Mon beau cheval noir » de Zhang Chengshi. Un ouvrage lumineux, où le vent de l’immense steppe du Nord-Ouest de la Chine souffle un air de liberté et de profond accord avec la nature. Une nature, très présente, qui s’impose d’une façon bienveillante malgré la rigueur du climat. Le froid de l’hiver, l’immensité du ciel et des nuages qui le sculptent dans ses couleurs bleu sombre et rouge-or. La peine, la douleur, la violence se nouent dans cet environnement, soumis, comme partout ailleurs, par les tensions entre modernité et traditions. Avec, notamment, la résignation des femmes à la domination brutale des hommes.
Un livre qui nous amène loin des aigreurs qui envahissent la pensée, les pensées actuelles. Une histoire d’amour, de regret, de vie.
Mon beau cheval noir » de Zhang Chengshi commence avec une histoire d’amour entre deux enfants qui grandissent dans la steppe
Une vie d’apprentissage de la vie des nomades. Apprentissage de l’importance du lien entre les êtres, dans la famille, dans le clan. Du puissant rapport avec la nature. Apprentissage et jeux avec les animaux, et en tout premier lieu les chevaux, autour des ruisseaux limpides qui veinent l’immensité de la steppe. Également dans la chaleur des yourtes, dans la douceur des fourrures.
Baiyinbaolige et Somia vivent tous deux avec la grand-mère de la fillette. Le père du garçon a confié son fils Baiyinbaolige à cette vieille femme, trop heureuse d’avoir à ses côtés des jeunes à élever.
« Mon beau cheval noir », Ganga-Hala
Un jeune poulain dans une robe entièrement noire débarque dans la vie de ces trois êtres. Un magnifique cheval noir, fin, gracieux, qui montre ses promesses de puissance. Les enfants vont grandir avec lui. Baiyinbaolige est fasciné. Il sait que ce cheval lui est promis; et le baptise Ganga-Hala. Il n’a de cesse d’atteindre l’âge où il pourra seller l’animal et le monter, comme le font tous les jeunes garçons mongols autour de lui.
Dans la grande steppe, la population vit de l’élevage des bœufs et des vaches. Comme il n’y a pas d’arbres à l’horizon, on utilise comme combustible les bouses des bovins. Leur collecte sur les grandes étendues de pâturage occupe un grand temps dans la vie des femmes de la tribu.
Deux enfants qui se découvrent, jeunes adultes, et se promettent l’un à l’autre
Le récit de leur « découverte » mutuelle est somptueux de sobriété, de sensualité et de vérité. Cette reconnaissance se noue, alors qu’ils ont tous deux 17 ans, sous les auspices bienveillants de la Grand-mère qui veut finir sa vie avec ces deux jeunes auprès d’elle. Un grand amour relie ces trois personnes.
Trois faits majeurs vont nouer la trame du récit
- Le départ du fils pour la ville. Baiyinbaolige est un jeune berger comme tous les hommes de sa tribu. Il a appris son métier dans la pratique quotidienne au sein de sa famille et du village. Rompant avec la tradition, il va cependant partir à la ville pour se former comme vétérinaire. C’est une nouveauté dans la steppe, les premières incursions de la modernité. Il revient après quelques mois.
- Le second fait majeur, c’est la violence que subit Somia, de la part d’un berger du village. Quand Baiyinbaolige revient de la ville, Somia, son amour, n’est plus en face de lui, elle se dérobe. Abusée par un homme du clan, elle est enceinte. Malgré la honte qui la couvre, elle veut à tout prix garder cet enfant. Elle ne sait comment parler à Baiyinbaolige, qui sombre dans la colère et l’impuissance. La Grand-mère tempère ses ardeurs de vengeance. Elle s’est résignée : de tous temps, des hommes ont agi ainsi. Comme pour Somia, c’est maintenant la vie qui compte. Le jeune homme quitte la maison et va aller travailler en ville, il est vétérinaire et travaille pour l’Etat.
- Le troisième fait, c’est l’attitude de Baiyinbaolige à la mort de la Grand-mère. En respect de la tradition, la vieille femme a été inhumé selon le rituel « céleste » [1]. C’est Somia qui a mené, seule aux cotés de sa fille issue du viol, cette cérémonie douloureuse [2]. Baiyinbaolige est resté à la ville, alors que c’est lui qui aurait dû conduire cet acte majeur. Pour Somia, et, finalement, pour Baiyinbaolige lui-même, l’absence du fils (adoptif) à ce rituel d’inhumation de la femme qui l’avait élevé est peut-être plus grave que le viol subi par Somia.
Dix ans après, Baiyinbaolige revient dans son village
Pour cela, il a emprunté à la Commune un cheval. Ce cheval, c’est Ganga-Hala, devenu une puissante bête. Baiyinbaolige commence par ne pas le reconnaitre. Il est dévoré par le remord. La peine d’avoir failli devant son devoir face à la mort de Grand-mère. Le regret d’avoir perdu son amour, Somia. Il n’a pu apaiser son cœur, il part à sa recherche.
Le récit se déroule alors, au rythme des pas de Ganga-Hala, dans une immense mélancolie. Baiyinbaolige apprend que Somia s’est mariée. Quelle vit loin du village, au bord du lac de Nogaichoer. Il va la retrouver. Dans l’esprit de tous, il est le frère de Somia. Il rejoint la masure de terre dans laquelle elle vit avec Gigige sa fille, et trois garçons qu’elle a eu avec Dawachang son mari, un charretier. Celui-ci l’accueille avec rudesse et hospitalité. Tandis qu’il va partir pour faire son métier de charretier, il l’invite à rester quelques jours à la maison, alors que Somia va revenir d’un dur travail mené avec quatre charrettes tractées par des bœufs. Elle s’occupe également du ménage de l’école du village, auprès de l’institutrice.
Coupable de quoi ?
Baiyinbaolige et Somia vont rester quelques jours seuls avec les quatre enfants. Ils ne parviennent pas à se parler. L’émotion étreint Baiyinbaolige. Il est enseveli par la culpabilité. De quoi ? D’avoir abandonné Somia ? D’avoir été absent à la mort de la Grand-mère ?
Somia, devenue une femme mure, forte, est toute à ses tâches. Entre les enfants et son travail à l’école, dans la rude vie du village qui n’a pas été encore raccordé au réseau électrique. L’eau est à puiser dans le lac proche. La nuit, tout le monde se regroupe sur le lit de briques chauffées, sous les fourrures.
C’est Somia qui va parler
Elle dit à son amour de jeunesse qu’elle a fait un mensonge à Gigige en lui disant qu’il était son père, et qu’un jour, il viendrait la voir sur un grand cheval noir. Et c’est ce qui s’est passé !
Elle lui fait aussi une prière. Alors qu’elle a été stérilisée dans le cadre des politiques de l’Etat, elle lui demande, quand il se mariera et aura un fils, qu’il lui confie cet enfant et qu’elle l’élèvera.
Baiyinbaolige ne répond pas. Il enfourche son beau cheval noir et retourne à la ville. Tout à ses pensées, ses regrets, sa tristesse.
Traduire « avec un accent »
Ce livre m’a profondément touché. Son écriture, simple, profonde, fait résonner la mélancolie de l’homme et la force de la nature.
La traduction vers le français a été assurée par un traducteur au nom chinois, Dong Qiang, qui offre au texte une légère distonalité pleine de charme. Plus simplement, on pourrait adopter l’image d’une écriture « avec un accent ». Un accent qui créé un léger décalage, nous rassure et nous engage dans une proximité avec l’auteur. Comble du paradoxe !
On pense à une autre histoire d’amour dans la steppe
« Djamilia » de l’écrivain Aïtmatov. Une histoire sur fond de guerre, alors que les hommes valides sont partis au front, à des milliers de kilomètres à l’Ouest. La Seconde Guerre Mondiale fait résonner sur cette terre l’évocation de ses morts. Nous sommes dans une république soviétique d’Asie centrale. L’URSS fait face aux assauts de l’armée hitlérienne. Les femmes et les hommes revenus du front doivent produire et acheminer le blé qui nourrira les soldats qui combattent. Loin, très loin à l’Ouest. Voir la note de lecture de ce bel ouvrage ==> ICI
& & &
Zhang Chengzhi (张承志), né à Pékin en 1948 est un écrivain chinois. Il n’appartient pas à l’ethnie majoritaire Han, mais à l’ethnie Hui (musulman). Il étudie l’archéologie et l’histoire à l’Académie chinoise des sciences sociales puis au Japon (Tōyō Bunko). Pour en savoir (un peu) plus, voir ==> ICI
[1] L’inhumation céleste, appelée aussi funérailles célestes ou enterrement céleste (du chinois : 天葬 ; pinyin : tiānzàng), en tibétain : བྱ་གཏོར་, Wylie : bya gtor, pinyin tibétain : jhator, littéralement « dispersé par les oiseaux », est un mode d’élimination des corps, qui est pratiqué en Chine (Qinghai, Mongolie-Intérieure, Sichuan, Tibet), en Mongolie, au Népal et en Inde. Il consiste à exposer les cadavres à l’air libre afin qu’ils soient dévorés par des vautours. D’après Wikipédia.
[2] Que l’auteur ne décrit pas, par pudeur selon le traducteur.
Articles similaires
« mon Maroc » d’Abdellah TAÏA (note de lecture)
6 avril 2022
« Haïkus érotiques » (note de lecture)
17 février 2019