« Les hauteurs de la ville » d’Emmanuel ROBLES (note de lecture). Un roman d’éblouissement. Sous la lumière aveuglante de la Méditerranée. Dure, implacable, brulante. Une lumière qui fait trembler l’image des arbres dans le lointain. Qui étouffe, qui paralyse, qui annihile la volonté. Tout à l’opposé des clichés touristiques.

Nous sommes en pleine guerre mondiale, à Alger, dans les années 1940

Smaïl a 19 ans et une immense colère qui lui prend tout le corps. Du ventre à la tête. Un soir, il se fait prendre et subit l’humiliation d’Almaro, le chef local de l’organisation allemande qui recrute de la main d’œuvre pour le travail obligatoire en Europe. Pour construire le Mur de l’Atlantique. L’armée allemande a besoin de bras pour malaxer le ciment qui va hérisser la côte française de bunkers.

L’humiliation

Smaïl a arraché des affiches dans la rue qui appellent à s’embarquer pour la France et s’engager pour ces travaux. Attrapé par les hommes d’Almaro, il est sérieusement molesté. Almaro l’interroge : « pour qui as-tu fait cela ? ». Il l’humilie et le relâche, au bénéfice de son jeune âge.

Le jeune homme sort de cet épisode douloureux avec un immense désir de vengeance. Sa colère a trouvé un objet. Elle envahit tout son être. Elle forge dans sa tête l’obligation de faire payer à Almaro son humiliation. La colère va enfermer Smaïl dans une cage dont il ne sort pas.

A plusieurs reprises, il revient roder autour de la villa d’Almaro. Avec son couteau dans la poche. Une fois, Almaro le repère et tire une balle dans sa direction, sans l’atteindre. Sa rage de vengeance en est décuplée.

« Les hauteurs de la ville » d’Emmanuel ROBLES (note de lecture)

Smaïl doit se procurer un révolver

Plus que jamais, il est décidé à tuer cet homme. Le jeune homme ne maitrise pas toutes les émotions qui l’envahissent. Laissant peu de place à autre chose que ce désir de vengeance. Pourtant il est aimé de Monique avec qui il partage des grands moments de douceur et de volupté. L’aime-t-elle comme elle le lui affirme ? Comment être sûr d’elle alors qu’il doute lui-même de son amour pour elle ?

Il perd son travail de mécanicien de n’avoir pas voulu y retourner avec son visage tuméfié. Fernandez, un ancien collègue de travail est membre d’un réseau de résistants dans l’Algérois. Il lui demande de l’aider à faire échapper par le Maroc un résistant français. Fournier vient d’arriver de Marseille. Il est recherché pour avoir tué un officier allemand. Smaïl connait la route et les sentiers de montagne qui séparent l’Algérie du Maroc où vit une partie de sa famille. Il a fait plusieurs fois cet itinéraire avec son oncle Idir qui fait de la contrebande occasionnellement. Il accepte. En échange, Fernandez lui donnera un révolver et des balles.

La colère de Smaïl ne le quitte pas

Il trouve pourtant chez Monique des moment de répit. Dans les plis du désir. Mais très vite, il retourne à l’intérieur de la haine dans lequel il s’est enfermé.

Il en veut à la terre entière de le détourner de son objet de haine. Sa logeuse, méfiante, sournoise, moralisatrice. La femme d’Almaro qui vient lui demander de quitter la ville, pour ne pas faire de bêtise. Elle le prend pour un enfant. Cela augmente sa rage. Un ami qu’il estime beaucoup lui parle de non-violence. Smaïl ne veut rien entendre.

Smaïl part accompagner Fournier traverser la frontière marocaine. Le train, la marche dans la montagne, les risques… Il a fait passer la frontière à Fournier. Il a vu sa famille à Oujda et revient à Alger. Fernandez lui donne le révolver. Il s’embusque près de la villa d’Almaro et le tue.

Patrie et Humiliation

Dans le temps du voyage en train vers l’Ouest, Smaïl et Fournier se parlent. Smail reste sur ses gardes. Il ne veut pas entamer sa détermination à revenir se venger. Un bref moment d’échange se créé dans le train qui les mène vers la frontière marocaine. Fournier parle des valeurs qui l’animent. De son engagement dans la Résistance. Il a tué ce soldat allemand pour défendre sa patrie. Smaïl le questionne : « Bon. Mais en ce qui me concerne, quelle peut bien être ma patrie ? » et Fournier répond « Là où tu veux vivre sans subir ni infliger l’humiliation. »

Cet échange entre Smaïl et Fournier ne représente que quelques lignes dans le roman. Celui-ci reste centré sur le drame personnel, intime, que vit le jeune homme. L’inscription du récit dans le moment historique, dans la situation coloniale, dans l’humiliation quotidienne bien au-delà de l’acte d’Almaro, est présente mais très légèrement esquissée. En toile de fond

7 ans avant le déclenchement de la Guerre d’Algérie

Pourtant, cet échange est prémonitoire. Emmanuel Roblès écrit là les mots qui éclairent le futur proche de Algérie quelques années après. Qui dit par avance la détermination de la population dans l’impitoyable guerre de 8 années qui va s’ouvrir. Qui place l’humiliation au cœur de la résolution à vaincre. En une lutte à mort pour se donner un pays où on ne subirait ni n’infligerait l’humiliation !

La Guerre a eu lieu. Après l’Indépendance, Alger devient la « Capitale » du Tiers Monde !

Elle a libéré le pays du pouvoir colonial. Elle a ouvert une autre page de l’Histoire pour le peuple algérien. L’Algérie a été aidée dans sa lutte pour l’Indépendance par des mouvements de soutien à la décolonisation. Partout, au Sud, les sociétés se soulèvent. L’Algérie, une fois indépendante, apporte son appui à d’autres mouvements de libération. Notamment à l’organisation de Nelson Mandela qui lutte en Afrique du Sud contre l’apartheid.

Le Festival Panafricain d’Alger

L’Indépendance a déclenché d’immenses moments d’enthousiasme qui culminent au Festival panafricain d’Alger, en juillet 1969 [1]. Les révolutionnaires, les hommes qui luttent contre le joug colonial s’y retrouvent. Des leaders du Black Panther Party [2] participent.

Des artistes aussi. Miriam Makeba qui vit en exil pour échapper à l’apartheid qui règne encore en Afrique du Sud. Archie Shepp, jazzman sombre. Choukri Mesli, peintre algérien. Barry White, bluesman américain comme Archie Shepp. Manu Dibango, jazzman camerounais. Nina Simone, pianiste et chanteuse, militante des droits civiques aux Etats Unis. Ousmane Sembène, écrivain sénégalais et militant politique. Aminata Fall chanteuse sénégalaise…

Mais les sombres nuages déjà accumulés pendant la guerre de libération éclatent

Les conflits qui ont divisé les nationalistes pendant la guerre de libération ont surgi dès le lendemain de l’Indépendance. La socialisation des terres échoue. Les militaires consolident leur pouvoir. Survient la catastrophe : l’augmentation du prix du pétrole en 1973.

Dès lors, se met en place un processus qui va étouffer progressivement la société : pourquoi produire ici puisqu’on peut tout importer avec les dollars tirés des exportations de pétrole et de gaz ? Grands travaux improductifs, surconsommation, gabegie, prédation au sein du pouvoir… La rade d’Alger et encombrée de bateaux qui ne parviennent pas à décharger la marchandise, tant les flux d’importations ont augmenté.

La fausse indépendance

Mais le prix du pétrole fluctue. Après son augmentation, c’est le chute. L’Algérie se croit indépendante, mais elle dépend, en fait du prix du baril de pétrole sur lequel le pays n’a pas la main. La seule chose qui demeure, c’est l’emprise des militaires sur le pouvoir et le partage entre eux de la manne pétrolière. Mais aussi l’humiliation !

La colère de Smaïl ne serait pas éteinte, aujourd’hui

Aujourd’hui, l’espoir tient dans le soulèvement pacifique de la société civile. Pour en finir avec le pouvoir militaire qui a stérilisé le pays, des millions d’hommes et de femmes se sont dressés avec le Hiraq en 2019. La pandémie du C19 a interrompu ce mouvement. Avec les jeunes comme Ismaïl, nous sommes nombreux à espérer qu’il reprendra sa marche.

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[1] Sur le Festival Panafricain, voir  ==> ICI 

[2] Sur les mouvement des Black Panthers, voir ==> ICI

A propos de la colonisation française en Algérie, voir ==> ICI