« Burnous blancs » d’Yves BOURRON (note de lecture). Un missionnaire savoyard à la rencontre du peuple Mossi
Un roman profond et tourmenté, basé sur l’aventure coloniale de la France en Afrique. Une aventure vue du coté des Pères Blancs missionnaires, partis pour évangéliser les populations colonisées.
Un solide fond historique soutient la trame du roman
« Burnous blancs » se base sur une documentation détaillée de la vie des missionnaires français dans l’Afrique colonisée. L’action se débute en 1905, dans une région qui vient de vivre un des drames sanglant de l’avancée de l’armée française en Afrique. Ce drame historique forme une des toiles de fond du roman.
L’histoire de la « Mission Afrique Centrale-Tchad«
Une mission conduite par les officiers Paul Voulet et Julien Chanoine. Menée en 1899 pour conquérir le légendaire Lac Tchad. Sur fond de concurrence entre puissances coloniales, cette mission composée de 600 soldats, 800 porteurs et 600 femmes rencontre de fortes résistances dans son avancée au cœur du continent africain. Pour continuer d’avancer, la mission sème la terreur, la mort et la désolation sur son passage.
Les autorités françaises perdent le contrôle sur les deux officiers qui veulent créer à leur profit un « empire africain ». L’officier français envoyé pour reprendre en main la colonne est tué par les deux félons. Ceux-ci sont ensuite tués par les tirailleurs membres de leur colonne.
Le roman d’Yves Bourron se situe dans ce contexte
Se croisent et se complètent l’aventure coloniale de la France de Jules Ferry et l’évangélisation par l’église des Pères Blancs des populations colonisées. Nous sommes en Afrique du Sahel, dans ce qui s’est nommé aujourd’hui le Burkina Faso. Au début du roman, la Grande Guerre n’est pas encore venue faucher des millions de jeunes hommes d’Europe et d’Afrique.
Une histoire vue par les yeux d’un missionnaire
Simon, jeune savoyard, s’est engagé dans les Pères (et leurs Burnous blancs) pour « sauver les âmes » de la profonde Afrique. Simon avance dans son projet, soutenu par sa foi. Il reste cependant habité par le doute. L’évangélisation en effet vise à briser les croyances animistes inventées au cours des siècles, comme toutes les croyances religieuses, pour apaiser les angoisses des êtres humains et faire « tenir ensemble » les sociétés. Le culte des ancêtres tout particulièrement, qui relie les êtres humains avec le temps. Qui les situe dans la lignée. Qui soutient leur identité.
Une remise en cause des croyances des populations locales
Fétiches, gris-gris, terre sacrée, tout est remis en cause par les religieux en burnous blanc. Le rapport entre hommes et femmes, établi, comme dans presque toutes les sociétés traditionnelles, sur une forte différentiation entre les sexes, devient, de fait, la cible des Pères blancs. Polygamie, excision, liberté de choisir son époux… L’Eglise est sensée apporter la libération des femmes noires.
La peur au fondement de l’animisme ?
Au fond, le roman présente les croyances animistes comme fondamentalement régies par la peur. Peur des transgressions aux lois qui sont présentées comme immuables puisqu’elles émanent de croyances hors de portée des êtres humains. Peur des esprits qui rodent la nuit autour des humains. Peur des crocodiles qui peuvent manger un enfant sur la berge. Peur de fâcher les ancêtres. De voir ceux-ci refuser les sacrifices d’animaux faits pour les apaiser…
Mais cette peur est elle spécifique aux croyances animistes ?
Toutes les religions fonctionnent sur un tel schéma. Elles mettent leurs fondements hors de portée des hommes et de la raison. Les missionnaires chrétiens viennent pour proposer d’autres fondements, d’autres croyances, d’autres interdits, d’autres peurs, d’autres menaces (l’enfer !).
Et cet appareillage est étroitement associé à la puissance coloniale. A la France et sa mission civilisatrice, à la raison… Et finalement, à l’idée d’une supériorité de la religion chrétienne sur toutes les autres croyances. L’esprit de domination prend bien deux canaux complémentaires. Celui de la soumission coloniale et celui de la conversion religieuse.
Les doutes traversent les missionnaires
Sous la plume d’Yves Bourron, le Père Simon doute. L’auteur met en scène ainsi les divergences qui traversent l’église. Un des Pères de la mission, Philippe, affiche tranquillement ses convictions racistes. Ce qui vient de France est sans conteste supérieur. Il place les protestants britanniques juste en dessous, et l’animisme tout en bas. L’Islam est vu comme l’ennemi à repousser. Sans le moindre doute, le Père Philippe est venu sauver les noirs de l’enfer auquel leurs horribles croyances les destine.
Le roman s’enroule autour de multiples conflits
D’abord et avant tout entre d’une part la puissance coloniale incarnée par l’armée, l’administration et flanquée de son alliée l’église. Et d’autre part la population africaine. Ce conflit puissant, historique, se mène dans l’incompréhension totale de part et d’autre. Les africains ne comprennent pas ce que viennent faire sur leurs terres ces blancs, militaires et religieux. Ces derniers ne comprennent pas comment les sociétés africaines vivent. Comment elles ont élaboré, construit, des croyances qui en font des sociétés complexes et si différentes. De part et d’autre, la méconnaissance…
La force du Blanc
Mais ce qui tranche, en dernier ressort, c’est la force du Blanc, par son armée, son administration, son église.
Le conflit se situe aussi au sein de l’Eglise
Il oppose une approche qui affiche la supériorité de la civilisation et de la religion des blancs à une autre approche qui affronte l’altérité dans sa complexité, avec bienveillance, en cherchant à comprendre ce qui anime l’autre. Pour mieux le convertir.
Dans le camp des africains…
… le conflit est ouvert car la religion chrétienne est présentée comme libératrice. Des hommes et des femmes se laissent entraîner dans l’aventure de ce Dieu nouveau. Des jeunes filles également. La société villageoise de divise. Nous pensons au roman « Le monde s’effondre ».
L’histoire coloniale vue du coté des africains dans le roman de l’écrivain nigérian Chinua Achebe
Ce roman [1] décrit, du point de vue des africains, l’arrivée des colons et des prêtres dans un village Ibo. Et comment cette arrivée va jouer sur les tensions internes de la société traditionnelle. C’est en appui sur ces tensions que l’évangélisation va s’établir et se conforter.
Voir ==> ICI
La première Guerre mondiale éclate
Revenons au roman d’Yves Bourron.
Dans les lointaines contrées colonisées, la Guerre se traduit d’abord par un accroissement sans précédent des prélèvements forcés sur les récoltes. La révolte gronde dans les villages de la brousse contre l’administration française. Viennent ensuite les enrôlement tout aussi contraints dans ce qui formera la « Force Noire ». Ces dizaines de milliers d’africains envoyés sur le front français pour « combattre le boche ».
La révolte explose alors
Des milliers de paysans noirs se dressent avec arcs et flèches contre le pouvoir colonial. Les missions évangéliques se replient tant bien que mal à Ouagadougou. L’armée française est alors envoyée. Elle réduit l’insoumission au prix de milliers de morts. La France a gagné. Les troupes noires sont mobilisées en masse. Et embarquées pour le front en France !
La Guerre aiguise les contradictions au sein des hommes d’Eglise
Le Père Philippe n’a aucun mal à associer la défense de la Patrie à celle de l’Eglise. Que se serait il passé s’il y avait eu un Père Blanc allemand parmi eux ? Il est mobilisé et mène la guerre dans le Togoland alors colonie allemande. Il y trouvera la mort, de maladie et d’épuisement.
Le Père Simon, replié à Ouagadougou le temps des révoltes et de la répression, plonge dans le doute. Après une longue réflexion, il décide de partir avec les troupes noires comme simple soldat pour les accompagner vers la guerre qui continue broyer des vies, loin là bas, en Métropole.
Un livre captivant, attachant, prenant de front la complexité des relations à l’autre en situation de domination
Avec une belle écriture, limpide, Yves Bourron nous fait pénétrer dans l’âme des missionnaires, dans leurs tourments intérieurs. Et dans leurs relations complexes entre Pères, faites d’amour et de subtils conflits. Dans les échanges avec les africains également, notamment avec les premiers convertis. Dans les rapports, parfois troublés, avec les femmes. Et tout particulièrement avec les jeunes femmes du village. Enfin, avec les concurrents en croyance que sont les sorciers locaux, qui voient leur influence décliner devant ces diables en Burnous Blancs.
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[1] Le titre de ce roman est également traduit en français par « Tout s’effondre ».
Pour en savoir plus sur Yves Bourron, voir ==> ICI
Voir aussi « Mon combat pour la terre » écrit par Yves Bourron ==> ICI
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