« La colline oubliée » de Mouloud MAMMERI. Des jeunes adultes tentent d’émerger comme individus dans le monde des traditions. Nous sommes en Haute Kabylie. Là où la société villageoise tient, résiste depuis des siècles, grâce un dense tissu de traditions face à un environnement naturel rude et peu généreux en eau, en terre à cultiver.
Traditions qui tout à la fois assurent la vie et portent l’oppression
Des traditions qui sont aussi autant de liens qui enserrent les individus dans des règles dures, intangibles. A commencer par l’honneur. Honneur de son nom à défendre. Honneur du nom de sa famille. Car chacun « appartient » à une lignée, un village, une tribu. Les rôles sont définis à l’avance. Entre enfants et parents. Entre hommes et femmes. Et aussi entre riches et pauvres. Il est presqu’impossible d’échapper aux dures lois non écrites qui dictent à chacun sa conduite. Toutes les ruses sont bonnes pour contourner les règles. Mais gare à qui se fait prendre !
La guerre mondiale en fond de scène
Le roman débute dans les années qui ont précédé la Seconde Guerre Mondiale. Celle-ci va mobiliser ces jeunes qui vont partir à la guerre. Revenir (ou y rester). Et repartir au grès des défaites et victoires des alliés. En France pendant la « Drôle de Guerre ». Puis en Tunisie contre l’armée allemande de Rommel. En Provence avec les Alliés lors du débarquement d’aout 1944. Ils ont reçu une instruction moderne. Certains ont même connu la France.
Le froid, la faim
La Guerre ajoute aux souffrances des villageois. La nourriture est rationnée. Elle manque. La faim s’ajoute au terrible froid de l’hiver. La maladie frappe. Médecine traditionnelle. Médecine moderne, trop chère pour les bourses plates des villageois. Les familles sont solidaires, par-delà les vieilles haines recuites des conflits dont on a oublié les causes.
C’est dans les amours que cette émergence des individus est la plus douloureuse
Et la plus hésitante. Les règles sacrées du mariage… Et les jeux de l’amour. Le trouble dans ce jeu introduit, bien sûr, par le désir. Comment s’affranchir des règles et de la « surveillance » constante de chacun par tous dans le village ?
Et la question contrariée de fécondité complique ou ouvre le jeu. Il fait se heurter les anciens et ces jeunes. L’injonction par les anciens à la procréation pour assurer la descendance écrase le désir d’enfant de ces jeunes qui cherchent, en plus, l’amour.
Et la « faute » de l’absence d’enfant retombe sur la femme !
Elle est déclarée inféconde. Il faut la chasser de la famille. Les parents, les mères s’y emploient de toutes leurs forces, de toutes leurs ruses. Le responsable religieux y va de son discours. L’équation est trop difficile pour ces jeunes, pour ces amis tous liés par des liens familiaux. Au sein ou par-delà les coupures tribales.
On a recours au Cheikh. Celui qui sait, qui dit des paroles qui vont aider à résoudre les difficultés. En désespoir de cause, et en cachette, on participe à des séances de magie où la transe collective est sensée faire venir l’enfant.
La guerre continue d’agir en sourdine
Prenant les jeunes hommes, amis, cousins. Les rejetant dans les tourments de la vie. Agissant dans les tensions créées par l’infécondité des couples.
Et, dans l’ombre des villages, des maquisards s’activent. Libres, sauvages, rebelles à toutes autorité. Parfois disposé à prêter leur coup de feu pour régler un conflit familial. Qui étaient ces maquisards d’avant la guerre d’Indépendance ? Quel rôle ont-ils joué ? Le roman ne le dit pas. Ces hommes hirsutes traversent le récit d’une façon fugace…
Le roman s’installe lentement dans l’esprit du lecteur
Il faut s’accrocher aux lignes, dans les premières pages. Le fil du récit suit les chemins tortueux des montagnes kabyles… Et finalement, le roman nous prend. Les personnages s’incarnent, dans leur complexité. Dans les doutes qui les traverse.
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Mouloud Mammeri, né en 1917 à Ait Yenni, Kabylie (Algérie), est mort en 1989 dans un accident de voiture à Aïn Defla en Algérie. C’est un écrivain, anthropologue, linguiste spécialiste de la langue et de la culture berbères (amazigh). Ses œuvres les plus célèbres sont La Colline oubliée (1952), Le Sommeil du juste (1955) et L’Opium et le bâton (1965) (d’après Wikipédia). Pour en savoir plus sur l’auteur, voir ==> ICI
Sur la Kabylie, on lira aussi les romans de Mouloud Feraoun. Voir les notes de lectures faites sur ses œuvres ==> ICI
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2 Commentaires
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Un roman qui a fait l’objet de plusieurs conférences et ouvrages (Hend SADI) et communications de colloques…et tourné même en film. MAMMERI y a fait passer beaucoup de messages comme vous le dites…notamment sur la culture berbère kabyle et son passage de l’oralité à l’écrit..
Merci pour ces belles notes Jacques!
Bonjour et merci pour votre commentaire. J’ai essayé de trouver les autres romans de Mouloud Mammeri, notamment « L’opium et le bâton », mais j’ai appris que ces livres sont épuisés. A quand une prochaine réédition?