Une renommée mondiale avec son premier roman en 2002
« Le Syndrome de la dictature » d’Alaa EL-ASWANY (note de lecture). Alaa El-Aswany (arabe : علاء الأسواني) nous a enchanté avec ses romans. « L’immeuble Yacoubian » (2002) dont on a fait un film. « Chicago » (2006). « Automobile Club d’Égypte » (2014). « J’ai couru vers le Nil » (2018). Et ses essais comme « J’aurais voulu être Égyptien » (2009), « Chronique de la révolution égyptienne » (2011). Pour ne citer que ses textes traduits en français.
Un acteur engagé par ses écrits
Depuis le début de son passage à l’écriture, El Aswany se fait le narrateur de la marche de sa société. Notamment dans son essai « J’aurai voulu être Egyptien ». Il y dresse un tableau plein d’un humour aigre sur les relations sociales de son pays. Notamment sur la promotion sociale qui se fait par tous les moyens, sauf la compétence.
Dans l’essai ici présenté, il cite cette interview à la télévision d’un jeune égyptien. Celui-ci a été repêché d’un « bateau de la mort » qui fuyait son pays pour émigrer. Le journaliste demande au jeune : « – Que projetez-vous de faire maintenant que vous avez été sauvé de la noyade ? Le jeune homme fit une réponse simple : – Je vais recommencer. Le journaliste, interloqué, lui demanda : – Vous n’avez pas peur de mourir ? Le jeune homme lui répondit alors : – Si j’arrive à traverser, j’ai une chance de vivre. Mais en Egypte, je suis déjà mort. » (p 36)
Il intervient activement dans les grands événements qui ont rythmé son histoire récente. Notamment dans son roman de 2018 « J’ai couru vers le Nil » qui met en scène des protagonistes de la révolution égyptienne de l’hiver 2011. Depuis des jeunes acteurs qui se sont portés, enthousiastes, sur la Place Tahrir. Jusqu’aux militaires et leurs alliés bourgeois et religieux qui manœuvrent en coulisses pour dévoyer le mouvement. Pour le briser et le récupérer.
Il dénonce l’intégrisme islamique
Et notamment l’idéologie qui le répand dans le monde, le Wahhabisme. Je cite : « Le régime saoudien a dépensé des milliards de dollars afin de propager la conception wahhabite (fondamentaliste) de l’islam. Une conception qui mène immanquablement à pratiquer une religion de pure façade (ceux qui le contestent devraient regarder l’énorme hiatus entre le discours et la réalité en Arabie saoudite).
Sur les chaînes satellitaires saoudiennes, des dizaines d’hommes de religion parlent 24 heures sur 24 de questions religieuses. Mais jamais du droit des citoyens à élire leurs gouvernants, ni des lois d’exception, ni de la torture et des arrestations arbitraires. Leur pensée ne s’attarde jamais aux questions de justice et de liberté. En revanche, ils se vantent d’avoir réussi à mettre le voile à une femme. Comme si Dieu avait révélé l’islam dans le seul but de couvrir les cheveux des femmes, et non d’établir la justice, la liberté et l’égalité. » [1]
Avec « Le syndrome de la dictature » [2], El Aswany nous livre une série d’observations
Non pas comme un spécialiste des sciences humaines. Mais comme un médecin (qu’il est) qui s’attache à décrire les signes qui caractérisent une dictature considérée comme une maladie. Il sait de quoi il parle. Il est égyptien. Et une partie de ses œuvres est interdite dans son pays, et dans presque tout le monde arabe. A l’exception notable du Liban, du Maroc et de la Tunisie.
Il ouvre son texte par l’évocation de la guerre de 1967 entre l’Egypte et Israël. L’auteur a dix ans alors. Gamal Abdel Nasser, dirige alors l’Egypte d’une main de fer et réprime ses moindres opposants. Dans le même temps, il répand à jet continu une propagande pseudo-socialiste et ultra-nationaliste. L’Egypte millénaire, « mère du monde arabe », « centre du monde », possède l’armée la plus puissante du Proche Orient. Elle ne va faire qu’une bouchée d’Israël.
Ce fut le désastre que l’on sait. L’armée fut anéantie en quelques heures par Israël. Nasser démissionne. Des millions d’Egyptiens descendent dans la rue pour lui demander de rester au pouvoir. Ce qu’il accepte. Il mourra trois ans plus tard, en 1970.
L’enfant ne comprend pas
Il est d’abord confronté au mensonge sur son pays et son armée, puis sur les faits de cette guerre. Ensuite au paradoxe d’un peuple bouleversé par la démission de son dirigeant et qui demande son maintien au pouvoir. Alors que ce dirigeant a mené son pays à la plus humiliante défaite militaire de son histoire.
Les symptômes de la dictature
Mensonge et Servitude volontaire [3] sont les deux premiers symptômes de la dictature. La servitude volontaire fait émerger une majorité de « bon citoyens ». Ceux-ci finissent par accepter le discours officiel justifiant tous les écarts à la loi. Le bon citoyen se concentre sur sa vie familiale et ne regarde pas plus loin.
Pour faire marcher sa propagande mensongère, le dictateur a besoin de la théorie du complot. Le monde entier veut détruire le pays et répand sur lui des mensonges en un complot bien organisé. Le discours officiel est là pour rétablir la « vérité ». Celle-ci représente le maximum du paradoxe. Elle se prétend vérité alors qu’elle n’est que mensonge. Pourtant, elle sera acceptée comme telle par ces « bons citoyens » qui se trouve rassurés par cette « vérité ».
La pensée écrasée
L’auteur évoque ensuite la propagation de l’Etat d’esprit fasciste. Celle-ci consiste en la prise de contrôle totale par le dictateur de la conscience et des modes de pensée des masses. Pour se faire, il doit démanteler le monde intellectuel source potentielle de critique, et soumettre ses acteurs. Ceux-ci sont ainsi conduits à des contorsions ridicules. Comme celle qui consiste à critiquer un fait, et, dans les minutes qui suivent, l’approuver quand le dictateur modifie brusquement sa position. Autre contorsion : le discours anti-occidental pour galvaniser les masses dans la haine, alors que l’Occident porte à bouts de bras la sécurité des pays du Golfe et les finances de l’Égypte par ses généreux dons [4].
S’affirmer athée est désormais un crime. El Aswany rapporte que ce n’était pas le cas en Egypte en 1937, quand un écrivain et mathématicien, Ismaïl Adhama a pu publier un livre « Pourquoi je suis athée ». Auquel lui répondit un religieux « Pourquoi je suis croyant ».
Il montre aussi que la dictature prédispose au terrorisme, en se présentant comme le rempart à cette dérive. Mais en poussant de larges fractions de la population vers les formes les plus violentes de l’action politique.
La religion instrumentalisée
Dans le monde de culture musulmane, le dictateur instrumentalise l’Islam. Même les dictateurs prétendument laïcs comme Hosni Moubarak en Egypte ou Saddam Hussein en Iraq ont fait de la religion un de leurs outils de propagande. En encourageant une foi émotionnelle qui devient foi obsessionnelle en l’absence de perspectives de liberté et d’autonomie.
Il peut aussi, en Egypte, instrumentaliser la religion chrétienne des coptes. Ce fut le cas après la défaite de 1967 quand la Vierge Marie est « apparue » en avril 1968 à Notre Dame de Zeitoun au Caire. Cette « apparition » a largement détourné la société egyptienne, tant chrétienne que musulmane, de l’opposition à Nasser qui prenait forme dans des mouvements sociaux.
El Aswany puise ses exemples dans d’autres situations de dictature
Aux côtés de Kadhafi, de Saddam Hussein, l’auteur cite Salazar au Portugal, Franco en Espagne, Hitler en Allemagne. Mais aussi Ceausescu en Roumanie, Ben Ali en Tunisie. Tous sont atteint de mégalomanie, de volonté d’être considéré comme le plus fort, le meilleur en tout. La totale impossibilité d’accepter la critique. Et l’implacable répression contre qui s’oppose à ces vues.
Toutes les dictatures se terminent dans le drame
Aussi, selon l’auteur, accepter la soumission pour garantir sa tranquillité est un faux calcul. C’est le développement de l’esprit critique qui constitue le meilleur rempart à l’emprise de la soumission sur les esprits et les émotions.
Les « démocraties » occidentales soutiennent la plupart des dictatures
L’auteur fournit d’amples informations sur ces dictature, dont une majorité est soutenue par les « démocraties » occidentales. Mais il ne dit mot sur cette face des choses.
En fait, pour l’Occident, il y a les « bonnes dictatures ». En ont fait partie Hosni Moubarak et Ben Ali en leur temps. Mais aussi les princes qui dirigent les pays du Golfe pour ne citer que les dictateurs qui sévissent dans les pays arabes. Et les « mauvaises dictatures » en Iran, en Corée du Nord, en Chine, en Russie. Erdogan en Turquie joue sur les deux tableaux, fort de sa place à l’Otan et de son pouvoir de nuire à l’Europe avec les réfugiés syriens pris en otage.
Les raisons de ces soutiens ?
Entre intérêts géostratégiques et débouchés commerciaux, spécialement pour les ventes d’armes. L’exemple le plus flagrant d’enjeu géostratégique est le retournement d’Anouar El Sadate en 1979, passant du camp soviétique au camp américain.
L’Europe se contente d’être du côté des avantages commerciaux. Elle reste aveugle, et spécialement la France, sur les « exportations » de l’idéologie wahhabite par l’Arabie Saoudite. Cette grande « alliée » de l’Occident à qui elle a confié les clés de sa sécurité. L’aveuglement de l’Europe sur les exportations de cette idéologie mortifère en Afrique du Nord, en Afrique Sub Saharienne et en Europe, résiste à toutes les preuves de vérité. Le commerce (des armes) avant tout ! La guerre au Yémen témoigne de cet cécité persistante. Ainsi que l’emprise du wahhabisme dans les pays du Sahel. Notamment au travers de l’éducation des enfants après le recul de l’école publique.
Les « vieilles démocraties » sont aussi concernées
Il faut lire également cet ouvrage pour déceler les affleurements de la dictature sous le libéralisme autoritaire qui se développe aux USA. Egalement en Europe. Pologne, Hongrie, mais aussi en France.
& & &
Pour en savoir plus sur l’auteur ==> ICI
Du même auteur « Automobile club d’Egypte » ==> ICI
Et « J’ai couru vers le Nil » ==> ICI
Voir également « SUD ! Un tout autre regard sur la marche des sociétés du Sud » ==> ICI
& & &
[1] Citation de : « L’islam n’a pas été révélé pour voiler les femmes » [archive] sur courrierinternational.com, 4 décembre 2008.
[2] Un syndrome est un ensemble de signes cliniques et de symptômes qu’un patient est susceptible de présenter lors de certaines maladies. Source Wikipédia.
[3] Le « « Discours de la servitude volontaire » est un ouvrage rédigé par Étienne de La Boétie en 1576, à l’âge de 16 ou 18 ans. Un réquisitoire contre l’absolutisme. Il pose la question de la légitimité de toute autorité sur une population. Et il essaie d’analyser les raisons de la soumission de celle-ci. La Boétie nous montre que, contrairement à ce que beaucoup s’imaginent, la servitude est en vérité toute volontaire. Comment concevoir autrement qu’un petit nombre contraint l’ensemble des autres citoyens à obéir aussi servilement ? En fait, tout pouvoir, même quand il s’impose par la force, ne peut dominer et exploiter durablement une société sans la collaboration, active ou résignée, d’une partie notable de ses membres. Pour La Boétie, « Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres » (d’après Wikipedia)
[4] Depuis le retournement d’alliance de l’Egypte en 1979 par les Accords de Camp David, passée du camp soviétique au camp américain, ce pays reçoit une rente annuelle de 2 Milliards de dollars des USA. Cela fait de ce pays le second récipiendaire de l’aide américaine, après Israël. Après 1990 et l’effondrement de l’URSS, l’Ukraine a pris la seconde place pour quelques années.
Articles similaires
Le tourisme glauque
12 mars 2016
« Zoufri »
4 août 2017
« L’esclave et la maîtresse »
23 juin 2016
La « démocratie » en Afrique
7 octobre 2016
1 Commentaire
Add comment Annuler la réponse
Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.
[…] On lira avec intérêt la note de lecture de l’ouvrage d’Alaa Al Aswany « Le Syndrome de la dictature » ==> ICI […]