« Mémoires d’un eunuque dans la Cité Interdite » de DAN Shi. Une terrible histoire, pleine de souffrance, et de soumission à la souffrance. Un témoignage unique sur la fin de l’Empire millénaire. Un édifice qui s’écroule sous le poids de ses dirigeants. Ecrasés par la vanité d’un pouvoir coupé de sa société. Enfermé dans ses intrigues au sein de la Cité Interdite.
Le récit se déroule d’abord dans la campagne chinoise. Où les paysans sont broyés par le travail, l’humiliation, la faim. Puis au sein de la Cité Interdite. Avec l’épisode de la fuite pitoyable du Palais par la famille impériale devant l’avance des armées impérialistes. Puis dans les conflits entre prétendant à un pouvoir qui s’effrite. Enfin, dans la demeure d’un riche eunuque à deux cents kilomètres de Pékin.
Nous sommes au tournant du XX° siècle
La société semble figée depuis des millénaires dans les traditions qui laminent les hommes et les femmes de ce pays rural à plus de 90% de sa population. Yu Chunhe est un adolescent timide et docile qui voit son père accablé par le travail et la faim. Il est un jour recruté par le mandarin local auprès de qui il se consacre pour venir en aide à son père.
Mais une succession de malheurs s’abat sur lui. Le fils de son patron, débauché, l’entraine dans une sombre histoire où se noie Yujie, une jeune fille que Yu Chunhe aimait. Il doit s’enfuir et abandonner son père.
Yu Chunhe échoue à Pékin
Ville de tous les dangers pour un jeune comme lui, naïf et confiant. Il tombe dans les filets de personnages troubles qui « travaillent » à vendre des adolescents pour la castration. Le Palais consomme un nombre élevé de ces jeunes hommes émasculés pour le service de la famille impériale, des princes, princesses, favorites… qui peuplent la Cité Interdite autour de l’impératrice douairière Cixi. La « Vénérable aïeule », curieusement appelée également « le vieux Bouddha ».
La castration
Le jeune campagnard Yu Chunhe décrit l’opération par laquelle il va perdre sa virilité. Surtout, il restitue ses pensées au cours des étapes qui jalonnent cet acte cruel. Une opération effectuée par un maitre de l’art qui le soutient dans cette terrible épreuve. Oserions nous parler de la bienveillance de cet homme ? Mais, c’est un acte sans retour.
Les règles du Palais
Yu Chunhe se retrouve au Palais, au service d’un maitre plutôt compréhensif. Il décrit avec une grand précision son travail d’eunuque. Et au-delà, les conditions et règles de vie de la cour et de ses innombrables membres. Des parasites assis sur les richesses prélevées sur plusieurs centaines de millions de sujets qui peuplent la Chine. Des paysans pour la plupart, sans recours contre l’arbitraire, les hausses des taxes, la brutalité des mandarins locaux. On trouvera des photos de la Cité Interdite prises en 2015 en suivant la flèche ==> ICI
Les rituels de la cour sont ainsi décrits
Tout est empreint d’un extrême formalisme. Habiller ses maitres. Leur servir le thé. Bourrer leur pipe. Rester des heures debout, immobiles, à attendre un ordre. Dormir sur le pas de leur porte. Surtout, ne pas questionner. Ne pas contester. Rester soumis, docile, humble. Dans la crainte permanente d’une faute, d’une erreur, d’une inattention…
Ce régime d’une extrême rigueur est entretenu par les grands eunuques qui règnent en maitre sur la vie quotidienne du Palais. Accentuant la pression sur les innombrables petits eunuques, silencieux, soumis, qui peuplent la Cité Interdite.
Arrive la Guerre de Boxers (1899-1901)
L’impératrice douairière a réussi à mater les tentatives de réformes. Mais un mouvement nationaliste se développe contre l’emprise des étrangers qui empiètent sur la souveraineté du pouvoir chinois. Mais aussi pour changer les règles que la dynastie mandchoue des Qing fait peser sur le pays.
La fuite de la cour
Les « Boxers » provoquent des révoltes violentes et brouillonnes. Les nations occupantes se coalisent pour réduire cette insurrection dans une immense violence. Japon, Angleterre, France, Allemagne, Italie, Autriche-Hongrie, Russie, Etats-Unis se coalisent pour mater la révolte et menacer le pouvoir. Alors qu’ils marchent sur Pékin, la cour impériale quitte précipitamment le Palais de la Cité Interdite. Après avoir fait enterrer dans les cours ses plus précieux trésors.
Yu Chunhe fait partie de cette expédition
Il nous en donne un récit bouleversant. Il n’est qu’un jeune eunuque sans grade. Le jeune homme marche dans la boue, dans le froid, la pluie, les orages. Toujours à la disposition de ses maitres qui ont rabattu de leur morgue et de leur brutalité. La cour s’enfuie dans la plus grande détresse. L’impératrice douairière refreine, un temps, sa cruauté. (p 165) « Nous avions l’air d’une troupe de vaincus, que tout sentiment de gloire avait déserté. »
Les villes et villages traversés se saignent pour honorer l’impératrice et sa cour
Les dons affluent pour rendre cette retraite la moins déshonorante possible. Chaque responsable local rivalise de zèle en couvrir les membres de la cour de cadeaux qui vont augmenter leurs trésors. Les grands eunuques ne s’oublient pas dans cet enrichissement.
La population est exsangue
Outre ces débauches de richesses déversées sur le cortège, l’impératrice Cixi va relever les taxes pour redresser ses armées défaites. Et surtout pour payer le tribut aux forces d’occupation qui ont imposé leurs conditions.
Retour au Palais
La guerre est finie. La cour quitte Xian et revient à Pékin. C’est alors que l’impératrice douairière Cixi meurt. Ainsi que l’empereur Guangxu. S’ouvrent des luttes acharnées entre les favorites pour prendre l’ascendant sur le jeune empereur, encore enfant.
Le pouvoir impérial est finalement balayé en 1912
La République de Chine va s’installer dans le chaos pour les années à venir. Yu Chunhe a une trentaine d’années. Il a quitté la Cité Interdite pour entrer au service d’un grand eunuque, Zhang Lande qui s’installe dans la ville de Tianjin au Sud-Est de Pékin.
Zhang Lande fait régner sur son immense maison une lourde atmosphère de répression et de dépression. Il ne reprend vie qu’au contact de prostituées. A qui il impose ses répugnantes bassesses. Comme celle de cracher dans la bouche ouverte des jeunes femmes à qui il offre des fortunes pour simuler le désir. En une interprétation sommaire, on peut se demander si ce n’est pas en substitut de l’impossible éjaculation ?
Les « Mémoires d’un eunuque dans la Cité Interdite » de Dan Shi s’achèvent par une fin heureuse
Au cours d’un déplacement en train, Yu Chunhe revoit Yujie son amour de jeunesse. Est-ce bien elle ? N’est-elle pas morte noyée ? Le récit nous fait part du sentiment d’amour que cette rencontre fait surgir chez Yu Chunhe. C’est un eunuque, mais ses sentiments sont intacts. Le livre s’achève sur ce moment d’amour et de désir réveillés.
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Dan Shi est un historien chinois spécialiste de la dynastie des Qing. Il a recueilli l’histoire de Yu Chunhe, eunuque au palais de l’impératrice Xiaoding, l’épouse de l’empereur Guangxu de la dynastie des Qing. L’auteur nous livre là ce témoignage exceptionnel sur la vie quotidienne des castrats et sur celle de leurs maîtres (Wikipédia)
La révolte des Boxers (chinois simplifié : 义和团起义) est organisée par les Poings de la justice et de la concorde, société secrète dont le symbole est un poing fermé, d’où le surnom de Boxers donné à ses membres en Occident. Elle se déroule en Chine, entre 1899 et 1901. Ce mouvement, initialement opposé à la fois aux réformes, aux colons étrangers et au pouvoir féodal de la dynastie mandchoue des Qing, fut utilisé par l’impératrice douairière Cixi contre les seuls colons, conduisant à partir du 20 juin 1900 au siège des légations étrangères présentes à Pékin. L’épisode des « 55 jours de Pékin » s’acheva par la victoire des huit nations alliées contre la Chine (Autriche-Hongrie, France, Allemagne, Italie, Japon, Russie, Royaume-Uni et États-Unis).
Défait, le pouvoir chinois signe sous la contrainte, le protocole de paix. C’est l’agonie d’un vieux monde. Toute la population a soutenu ce mouvement. Mais lorsque l’impératrice douairière fuit son refuge de la Cité interdite, elle garde toujours la faveur populaire. Elle fuit et se réfugie à Xi’an le 28 octobre 1900. Afin d’apaiser les puissances étrangères, l’impératrice Cixi donne l’ordre aux troupes impériales de participer à la répression des Boxers. L’Alliance propose un protocole de paix humiliant, signé à Pékin le 7 septembre 1901.
Venant après la guerre sino-japonaise de 1894-1895, perdue par la Chine, cette nouvelle défaite constitue un jalon supplémentaire dans le combat qui oppose conservatisme et colonialisme à réformisme et indépendance, dans la Chine du XIX° siècle. Cet antagonisme se clôt par la chute de la dynastie Qing en 1912 et la création de la République de Chine (Wikipédia). Pour en savoir plus, voir ==> ICI
On lira avec intérêt la note de lecture sur « Le roman de la Cité Interdite » d’ASADA Jirô qui traite de la même période, celle de la fin de l’Empire. Voir ==> ICI
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