Espagne-Maroc en auto-stop – été 1964.  C’est ma seconde escapade sérieuse, sans les parents. J’ai 18 ans, je pars seul en auto-stop avec comme destination l’Espagne. Mais mes pas vont me mener irrésistiblement au Maroc. J’y débarque en bateau par Tanger. Après une traversée en ferry depuis Gibraltar. Avec un compagnon éphémère de voyage, Trevor, un anglais dont j’ai perdu la trace.

 

Travail à la SNECMA comme magasinier

 

Pour payer mes vacances, j’ai travaillé le mois de juillet à la SNECMA, Boulevard Kellerman à Paris. Un travail de magasinier, à expédier des pièces de moteur de Mirages à l’Afrique du Sud et à Israël. Notamment des aubes de réacteurs. Si mon souvenir est exact, j’ai gagné 800 francs, soit 122 euros. Amplement suffisant pour partir un mois en auto-stop. J’apprends, au passage, que le nettoyage des aubes de réacteurs s’effectue par projection à haute pression de granulés de noyaux de pêche. Ce produit a la caractéristique d’être plus dur que les dépôts qui envahissent les aubes. Mais moins dur que le métal de ces éléments du réacteur. Je ne sais pas si on a conservé ce procédé de nettoyage.

 

Traversée en auto-stop de l’Espagne

San Sebastian, Burgos, Madrid, Tolède, Séville et sa Giralda. Je dors dans les Auberges de Jeunesse. Rencontres, on parle de nos voyages, du pays que l’on découvre…

Et puis l’attrait pour le Sud, l’Andalousie, Gibraltar en terre britannique.  Le bateau vers l’Afrique !

 

 

Détroit de Gibraltar, l’Afrique à l’horizon  !

 

J’arrive à Tanger

 

Je continue mon voyage en auto-stop. Tanger-Rabat, un long trajet par la route. J’arrive dans la capitale marocaine tard dans la nuit. Aucun taxi en vue pour me mener à l’Auberge de jeunesse. Une ronde de police me repère et me demande ce que je cherche. Ils n’ont pas le temps de me conduire à l’Auberge de jeunesse. Ils me proposent une nuit … à la prison de Rabat. Je passe donc ma première nuit au Maroc « en prison ». Dans une cellule que les gardiens ont laissée ouverte, sur une couverture raide de crasse grasse ! Au petit matin, je vois les détenus laver à grande eau le sol des cellules. On me « libère », je quitte l’établissement qui a accueilli ma drôle de nuit !

 

Sur la route Rabat – Fez

 

Une chaleur étouffante. Près de Meknès, dans un paysage de collines brûlées par le soleil, je suis laissé par un véhicule qui a bifurqué dans une autre direction. Je suis seul avec mon sac, en plein soleil. Et j’attends un « lift », comme on dit chez les auto-stoppeurs. Personne ne vient. Si! Une voiture de gendarmes s’arrête. Je vois l’embarras des gendarmes devant mon projet de rejoindre Fez en auto-stop. Ils arrêtent derechef une camionnette qui va à Fez et intiment l’ordre au chauffeur de m’y conduire. Le chauffeur fait la gueule. Il ne m’adresse pas la parole de tout le voyage. Et me dépose aux portes de la ville, je suis arrivé.

 

Fez

 

Je m’enfonce dans la médina,. Fasciné par la découverte, tout heureux de circuler en toute tranquillité dans ce pays. Je pense à l’Algérie que j’ai quitté il y a 5 ans en pleine guerre, en 1959. Un pays, mon pays natal, que je n’ai revue qu’à l’été de l’Indépendance pour quelques semaines. C’était dans l’euphorie de la libération, en juillet 1962.

 

Balade dans la médina de Fez

 

Je visite la vieille ville. Notamment le souk des teinturiers avec ses odeurs pestilentielles et ses couleurs. Je ne ramène que ses couleurs dans une photo prise du haut des maisons qui entourent cet étrange espace. Où des hommes foulent au pied les peaux de mouton dans des bains de diverses couleurs…

 

Le joueur de bonneteau, plus fort que moi, bien sûr !

 

Dans mes déambulations au cœur de la médina, je rencontre un attroupement autour d’un joueur de bonneteau. Je regarde fasciné le dé passer d’un gobelet à l’autre, sur une caisse en carton posée dans la rue. Au milieu d’un ensemble d’hommes qui échangent bruyamment entre eux. Je saisis la règle… et je mise une somme (peut être l’équivalent en Dirhams de 50 Francs de l’époque, une fortune pour moi). Bien évidemment, je perds la somme. Je remets la même somme en jeu… et je la perds également. Je suis dépité. J’étais sûr d’avoir misé mon argent sur le bon gobelet. Et par deux fois, je me suis trompé. Le joueur de bonneteau était plus fort que moi !

 

Un homme a vu la scène

 

Un homme parmi le groupe a observé la scène. Comme je m’éloigne en ruminant mon échec, il me dit que je peux récupérer mon argent en allant au Commissariat me plaindre de ce que j’ai perdu. La démarche me semble étrange, mais après avoir été convaincu de jouer au bonneteau, je me laisse convaincre d’aller au Commissariat.

 

Un Commissaire de police bienveillant

 

Le Commissaire me reçoit immédiatement et me dit : « je vais voir ce que je peux faire. Mais si je vais en France, que je joue au Casino et que je perds, est ce que je pourrai aller voir la Police pour récupérer mon argent ? » Que répondre à cet argument infaillible ?

Le Commissaire m’embarque dans une voiture banalisée, une Renault 4 CV, je m’en souviens, avec l’homme qui m’a conseillé d’aller voir la Police. On arrive sur les lieux du jeu. Le Commissaire repère et interpelle immédiatement le joueur, avec qui il entame une négociation en arabe. L’homme du bonneteau sort l’équivalent de 100 francs de sa poche et me les tends, en me regardant d’un air sombre. Le Commissaire me ramène en centre ville, hors de la médina. Et il me demandant de ne pas recommencer !

 

Je paie un repas à l’homme qui m’a conseillé d’aller voir la police. Et j’ai toutes les peines du monde à me retrouver seul. J’ai une peur bleue de rencontrer de nouveau cet homme. Il qui pourrait me demander une partie de la somme récupérée. Après tout, c’est grâce à lui que je l’ai dans la poche. Et plus encore, de retrouver au coin de la rue l’homme du bonneteau et son regard sombre.

 

Je quitte la ville comme un voleur

Je rentre à l’Auberge. Je boucle mon sac à dos, et je m’endors très tôt. Aux aurores, je quitte la ville en catimini, comme un voleur ! JPas fier du tout !

Après cet épisode, je rejoints Tanger et regagne l’Espagne en remontant vers la France par la côte méditerranéenne. Barcelone et le Bario Chino sera ma dernière étape en Espagne.

 Trois situations difficiles, trois fois secouru

 Avec le recul, je mesure l’importance de la protection que les agents d’autorité marocains m’ont apporté. En me tirant trois fois de situations potentiellement difficiles. Si ce n’est risquées. Mon jeune âge a joué pour moi. Et aussi le fait qu’un nombre très faible de touristes s’aventurait en auto-stop au Maroc.

Je me demande si je suis tombé sur des agents d’autorité particulièrement bienveillants au niveau individuel. Ou bien si cela relevait de consignes générales pour éviter les problèmes vis-à-vis des étrangers.

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Sur l’histoire du Maroc voir ==> ICI

Sur l’incroyable liberté de circulation pendant les années 60 : « Les voyages forment la jeunesse », voir  ==>ICI (à venir)