Au Sud comme au Nord, la prédation des fonds publics s’effectue selon plusieurs niveaux de sophistication. Prenons l’exemple des collectivités locales au Sud. Au début, les élus prennent directement dans la caisse. C’est simple, mais ce n’est pas toujours facile car les contrôles formels sont de plus en plus sévères et les fonds sont gérés par le Trésor public.

Une sophistication croissante des procédés de prédation

Alors on franchit rapidement cette étape pour aller à la suivante, qui consiste à passer des marchés publics en gonflant les devis (de 50 à 100%). Les élus locaux partagent la différence avec l’entreprise et avec l’administration qui a donné l’autorisation nécessaire. Ainsi, on peut repeindre l’école du village tous les ans, refaire les trottoirs tous les deux ans (grande spécialité de la municipalité de Marrakech dans les années 90) ou les terre-pleins des carrefours giratoires.

Ou toute autre dépense publique pour ‘améliorer’ l’espace urbain ou un édifice public. L’avantage de cette solution est que les comptes publics sont totalement d’équerre. Rien ne vient signaler la prédation, puisqu’il y a un résultat tangible (la peinture du bâtiment…), que le marché a été passé dans les règles, avec appel d’offre, et que les factures (gonflées) attestent des dépenses engagées.

Le niveau supérieur de la prédation consiste à s’affranchir de toute réalisation matérielle et de n’agir que par des écritures. Cela suppose un niveau plus élevé de connaissance des mécanismes comptables et juridiques. Mais on peut y arriver, en ayant recours à un cabinet spécialisé, qui saura trouver la formule pour échapper à toute poursuite, pour réaliser en toute légalité formelle cette prédation. Chacune des parties qui aura contribué à celle-ci aura sa part.

Le sommet de l’art : la prédation « légale »

Mais le niveau indépassable de la prédation consiste à peser sur les politiques pour que les lois et règlements rendent la prédation totalement légale. On a affaire ici à du blanchiment politique du détournement, totalement sécurisé puisque la loi formelle n’a pas été violée. C’est largement la pratique courante de ce que l’on appelle ‘l’industrie financière’ dans les pays développés [1] qui a patiemment modelé les lois, depuis les années 70, pour détourner en toute légalité des milliers de milliards de dollars sur des modes ultra-sophistiqués que peu de personnes (de responsables politiques) sont capables de comprendre [2]. On est en plein dans la capture de l’Etat, selon l’expression anglo-saxonne (‘state capture’).

Le plus souvent, les acteurs de ces exploits occupent le haut de la hiérarchie symbolique dans la société. En plus d’avoir effectué des prédations monstrueuses, mis au chômage et ruiné des milliers de familles, mis les Etats au bord de la faillite, les élites politiques leur accordent tous les honneurs. Et rêvent de passer du coté de ces prédateurs. C’est un beau résultat.

Voir Captation ou création de richesse? ==> ICI

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[1] Mais d’autres ‘industries’ sont aussi à l’oeuvre sur ce terrain : pharmacie, agro-alimentaire, chimie, télécommunications, armement…

[2] Voir notamment « The Quiet Coup » de Simon Johnson (2009). http://drmingxia.org/wp-content/uploads/2014/10/TheQuietCoup.pdf

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