Je suis un économiste repenti !

Oser parler des inégalités ! Thomas Piketty parle des inégalités. Il publie un second ouvrage sur ce thème. Il ose s’aventurer sur un terrain qui ouvre une brèche dans le mur des « certitudes » des économistes du courant dominant. Bien évidemment, il fait l’objet de critiques farouches de ces économistes « bien pensants ».

 

Ceux-là même qui disaient que la mondialisation allait entraîner une amélioration du bien être pour tous (le fameux « ruissellement »). Ceux-là même qui ont ignoré les conséquences désastreuses pour notre survie sur la planète des ponctions que l’impératif de croissance économique opérait sur les ressources naturelles. Ceux là même qui ont fait de l’économie le référent majeur des régulations sociales, ignorant les facteurs politiques, culturels, sociaux, anthropologiques… en imposant l’économie pour plier le monde à sa mesure exclusive. Ceux là même qui écrasent l’histoire des sociétés au motif que l’Homo Œconomicus est invariant dans le temps (et dans l’espace). Selon eux, la théorie néo-classique explique parfaitement le comportement humain, invariant.

L’économie comme « science ». Un rideau de fumée pour justifier TINA

Ces milliers d’économistes, soutenus par les institutions et largement relayés par la presse, ont créé depuis des années des rideaux de fumée en invoquant la « science économique » pour instiller l’idée qu’il n’y a pas d’alternative aux choix libéraux pris par les gouvernants en matière sociale et économique. C’est le « There Is No Alternative », le fameux TINA de Margareth Thatcher. Pas d’alternative, puisque les décisions de politique économique sont dictées, selon eux, par la science.

Une théorie au service des puissants

En fait, ces décisions sont dictées par la théorie néo-classique, une théorie parmi d’autres. Une théorie qui se cache de plus en plus derrière une sophistication mathématique avancée et un usage immodéré des données quantifiées sensées lui donner raison. Et ce, grâce à des jeux d’hypothèses qui font des contorsions savantes avec la réalité. Mais une théorie qui a eu le soutien des dirigeants politiques de droite et socio-démocrates, qui en ont fait leur bible.

Pourquoi cette théorie a-t-elle été ainsi sanctifiée par les dirigeants politiques et économiques ?

Parce qu’elle apporte une justification « scientifique » au creusement des inégalités au profit des plus riches. Parce qu’elle justifie la concurrence de chacun contre tous. Mais aussi parce qu’elle soutient le retrait de l’Etat de la sphère sociale et économique. Au motif que seules les entreprises créent la richesse. Les autres acteurs sont donc des parasites (les associations, et surtout, l’Etat comme parasite en chef !) dont il faut réduire drastiquement le périmètre.

La pensée dominante, « pensée unique« 

C’est cette théorie économique qui domine la pensée politique depuis des dizaines d’années. Une théorie faite pour protéger, au nom d’une pensée volontairement complexifiée (un vrai enfumage), les acteurs économiques et politiques dominants. Pour justifier l’exploitation sociale des êtres humains et la détérioration massive de la nature.

Une théorie qui a inspiré les principales politiques économiques qui ont cours jusqu’à aujourd’hui dans tous les pays du monde, Nord et Sud confondus.

L’économie concrète qui découle de cette théorie, c’est celle qui creuse les inégalités au sein de tous les pays. Qui laisse la bride sur le cou aux grandes banques internationales. Qui a été aveugle aux effets dévastateurs des ponctions des ressources de notre planète. Et qui prétend répondre au défi climatique par les lois du marché et par la technique. « L’économie verte », un nouveau rideau de fumée pour justifier l’inaction des politiciens devant les urgences climatiques.

Profession : économiste

J’ai passé ma vie professionnelle comme économiste. Dans une direction d’étude au Ministère de l’Economie en France, puis au Trésor quand cette direction a été dissoute.

Voir comment la pensée économique a été prise en main au sein de l’Etat français ==> ICI

J’ai été pris progressivement par le doute. Surtout quand j’ai été en charge du suivi des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (du Maroc à la Turquie). Les outils de l’économie dominante, que j’étais sensé utiliser, était absolument incapable de rendre compte de l’évolution de ces sociétés. Et de leurs mécanismes économiques de création et de répartition de richesse.

 Ouverture sur d’autres disciplines

 J’ai cherché empiriquement à enrichir mon approche en explorant la science politique, la sociologie, le droit, l’histoire longue des sociétés… Bref, les disciplines des sciences humaines qui concourent à rendre intelligible, dans leur combinaison, la marche des sociétés. L’économie a son poids dans cette marche, mais d’autres facteurs jouent leur rôle. Et c’est en mixant ces approches que l’on peut prétendre élaborer une vision cohérente [1].

 

Aujourd’hui, le voile d’ignorance commence à se déchirer

 La mondialisation provoque la montée des inégalités, c’est avéré. La finance internationale demeure hors contrôle des Etats, et une nouvelle crise menace. Les grandes firmes trompent les consommateurs. Dans l’automobile, dans la chimie, dans la pharmacie, dans l’agro-industrie… Le dérèglement climatique ne sera pas traité par le marché ni par la science.  La pensée libérale tente de récupérer les thèmes des inégalités et des dérèglements climatiques pour se refaire une légitimité.

 « C’est le système qu’il faut changer, pas le climat ! » déclarent les manifestants.

 

Un monde qui a voulu imposer une pensée unique

Le monde des économistes du mainstream, plein d’arrogance, a voulu imposer sa façon d’analyser le monde en une « pensée unique ». Le « débat interdit » (titre d’un ouvrage de Jean-Paul Fitoussi) a stérilisé la pensée politique. J’ai passé ma vie professionnelle comme économiste, je sais de quoi je parle.

Aujourd’hui, je suis un économiste repenti !

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[1] Voir les résultats de cette démarche : « Croissance et Réformes dans les pays arabes méditerranéens », Jacques Ould Aoudia, Editions Karthala, 2008