règles établies.
A Madagascar, les députés qui s’étaient livrés entre eux à une lutte farouche pour se faire élire, déclarent, une fois élus, qu’ils soutiennent tous le Président et font partie de la « majorité présidentielle ».
Des propositions de formes nouvelles d’expression de la volonté politique
Ce que l’on entend depuis quelques années, avec la contestation des formes adoptées pour instaurer la démocratie (et notamment les processus électoraux), c’est la poussée tâtonnante de demandes pour d’autres formules de dévolution du pouvoir. D’autres façons de faire émerger les préférences collectives.
La Démocratie ne vaut que par son application concrète dans des sociétés concrètes. C’est-à-dire par la façon dont une société donnée interprète ce (beau) principe et le transcrit dans des « arrangements » qui sont en phase avec sa culture profonde. Son histoire, ses ressources, son environnement.
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L’Afrique n’a pas trouvé, à ce jour, son « arrangement » politique
Emerge, l’idée que les arrangements politiques importées du Nord ne sont pas adaptées aux sociétés du Sud. La non-reconnaissance des formes traditionnelles d’attribution du pouvoir, voire l’opprobre qui les couvre comme marque d’arriération, l’idée que les règles formelles importées du Nord sont par essence supérieures, freinent la recherche des arrangements élaborés d’une façon endogène. Des arrangements qui seraient testés, contestés, retravaillés, selon une élaboration politique à mener au sein de chacune des sociétés du Sud. Des arrangements qui combineraient des formes ancestrales et des pratiques modernes, incluant le numérique.
Avec la liberté de la romancière, Léonora Miano…
Dans son roman Rouge impératrice, l’auteure ose défier l’universalisme des formes démocratiques importés d’Occident. Elle ose placer le dialogue avec les ancêtres dans l’équation d’un « arrangement politique » élaboré d’une façon endogène par les sociétés d’Afrique. Avec cette liberté, Léonora Miano a le mérite de poser la question et d’ouvrir la réflexion dans un exercice prospectif. Elle situe son roman dans l’Afrique (presque) totalement unifiée au XXII° siècle !
Voir la note de lecture sur Rouge impératrice ==> ICI
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Ailleurs, la démocratie est aussi en souffrance
L’Afrique n’ait pas le monopole de ces difficultés à faire émerger les préférences collectives.
Les sociétés du Nord ont forgé, à la fin du XIX° siècle, les outils pour soutenir et organiser la démocratie qui se sont construits d’une façon endogène. La répartition des pouvoirs, les organisations d’expression de la société (partis politiques, syndicats, associations) …
Ces outils ont été révolutionnaires en leur temps. Ils ont soutenu la pénétration des principes démocratiques dans la population, au fil des années. Selon un processus qui n’a pas été, faut-il le rappeler, sans reculs.
3.1. Aujourd’hui, ces outils ont épuisé leurs effets
Ils ne répondent plus à leur fonction d’organisation et de soutien de la démocratie. Ils ne sont plus le réceptacle et le vecteur des volontés des différentes couches de la société. Celles-ci ressentent un profond mécontentement. Et les élections ne parviennent pas à donner à ce mécontentement une solution politique qui apaise les tensions. Car l’idée « qu’il n’y a pas d’alternative » s’est imposée pour vider le champ politique de son contenu. Pour siphonner la réalité du pouvoir. La montée de l’extrême-droite traduit ce profond malaise. En même temps qu’elle l’accroit !
Aux Etats Unis, la démocratie ne parvient plus à donner à l’exécutif une légitimité incontestée par la minorité
On sait maintenant que les saillies de Trump sont le reflet de dysfonctionnements sévères et son soutien par plus de 70 millions d’électeurs témoigne de la profondeur et de la durée de la méfiance envers les institutions démocratiques. En France, les Gilets Jaunes ont demandé, confusément, de nouvelles formes d’expression démocratiques, comme le « Référendum d’Initiative Populaire ». En Grande Bretagne, les vénérables institutions démocratiques n’ont pas réussi à mener d’une façon claire le débat sur le Brexit. Celui-ci s’est finalement établi, mais il reste contesté.
3.2. L’écart se creuse entre les sociétés et les dirigeants
L’écart se creuse au Nord, mais aussi au Sud, là où les partis avaient tiré leur légitimité de la lutte anticoloniale. Partout, cette légitimité s’est effritée. Elle s’est transformée en rente symbolique pour les tenants des pouvoirs. Mais une rente qui s’épuise avec l’arrivée de générations qui n’ont pas connu la période coloniale.
Pour conclure. D’autres formes d’expression des volontés politiques
Les sociétés manifestent leur mécontentement autrement que par les élections par lesquelles elles ne trouvent pas les moyens de se faire entendre. De grands mouvements populaires éclatent dans le monde. Subissant des repressions plus ou moins violentes.
Au Chili, des manifestations massives ont fait passer un mouvement du refus d’une augmentation du prix du ticket de métro à la demande de révision de la Constitution. Au Soudan, les puissants mouvements de rue ont mis fin à des décennies de dictature islamo-militaire. Un compromis avec l’Armée est intervenu. Mais ce compromis est remis en cause violemment par l’armée. En Biélorussie, la rue dénonce massivement les fraudes électorales qui ont maintenu au pouvoir l’oligarque allié de Poutine. Au Mali, un mouvement populaire a pavé la voie au coup d’Etat de l’été 2020.
En Algérie, le Hirak a soulevé, sur un mode pacifique, des millions d’Algériens contre le « système ». Avant que la pandémie du C19 ne vienne figer la situation. Au Liban, la société manifeste régulièrement contre un pouvoir incapable et corrompu. Tandis que le pays s’enfonce dans une crise profonde… En Iraq la population affronte les « forces de l’ordre ». En Inde, le mouvement paysan s’oppose dans la rue aux mesures de libéralisation de l’agriculture…
Mais ces manifestations ne forment qu’un moment politique éphémère
Faute de s’instituer, de trouver une forme stable, les élans populaires retombent. Les pouvoirs en place usent des outils classiques pour laisser passer la vague. Répression policière, division du mouvement, désinformation.
Bien au-delà de l’Afrique, d’autres formes d’expression des préférences collectives sont à élaborer
D’autres arrangements. Au risque que les sociétés rejettent majoritairement a « fonction », la démocratie, au profit de l’autoritarisme. Au Sud comme au Nord, osons questionner les formes que prend la démocratie.
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On peut approfondir ce thème en lisant SUD ! Un tout autre regard sur la marche des sociétés du Sud de l’auteur de ce site. Voir ==> ICI
Pour élargir son horizon sur le Continent, on peut aller sur le site AFRIQUE XXI. Accéder ==> ICI
[1] Nicolas Meisel et Jacques Ould Aoudia : « La bonne gouvernance est elle une bonne stratégie de développement ?» Document de travail de l’AFD n°58, 2008. Voir ==>ICI
[2] Jacques Ould Aoudia SUD ! Un tout autre regard sur la marche des sociétés du Sud, L’Harmattan, 2018. Voir ==> ICI
[3] Cornelius Castoriadis : L’Institution imaginaire de la société. Seuil, 1975.
[4] Dans le monde de culture musulmane, la plupart des pays font référence à la Charia (en arabe : الشَّرِيعَة) dans leur Constitution. Les partis de l’islam politique demandent qu’elle en forme la référence exclusive. La charia représente dans l’islam diverses normes et règles doctrinales, sociales, cultuelles et relationnelles édictées par la Révélation. Le terme signifie « chemin pour respecter la loi » [de Dieu].
[5] Douglass North, John Wallis et Barry Weingast Violence et ordres sociaux. Gallimard, 2010.
[6] Selon l’opposition célèbre entre « sociétés de liens » et « sociétés de droit ». Max Weber L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme, 1904-1095.
[7] Dans tous les sens du mot « mascarade ». On se trouve devant une manifestation où la réalité porte un masque.
[8] L’usage répété ici des guillemets traduit la fragilité des concepts mis en avant.
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