« Dojnaa » de Galsan TSCHINAG. L’auteur vient de Mongolie et écrit en allemand des histoires sur son pays. Des histoires sorties de l’immensité de la steppe et des montagnes de la partie Est de l’Asie centrale. Pays d’élevage, de youtres, de nomades. L’écriture de Tschinag nous offre, comme d’autres écrivains du Sud, une « fenêtre sur l’autre monde ». Une ouverture sur des espaces non dominés par l’Occident. Une autre façon de vivre, comme individu et comme membre d’une communauté.
Avec ce roman, nous cheminons aux côtés d’une femme,« Dojnaa », à qui son père, lutteur et chasseur réputé, a transmis une force, une détermination, un sens de la réflexion peu communs.
Le mystère de la relation que le mariage va tisser
Dojnaa a peu d’outils pour comprendre les relations qui vont, qui doivent se tisser avec Doormak, l’homme qui a été choisi pour elle, comme mari au sein de son village. Elle l’a accueilli avec un mélange d’appréhension face à l’inconnu, et de confiance dans les traditions. C’est ainsi que les choses se passent dans son environnement. Elle doit faire comme toutes les autres !
Mais Doormak est un homme qui allie à l’extrême faiblesse un immense orgueil. Sa faiblesse nourrit une peur de la femme. Hantise de sombrer dans la soumission. Et cette peur heurte violemment son orgueil de mâle qui doit être maitre incontesté en sa maison. De fait, il n’est pas très actif dans la vie familiale. Il a interdit à Dojnaa la chasse, qu’elle pratiquait avec passion avant son mariage. Mais il ne s’y livre pas pour autant.
La douloureuse contradiction qu’il porte va s’exacerber dans l’intimité qui va lier mari et femme.
Dans le secret des nuits du couple
Doormak ne sait pas comment faire avec le désir violent qu’il a pour sa femme. Celle-ci s’est donnée totalement à lui. Elle reste même dans une espèce de consentement passif à sa volonté de l’humilier. En fait, il souhaiterait qu’elle résiste et qu’il la force, par sa puissance virile, à donner son corps. Un fantasme de viol que Dojnaa tente de déjouer en se soumettant comme l’y invite la tradition. Mais elle peine à comprendre les signaux contradictoires que lui envoie, sur ce terrain comme sur d’autres, ce mari coléreux et faible.
Elle finit par trouver, tant bien que mal, un équilibre avec lui. Il rentre souvent saoul. Il fréquente régulièrement d’autres femmes. Mais elle supporte ces humiliation. Elève ses enfants au mieux. S’occupe des troupeaux.
Elle voit venir de cette union six enfants, dont trois qui ne resteront pas. Le mari est fier de cette fécondité. Mais il demeure pris dans ses contradictions dont il reporte la responsabilité sur Dojnaa.
A l’issue d’un épisode d’une grande violence, Doormak s’en va
Il a voulu la plier à un caprice, celui d’acheter une moto. Cela supposait de sacrifier des chevaux et surtout une jument sur laquelle Dojnaa a bâti l’espoir de doter ses enfants de chevaux.
Le mari ne supporte pas la résistance de sa femme. Il brutalise ses enfants et va chercher à blesser Dojnaa. Le vase déborde alors violemment. Dojnaa prend le dessus sur son mari et l’immobilise.
Humilié, il quitte a jamais la maison familiale et disparait dans l’immensité de la steppe.
Dojnaa
Evaluant avec courage sa situation, elle commence par regretter le départ de son mari. Tant bien que mal, elle avait réussi à établir un modus vivendi. Acceptant à contre cœur sa paresse, ses saouleries, ses maitresses. Mais elle a fait face pour maintenir sa maison, prendre soin des enfants. Et des animaux, chevaux, yaks et moutons.
Des évènements vont bouleverser sa vie
Elle affronte la pression des hommes qui veulent abuser d’elle, de sa maison, de son énergie, de son corps. Par une démonstration de force, elle annihile les menaces qu’un de ces hommes, éconduit, a proféré contre elle.
Après que sa jument a été mangée par une meute de loups, elle reprend la chasse. Elle pose un piège près de la carcasse à moitié dévorée de la bête. Dojnaa pourchassera et tuera la louve qui a tué sa jument. De louve-femme à louve-animal. Au cours de cette traque, elle ramène un bouquetin. C’est un magnifique succès.
Elle fonde une petite tribu
Elle retrouve, sur le terrain amoureux, un homme qui l’a toujours protégée. Après de longues réflexions, elle noue avec ce voisin plus âgé une relation étrange. Un homme que sa propre épouse, coupable de sa stérilité, a poussé dans les bras de Dojnaa.
Les épreuves qu’elle a vécues sont derrière elle. La tension qu’elle s’est imposée s’est détendue. Dojnaa a montré sa force, d’abord à elle-même. Ensuite vis-à-vis de la société qui l’entoure. Elle a construit un nouvel équilibre, avec cet homme, son épouse et les enfants.
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Galsan Tschinag (mongol : Чинагийн Галсан), né en 1944 en Mongolie, est un auteur mongol d’origine touvaine écrivant en langue allemande.
Il descend d’une famille de chamans et passe son enfance dans les steppes. Après avoir passé son bac dans sa ville natale, il se rend à Leipzig en RDA en 1962 grâce à un programme d’échanges entre pays communistes. Il y étudie la germanistique et Karl Marx à l’université. En 1968 il retourne en Mongolie en tant que professeur d’allemand à l’université d’État de sa région d’origine. En 1976 il lui est interdit d’exercer son métier pour des raisons politiques. Il devient alors commentateur et lecteur dans une maison d’édition ainsi que traducteur. Il est maître de conférences dans les quatre universités de Mongolie. Son activité principale est celle d’écrivain jusqu’en 1991.
Aujourd’hui il vit principalement à Oulan-Bator (capigtale de la Mongolie) avec sa famille, mais voyage beaucoup dans les pays germanophones. Ses livres sont traduits dans de nombreuses langues, notamment le français ou l’anglais.
Ses œuvres se déroulent en Mongolie, et décrivent la vie dans ce pays. Tschinag raconte les histoires de ses concitoyens. Pour en savoir plus sur Galsan Tschinag, voir ==> ICI
A lire cette œuvre, on pense à l’admirable histoire d’amour « Djamilia » de l’écrivain kirghize Tchinguiz Aïtmatov. Voir la note de lecture que j’en ai faite ==> ICI
On pense aussi à cette magnifique histoire de nomades vivant aux confins de la Chine et de l’ex URSS, « Le dernier quartier de lune » de CHI Zijian, dont on lira la note de lecture ==> ICI
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