« Les impatientes » de Djaïli AMADOU AMAL est un plaidoyer radical contre la situation de violence systémique faite aux femmes dans l’Afrique sahélienne. Une belle écriture, simple, directe, soutient le récit. Djaïli Amadou Amal nous offre là un ouvrage de fiction inspiré de faits réels. Une histoire déroulée dans les régions Nord du Cameroun. Au sein de famille aisées de commerçants, de politiciens. La richesse matérielle est là.
Trois femmes mises en scène
Ramla, Hindou et Safira. Chacune va vivre sa condition de femme dans la soumission au père, au mari, à la tradition. Une tradition portée par les femmes de la famille. Celles-ci forment la première ligne de défense de l’honneur du clan, du nom, de la fratrie, de la lignée.
Derrière cette ligne de protection, le patriarche, impose son autorité sans partage. Sans contestation aucune. Sans retenue. La violence physique est là [1].
La polygamie organise la vie quotidienne au sein de ces riches familles
Le huis clos des « concessions » forme le terrain d’une bataille permanente, codifiée par des règles non écrites. Une subtile chorégraphie se met en place, entre les épouses et le père, avec un « tour » d’une semaine pour chacune d’elles. Et des règles précises d’accès à lui.
Mais aussi entre les épouses et avec les enfants de chacune d’elles. L’obsession de la hiérarchie envahit l’espace social. Une hiérarchie changeante, toujours remise en question pour capter la préférence du patriarche. La jalousie écrase toute autre considération.
Chacune des trois femmes va s’entendre conseiller la « patience »
Munyal, c’est la patience en langue Peuhl. Patience pour endurer en toute circonstance la volonté du père. L’écrasement de sa personne en tant que femme. Patience pour accepter l’époux que le père, l’oncle ont choisi pour elle. Sans discussion possible. Et encore patience pour supporter tous les désirs, toutes les colères de l’homme.
Ce sont les hommes qui prêchent la patience. Mais les femmes, les mères, les tantes, les grands sœurs prennent le relais. Au nom de l’honneur. Dans la hantise de la répudiation. Une menace asymétrique en permanence suspendue au-dessus de la tête des épouses.
La volonté de Dieu
Dans la société patriarcale, toute décision de l’homme chef de famille est immédiatement présentée comme la « volonté d’Allah ». Et puisque c’est la volonté de Dieu, comment oser contester sa décision ? Le subterfuge se forme ainsi, s’enracine, entre pouvoir humain et volonté divine. Il se transforme en croyance, aussi « dure que le fer », comme toute croyance !
A une autre échelle, l’Islam politique a réussi ce même tour de passe-passe : faire croire que ses propres interprétations du Texte (humaines donc contestables par d’autres humains) sont volonté du Tout Puissant (donc totalement intouchables). Le tour est joué. Le pouvoir est assuré. Pour le religieux dans l’espace politique. Pour l’homme dans la famille.
La violence se retourne
Les femmes soumises à l’arbitraire, à la brutalité de l’homme se transforment elles-mêmes en boules de violence. Le partage de l’homme entre les femmes déchaine un cycle de ressentiments qui prennent littéralement possession des femmes. Jalousie, douleur, haine, désir de vengeance envers la rivale. Les digues qui retiennent la haine sont rompues.
L’autre femme, la nouvelle épousée, va conquérir le désir (le cœur ?) de l’homme. Parce qu’elle est plus jeune. Plus belle. Parce qu’elle a reçu une instruction.
Le recours à la magie
On fait appel à la magie pour arriver à ses fin. Pour écarter la rivale dans l’ordre des préférences. Les femmes sont prêtes à consacrer des sommes immenses pour recueillir des « marabouts » des recettes « infaillibles ». A base de décoctions les plus étranges. La croyance est là !
Et si la magie ne donne aucun résultat, c’est soit qu’on n’a pas fait comme il avait été dit de faire, soit qu’une autre magie, contraire, a été préalablement déployée. Alors, si on est déterminée, il faut « aider la magie à opérer » en menant des actions concrètes en parallèle. La ruse, l’absence de scrupules, le cynisme sont alors de mise pour les pires des pratiques.
Le recours à la magie, pourtant formellement condamné par l’Islam, se pare de formes religieuses. Effaçant la frontière entre le permis et le proscrit dans une habile confusion où l’argent, l’emprise, la croyance se combinent. Là encore, la religion est mise au service des propres fins de qui a le pouvoir.
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Djaïli Amadou Amal, née en 1975 à Maroua, est une militante féministe et femme de lettres camerounaise d’expression française. Pour en savoir plus sur l’auteure, voir ==> ICI
[1] « L’hibiscus pourpre » de de Chimamanda Ngozi Adichie. Voir la note de lecture ==> ICI
« Le tambour des larmes » de Beyrouk. Voir aussi ==> ICI
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