« Inyenzi ou les Cafards » de Scholastique MUKASONGA. On suit l’auteure dans ses premières années de vie, marquées par l’exclusion, le rejet, la stigmatisation. Par la persécution. Elle est Tutsie. Avec sa famille, elle est expulsée de sa maison du Rwanda. Elle, ses parents et ses frères et sœurs vont se retrouver dans un endroit désolé, en pleine brousse. Où tout est à faire pour rendre ce coin de terre cultivable. Progressivement, la répression, les persécutions s’accentuent. Jusqu’aux jours de massacres en 1994.
Mais Scholastique a échappé à ces moments sur sa terre. Elle a épousé un Français et vit loin du drame. Elle écrit des pages poignantes sur son retour sur les lieux des crimes. De longues années après. Sur un chemin de souvenirs douloureux. Où tout lui rappelle ce monde englouti. Par la haine. Par la haine qui a été jusqu’aux massacres de masse.
Le livre est dédié à tous ceux qui ont péri dans le génocide. Et « aux rares rescapés qui ont la douleur de survivre. »
Le livre est servi en couverture par une très belle aquarelle de Titouan Lamazou.
Très tôt, les premiers pogromes contre les Tutsi éclatent
L’enfance de Scholastique est marquée par les persécutions dès son plus jeune âge. Dans son village. A l’école. L’engrenage de la haine s’est mis en marche très tôt, en 1959. L’auteure n’a que trois ans.
En une marche que rien n’a su arrêter. « Inyenzi », ce sont les cafards. C’est ainsi que les Tutsi étaient nommés par ceux qui allaient tenter de les exterminer.
La famille est déportée et regroupée dans un coin de brousse
Déversés par des camions de l’armée à Nyamata, où tout est à recommencer. Construire une maison. Défricher un coin de terre. Les parents travaillent tout au long du jour. La mère a emporté précieusement des graines de plantes qu’elle va planter dans ces nouveaux espaces à cultiver. (p 72) « Elle les avait sauvées dans les nœuds de son pagne comme le plus précieux des trésors. (…) C’était pour elle comme les survivants d’un temps plus heureux… »
Les persécutions s’accentuent. Les militaires, pas loin, viennent régulièrement et pillent les maisons. Humilient les habitants. Les frappent. La terreur hutu se répand, portée par les milices et les soldats.
Scholastique réussi à intégrer le lycée puis une école d’assistantes sociales
Elle fait partie des 10% de Tutsis autorisés à suivre la scolarité au lycée. Un miracle, cette intégration dans le système scolaire ! Même si les conditions de la scolarité sont dures. (p 91) « Enfin le grand jour de la rentrée arriva. Il fallait partir de bonne heure pour arriver à Kigali avant la tombée de la nuit. Même pour une bonne marcheuse comme je l’étais, quarante-cinq kilomètres, c’était une expédition. Mon père m’accompagnait. »
La stigmatisation continue dans la scolarité
Les humiliations sont permanentes, y compris de la part des élèves Hutus, des jeunes filles comme elle. Elles avaient des chaussures. Scholastique marchait pieds nus. Les Tutsi « n’avaient plus le droit à la fierté. »
Les enseignants, les « Bons Pères », participaient à la propagande du pouvoir dans leur discours. Il fallait dire que le Rwanda était un pays « béni de Dieu » ! Le Président Kayibanda[1] avait instauré un « petit paradis au cœur de l’Afrique. »
Pensée coloniale
Alors que le pays vient d’acquérir son indépendance, le poids de la pensée coloniale pèse lourdement sur les élèves. (p106) « Melle Barbe, une Française, nous initiait à la cuisine civilisée dont la base était la mayonnaise. »
La persécution s’accélère, la terreur s’installe
On ne parle plus à personne, même aux voisins. Se faire tout petits, disparaitre aux yeux des Hutus qui commencent à se déchainer contre la minorité Tutsi. Les meurtres commencent. Son ami d’enfance, Régis, est attrapé par des séminaristes, rasé avec des morceaux de verre, tué à coups de pierre.
En 1973, la famille se réfugie au Burundi. Les enfants se « réfugient dans les études », une façon d’espérer échapper à la mort annoncée.
La perception du massacre de masse s’installe progressivement
Fuir. Echapper aux tueries. Il faut que l’un d’entre nous survive. Cette pensée commence à s’installer dans les esprits. Scholastique vit cette montée de la terreur de masse et la décrit avec une émotion contenue dans les pages de son livre.
Les massacres se déchainent
En 1994, le massacre de masse se met en branle. Comme « une horreur attendue ». Scholastique était loin des siens qui tombaient sous les coups de machette des tueurs. 37 membres de la famille de Scholastique sont assassinés. (p 140) « Je n’étais pas pami les miens quand on les découpait à la machette. Comment ai-je pu continuer à vivre pendant les jours de leur mort ? Survivre ! C’était, il est vrai, la mission que nous avaient confiée les parents à André et à moi. Nous devions survivre e je savais à présent ce que signifiait la douleur de survire. » « Nous étions fatigués et parfois, nous nous laissions aller au désir de mourir. »
Elle parle de sa souffrance. (p 145) « Mais que vaut ma souffrance comparée à ce qu’ils ont souffert avant d’obtenir de leurs bourreaux cette mort qui était leur seule délivrance ? »
Scholastique décrit des scènes de massacre et de l’abandon des victimes par les forces de l’ONU
Les milliers de Tutsi réfugiés dans l’église et achevés. Les militaires de l’ONU avait évacué, la veille, les religieuses et les missionnaires.
Il lui faut dix ans pour avoir le courage de retourner au Rwanda
C’était en 2004. Le récit se déroule comme une remontée dans le temps. Le temps où elle et sa famille vivaient. Elle cherche des traces de sa maison. Du champ que cultivait sa mère. Elle découvre une famille. Des Hutus. Bien sûr, ils n’ont rien fait, rien vu !
L’écriture donne la mesure de cette douleur immense. Les souvenirs effleurent à la visite des lieux, à la mémoration des noms des parents, des amis, des voisins. (p 195) « Je suis seule, sur une terre étrangère où personne ne m’attend plus. »
Avec quelques portraits saisissant, comme celui de Gakwaya (p 180) « Sa femme s’appelait comme moi, Skolastika. Il avait été chef à Ruhengeri. Il estimait contraire à sa dignité de cultiver et endurait noblement la faim dans le drapé impeccable de son pagne blanc. On l’entendait venir de loin au grincement de ses vieilles chaussures. Leurs semelles tout usées le rendait bancal. Mais il refusait de porter les sandales que tous les autres réfugiés taillaient dans des pneus. Les lambeaux de cuir de ses souliers étaient tout ce qui lui restait de sa splendeur passée. »
Le serpent noir
Dans le jardin en friche que sa mère cultivait, autour de leur maison désormais vide, un serpent noir s’échappe sous ses pas. C’est un signe que lui fait ce reptile. Comme une reconnaissance, par-delà la douleur. Par-delà la mort. C’est le serpent familier que connaissait sa mère.
Avec cette histoire de serpent, Scholastique Mukasonga nous montre comment se créent des magies pour apaiser la douleur.
Ecrire
A la suite de ce séjour dans son passé enfuit, elle trouve la force d’écrire son premier livre. C’est son autobiographie, « Inyenzi ou les Cafards ». Scholastique dresse alors, à ses disparus, un « tombeau de papier ».
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Scholastique Mukasonga est une écrivaine franco-rwandaise née en 1956 dans la province de Gikongoro au Rwanda. Elle remporte en 2012 le prix Renaudot et le prix Ahmadou-Kourouma pour son roman Notre-Dame du Nil. (Wikipédia). Pour en savoir plus sur l’auteure, voir ==> ICI
[1] C’est le premier président du Rwanda indépendant. Il a été un fervent acteur de la propagande anti Tutsi qui allait conduire au génocide. Voir sur Kayibanda ==> ICI
Sur le génocide des Tutsi, voir ==> ICI
Sur « La transparence du mal » de Jean Baudrillard, voir ==> ICI
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