« Parlez-moi d’amour » de XINRAN (note de lecture). Xinran, l’auteure qui a écrit « Chinoises » [1], continue de nous ouvrir les portes si lourdes de la société de son pays d’origine. Elle les ouvre, ou les entrouvre, par l’intermédiaire des femmes. Au travers de récits de destins de femmes chinoises, et de l’extraordinaire changement qu’elles ont vécu au long du XX° siècle.
Ces récits de femmes se situent dans un environnement historique qui subit bouleversements sur bouleversements
C’est, en 1912, la chute de la dynastie Qing et l’instauration de la République. Puis une période de chaos menée par les Seigneurs de guerre jusqu’en 1928. Se déchaîne ensuite la première guerre civile entre les Nationalistes du Kuomintang et le Parti communiste. L’occupation japonaise de 1937 à 1945. Après la défaite japonaise, la guerre civile entre nationalistes et communistes éclate de nouveau. Défaite des nationalistes qui se réfugient à Taïwan. Mao Zedong proclame la République Populaire de Chine en 1949.
La société chinoise a vécu, au long du XX° siècle, des mutations qu’aucune autre société humaine n’a connu auparavant. Il faut tenir compte de la masse de la population en jeu. Une population qui est passée de 430 millions d’habitants en 1900 à 1.400 millions en 2018. La Chine, c’est un éléphant qui court à la vitesse d’un guépard.
Au fil des pages, nous suivons l’histoire des filles de la famille Han qui ont traversé les tourments de la Chine tout au long du XX° siècle. Une famille où les parents ont transmis des valeurs traditionnelles fortes. Ainsi que l’amour de la poésie. Ils ont donné aux enfants des surnoms de couleur.
L’histoire de ‘Rouge’, la femme qui a toute sa vie parlé d’amour sans le vivre
L’auteure recueille en premier l’histoire de ‘Rouge’, l’ainée de la famille Han. Une femme à la fin de sa vie. Elle va passer sa vie entière à côté d’un homme qui demeure amoureux d’une autre femme. Et qui assume cet amour devant son « épouse ». Tous deux sont issus de familles traditionnelles où les mariages étaient strictement contrôlés par les aînés. Des mariages comme autant d’arrangements économiques pour faire fructifier les affaires.
Le mari de Rouge est militaire
Il est d’abord officier dans l’armée nationaliste. Avec la victoire communiste, il est engagé dans l’Armée Populaire de Libération dans les services secrets. Sa femme, instruite, trouve une place à ses côtés. Mais leur relation s’arrête là. Ils resteront sans se toucher pendant leurs 60 ans de mariage. Le mari restera « fidèle » dans son amour pour une autre. Et Rouge restera vierge. Elle demeurera enfermée dans cette « prison » pour respecter l’engagement que ses parents ont pris devant la famille de son mari.
Au détour des pages, l’auteure nous fait part d’un trait caractéristiques de la société chinoise qui en éclaire l’histoire.
P 24. « Le principe de culpabilité par association était l’une des particularités les plus notables de la loi chinoise ancienne. Parents et associés d’un criminel étaient tenus pour responsables des crimes commis, au même titre que le coupable lui-même. Ce qui non seulement déterminait une loyauté farouche au sein des groupes et des familles, mais engendrait aussi une sorte de ‘conscience de clan’, selon laquelle personne n’osait parler de peur de se voir impliqué. »
La famille, base même de l’édifice social sur la longue histoire de la Chine
Un édifice qui a tenu au long des millénaires avec une bureaucratie puissante et compétente (les mandarins) et un pouvoir hypercentralisé. Le régime ‘communiste’ actuel est de fait en phase profonde avec les 2500 ans d’Histoire du pays. Chaque fois que la bureaucratie et le pouvoir centralisé se sont affaibli, le pays a sombré dans le chaos.
C’est Rouge qui parle (P 97). « Nous étions 9 frères et sœur au total -y compris, bien sûr, les pauvres petites Orange Jaune et Mandarine Verte, qui ne vécurent pas au-delà de l’enfance-. Tous nés durant ce qui fut peut-être la période la plus chaotique de l’histoire de la Chine. Chaotique non seulement à cause de la chute de l’Empire et l’avènement d’un nouveau régime. Mais en raison de la désagrégation des croyances qui avaient été au cœur même de la vie des Chinois pendant des milliers d’années. Ne pas avoir d’Empereur était comme ne pas avoir de religion ni de règles ni aucun sens de l’ordre. Personne ne savait qui tenait les commandes. »
La société a tenu, malgré l’immense chaos de la période, parce que les familles étaient solidement instituées comme cellule de base de la société. Et ce même chaos a pu renforcer les structures familiales malgré leur dispersion entrainée par les guerres.
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L’histoire de ‘Verte’, la petite sœur prise dans les tourbillons de la guerre civile
Xinran rencontre ensuite ‘Verte’, sur les conseils de la grande sœur Rouge. Verte a plus de 70 ans quand elle raconte son enfance. Très jeune, elle désirait par-dessus tout aller à l’école. Sortir de la place que la tradition assigne aux filles de bonne famille. Qui consiste à apprendre la poésie, à faire des bouquets, à broder. Elle réussit à être scolarisée avec une autre sœur aînée, ‘Orange’.
« Parlez-moi d’amour »
Quand Orange lui dévoile qu’elle est amoureuse, la jeune Verte ne peut imaginer ce que ces mots veulent dire. Orange a rencontré Monsieur Pan, un jeune professeur de son école. Elle protège sa relation en invitant sa petite sœur Verte à leurs promenades amoureuses. Verte observe, tout ouïe.
Progressivement, Verte s’émancipe
Elle ressent les premiers tourments de l’adolescence. Mais le temps presse. L’Histoire, la grande Histoire, frappe aux portes de son école. Les étudiants communistes se battent contre les étudiants nationalistes. Son cœur s’enflamme pour les premiers. Orange et son ami sont communistes. L’admiration de Verte pour sa sœur ne connait pas de limites.
Pendant ce temps-là, le Père essaye de sauver son patrimoine
Il émigre à Hongkong colonie britannique Il envoie un de ses fils aux Etats Unis. Mais ni Orange ni Verte ne veulent le rejoindre. Très vite, il ne sera plus possible de circuler librement dans la Chine déchirée par la guerre que se livrent communistes et nationalistes. Ceux-ci reculent. La victoire de l’Armée Populaire de Libération est proche.
Les familles disloquées
La société est profondément affectée par tous les évènements qui se sont déroulés en moins de 40 ans. Surtout, la famille, base de la société chinoise, terriblement bousculée. Les guerres civiles, l’occupation japonaise, ont éparpillé les familles dans cet immense pays. Disparitions, attentes sans fin, marquent profondément la vie de tant de familles. Mais les familles sont aussi affectées par l’engagement de leurs membres dans les camps opposés.
Pékin bascule dans le camp communiste…
… et redevient la capitale de la Chine. La victoire du Parti Communiste Chinois est totale, les nationalistes vont se réfugier sur l’île de Taïwan.
Verte a 17 ans. Elle vit l’exaltation de la Révolution. Avec sa sœur Orange, elle participe à la proclamation de la République Populaire de Chine en 1949 dans la capitale. Elle rencontre un jeune soldat de l’Armée Populaire, Meng Dafu. Ils tombent amoureux l’un de l’autre. Malgré la différence de niveau d’éducation. Dafu vient d’une famille paysanne pauvre. Verte découvre tout à la fois l’amour et l’exaltation de l’action révolutionnaire.
Elle va être présentée aux parents de son amoureux qui vivent tout au fond de l’immense campagne Chinoise
Elle emprunte un train militaire et voyage trois jours dans un tank monté sur un wagon. Elle est entourée de son fiancé et de jeunes soldats. Ils s’essayent à la déclamation de poèmes pour tromper le temps. Les jeunes campagnards qui accompagnent les fiancés sont totalement illettrés. Ils ont rejoint la première des deux armées qui s’est présentée au village, contre une nourriture assurée. Peu importait le camp.
Mais le Parti Communiste adopte une attitude différente qui rompt avec le mépris dont les ruraux étaient jusque-là l’objet
Avec les prisonniers de l’armée nationaliste (p 193) « On avait donné à tous les prisonniers le choix entre deux options. Recevoir trois pièces d’argent et rentrer chez eux par leurs propres moyens ou rejoindre les forces communistes. » Et avec tous les jeunes campagnards illettrés (p 194) « Les communistes avaient mis en place ces classes pour aider les soldats sans instruction à acquérir les bases fondamentales de la lecture, de l’écriture et de la pensée politique. »
La généralisation de l’instruction auprès de l’immense population rurale de la Chine a été l’une des bases majeures du soutien populaire à la Révolution Chinoise.
La poésie
Malgré la différence sociale entre Dafu et Verte, la poésie va jouer entre eux un rôle important. Servant de médiation, de support pour les échanges de leur relation d’amour qui se construit pas à pas. Des échanges transcrits dans les innombrables formes que prend la poésie chinoise.
Verte et Dafu auront 5 enfants
Engagés dans l’armée, Verte et Dafu seront relativement épargnés par les évènements les plus cruels qui frapperont la société chinoise dans les années 1950 et 1960. Entre famines, répression, chaos et violence aveugle de la Révolution culturelle.
Ils auront 5 enfants à qui ils donneront des surnoms d’animaux : Tigre, Loup, Grue, Singe, Cane. La mère, Verte, à la fin de l’entretien avec l’auteure, lui conseille de rencontrer une de ses filles, Grue. C’est elle qui permettra le mieux de poursuivre cette quête de l’auteure : « Parlez-moi d’amour » à la chinoise.
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L’histoire de ‘Grue’, une jeunesse à la campagne
L’une des filles de Verte prend le relai des entretiens avec l’auteure. Pendant la Révolution Culturelle, Grue, adolescente, a été envoyée à la campagne. Comme des dizaines de millions de jeunes urbains instruits. Ils ont été autoritairement déportés dans les villages pour que les paysans pauvres les « rééduquent ».
Grue ignore tout de la vie et du travail des champs
Elle est maladroite de ses mains. Heureusement, elle parvient à être affectée au service de « propagande » de la Commune rurale, avec un autre jeune, Tang Hai. Grue va découvrir les innombrables croyances qui tiennent la société villageoise. Des croyances liées à la vie rurale, à la production des champs, à la préservation de la vie.
L’agitation chaotique des villes est totalement incompréhensible pour les villageois, tous illettrés. Les Gardes Rouges attaquent sans relâche tout ce qui porte autorité. Détruisent institutions et monuments historiques. Humilient et massacrent les dirigeants locaux de toutes les institutions.
Soutien aveugle au Président Mao
Pour les villageois qui ont toujours vécu dans la faim et le froid, leur seule référence stable, c’est le Président Mao. Dans la période chaotique et incompréhensible de la Révolution Culturelle, ils reportent aveuglement sur celui-ci la dévotion totale qu’ils vouent aux « esprits ».
(P 226) « Dans les périodes de malheur – qu’ils soient d’origine naturelle ou humaine – ces paysans puisent du réconfort dans la confiance dans la terre, le ciel, le feng shui [2] et les esprits. C’est pourquoi au début de chaque année lunaire, les gens font des offrandes aux esprits, pour prouver leur honnêteté et leur sincérité. Et les supplier d’apporter santé et prospérité à leur famille. Bien qu’ils continuent de vivre dans la pauvreté année après année, que les ravages de la guerre anéantissent leurs familles et les laissent dans le dénuement le plus complet, ils attribuent leurs malheurs à leurs propres fautes. Jamais ils n’accusent les esprits.
(…) Pour notre génération, les esprits, c’était le Parti communiste. Nous avions une foi inconditionnelle en lui. »
Grue et Tang Hai sont à leurs pinceaux pour transmettre les consignes centrales aux villageois
Ces villageois, qui savent si bien maintenir leur « économie de subsistance » dans la rude campagne chinoise, ignorent tout des subtilités politiques. Grue raconte que vers la fin des années 70, le président Mao avait incité le pays à combattre xiān yàn lùn (l’apriorisme). Mais les villageois l’ont confondu avec xiān yàn (les couleurs vives). Ils se sont alors mis à cacher et détruire tout ce qui était coloré.
Grue découvre la complexité et la richesse des rituels paysans
Des rituels étroitement liés aux saisons, aux étapes de la vie agricole. Profondément enracinés dans la conscience paysanne, ils constituent une base majeure de la culture chinoise.
La modernisation ?
Grue, longtemps après, retourne dans la région pauvre où elle a passé ces années de « rééducation », près de la frontière avec la Mongolie (p 264) « (…) très récemment, j’ai appris que l’on était en train de développer et moderniser la région. Cette nouvelle a suscité en moi des sentiments assez mitigés. J’étais heureuse que les paysans aient enfin une chance d’améliorer leurs conditions de vie. Mais triste à l’idée que l’urbanisation détruirait probablement le paysage naturel et mettrait un terme à des coutumes locales millénaires.
Une fois que l’on s’est engagé dans la voie de la modernisation, il n’y a pas de retour en arrière possible. C’est une voie à sens unique, du village à la ville. »
Grue seule va revenir en ville. Son lien avec Tang Hai se maintient
Grue et Tang Hai se sont déclaré leur amour. Ils se sont engagés l’un envers l’autre. Une fois, ils se sont même tenu la main. Et, lors d’une rare séance de cinéma au village, ils se sont enlacés dans le noir. Jusqu’aux années 1990, s’embrasser en public était passible de sanction ! « Un baiser pouvait envoyer des amoureux derrière les barreaux » (p 373)
Médecine traditionnelle
Ils vont se lancer dans le projet de recueillir les recettes de médecine traditionnelle que les villageois pratiquent. Ils vont patiemment collecter des informations, et en faire profiter leurs parents et amis. Avant, quelques années après, de les diffuser sur Internet.
Grue revient en ville : elle peut reprendre ses études. L’horreur de la Révolution culturelle est passée. Mais Tang Hai ne peut rentrer pour d’obscures raisons administratives. Ils communiquent par des lettres-poèmes. Tout est exprimé en métaphore.
A force d’obstination, Tang Hai obtient de s’inscrire dans une école militaire d’informatique, dont il sort brillamment. Il peut s’installer en ville. Au bout de 10 ans d’attente, Tang Hai et Grue se marient !
Grue jette un regard sur les emballements de sa jeunesse
Avec toute une génération, Grue s’est lancée dans l’aventure révolutionnaire. Elle était adolescente. La « déportation » la campagne pour sa « rééducation » a été cependant une période difficile. D’autant qu’aucun terme de cette relégation n’était connu.
Finalement, elle n’aura passé environ que 3 années dans ce village. Elle aura connu celui qui deviendra son mari. Elle aura également compris les racines profondes de sa société. Basées sur des croyance profondes liées aux rythmes des saisons. Faites aussi de peurs et de soumission au pouvoir.
A propos de son frère ‘Tigre’, non sans humour
(p 338) « Oui, ton frère était assurément de ces gens qui vénéraient le président Mao comme un dieu. On aurait dit que nous entretenions une relation à trois. Lors de notre nuit de noces, ton frère se coucha et éteignit immédiatement la lumière, disant que ce serait manquer de respect à Mao que de se déshabiller devant son portrait ! »
Grue pose sur la société chinoise une réflexion d’ensemble que je partage totalement
(p 345) « Je doute qu’un bouleversement social d’une telle ampleur sur seulement trois générations, se soit jamais produit dans l’histoire de l’humanité. Il est très difficile pour les Chinois de lutter contre un tel destin, car nous n’avons aucun modèle auquel nous fier. Les dirigeants chinois disent que nous traversons la rivière en tâtonnant d’une pierre à l’autre. Avons-nous seulement le temps de mesurer la profondeur et la largeur de cette rivière ? »
Un gouffre générationnel : les jeunes, dans le monde des trois « aucun ». (p 344) « (…) notre génération avait grandi dans une époque confuse et incertaine, qui nous avait insufflé un désir ardent de maitriser notre destin. Parce que la génération précédente avait connu la guerre et la paix, et que nous avions survécu au chaos et à l’ignorance, nos enfants vivaient à présent dans le monde des trois « aucun ». Aucune responsabilité. Aucun sens des valeurs. Aucun sentiment. Ils n’ont aucune compréhension de l’histoire, aucun intérêt pour leur famille. Et, en ce qui concerne les réalités du monde, ils sont complétement ignorants. »
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Histoire de la génération 3D (la 4° génération de notre histoire)
Nous sommes maintenant dans les années 2010 avec trois jeunes femmes, Lili, Yoyo et Wuhen. Trois des petites-filles de la génération de Rouge et de Verte. L’auteure interroge deux d’entre elles via les outils numériques. Elles nous font là franchir un gouffre générationnel formé par le rejet des mariages arrangés de leurs grands-parents, mais aussi des « mariages révolutionnaires » de leurs parents.
Des parcours divergents
Tandis que les garçons se sont reconvertis dans le business capitaliste encouragé par les autorités chinoises à partir des années 1980, les filles ne connaissaient pas le même parcours. Lili et Yoyo, issues de familles que la Révolution a protégées, vont plonger dans la post-modernité. Comme si elles avaient sauté par-dessus la case de la modernité.
Wuhen au contraire, est issue de parents broyés par la Révolution Culturelle. Son grand-père a été tué par les Gardes Rouges et son corps a disparu. Sa grand-mère, Orange, s’est sauvée dans la démence. Ce couple représente ce que des millions de Chinois ont subi pendant cette effroyable décennie. Wuhen reste profondément marquée par cet « héritage ».
Pour Lili et Yoyo, c’est l’émergence de l’individu
C’est le vertige de la liberté. La solitude aussi. Les interrogations sur la vie, sur l’amour. On a lâché la rampe de la tradition. Ces récits font penser à « Shanghai Baby » [3].
Etudes aux Etats Unis. Rencontre avec un jeune étudiant chinois qui ne parvient pas à lâcher le confort du patriarcat. Comment vivre dans la nouvelle culture des relations amoureuses ? Comment mener, sur les réseaux sociaux, plusieurs relations simultanées ? Avec des « amoureux numériques » sous des identités inventées ? « Mariage éclair » ou comment tester un coup de foudre tout préparé ?
Elles restent critiques sur l’envahissement de la marchandise. De l’argent : « Je préfèrerai pleurer dans une BMW que rire sur une bicyclette » (p 409)
Ouverture sur le monde
Ces deux jeunes femmes témoignent du début d’interaction de masse entre la société chinoise et d’autres sociétés. Apprentissage de l’anglais pour elles. Apprentissage du chinois pour les autres. Rencontres, découvertes des différences. Voyages.
Tout ceci de passe à la vitesse fulgurante des échanges sur les réseaux sociaux. Les modes défilent à vive allure. On est (presque) en « société liquide » chère à Zygmunt Bauman [4]. Des relations s’enchainent sans attache. Elles expérimentent les nouveautés virtuelles mais sans se laisser attraper en vrai par les hommes. Elles peuvent s’engager dans des relations. Mais il n’y a pas obligatoirement le mariage au bout.
Dans leurs multiples expériences numériques, elles restent au bord. Si elles remettent en cause le patriarcat, la soumission docile aux ancêtres, elles gardent un certain sens de la famille. Et de la protection de sa réputation. La leur. Celle de leur famille. Quelque chose de la culture chinoise est maintenue.
Avec Wuhen, c’est une autre histoire
Wuhen vit avec le poids de la disparition de son grand-père maternel, et de la misère qui s’est abattu sur sa mère. Son père a apporté du réconfort à cette famille. Il a tout fait pour permettre à Wuhen de faire des études.
Elle travaille dans une petite agence de communication que son père a créée à Shanghai. Elle y fait connaissance d’un employé, fils de paysan très pauvre de la région. Elle l’épouse après de longues hésitations. C’est un jeune homme courageux, dévoué. Une fille nait de cette union. Mais un jour, son jeune mari est retourné au village. Il disparait.
Par un message, il lui apprend que ses parents l’ont marié à une autre femme et qu’il doit disparaitre de sa vie, ainsi que de celle de leur fille Dong Dong. Avec la politique de l’enfant unique, il sait qu’il n’aurait pas eu d’enfant mâle avec Wuhen.
Wuhen se plonge alors dans l’illusion
Elle s’enfonce dans un monde virtuel, fait de réceptions somptueuses, de fêtes où ruisselle l’argent… De réseaux sociaux en jeux vidéo en ligne. Comme dans une drogue. De construction d’une famille parfaite puisque la vraie vie est si cruelle ! Elle navigue dans cet océan virtuel, au gré des dernières tendances du Web. « Il y a longtemps que j’ai oublié le port d’attache d’où je suis partie pour prendre la mer », dit-elle (p 460)
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Xinran, l’auteure, est touché au cœur par l’histoire de Wuhen
Le récit de cette jeune femme réveille en elle tant de souffrances qu’elle a vécu en Chine pendant les années terribles. Faim, privations, terreur exercée par les Gardes Rouges… Elle qui vit depuis quelques années en Angleterre. Elle retrouve son identité chinoise profonde au travers de ces témoignages de femmes.
L’auteure apprend la mort de Rouge en même temps que celle de son propre père
Elle mesure les bouleversements gigantesques que cette civilisation chinoise, vieille de 5000 ans, a connu en à peine un siècle. Que reste t il de la culture chinoise ? De ses traditions, de son écriture avec ses 18.000 caractères ? De sa conception de la famille ? Cette famille, pierre angulaire de la culture millénaire chinoise, qui a été piétinée par la Révolution puis par l’émergence économique après 1978.
Ni mariages arrangés, ni mariages révolutionnaires. Des mariages virtuels alors ? Horizon pour ces enfants sans frères ni sœurs issus de la politique de l’enfant unique ?
Xinran nous livre là une très belle et douloureuse histoire de la Chine contemporaine
Elle nous livre des clés pour comprendre. Pour aimer cette culture, cette civilisation, ce pays.
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Sur la Chine, Michel Aglietta « La voie chinoise : Capitalisme et Empire » Voir==> ICI
Sur l’histoire de la Chine, voir==>ICI
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[1] Voir la note de lecture de ce bel ouvrage ==> ICI
[2] Le feng shui est un art millénaire d’origine chinoise qui a pour but d’harmoniser l’énergie environnementale d’un lieu de manière à favoriser le bien-être, la santé et la prospérité de ses occupants. Pour en savoir plus, voir ==> ICI
[3] Sur ce roman emblématique des nouvelles générations de jeunes chinois, voir ICI
[4] Place de la République : la « société liquide en métaphore » voir ==> ICI
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