Covi-19. Le temps des peurs de masse. Il faut revisiter les grandes pandémies qui ont ravagé les continents dans l’histoire humaine. Pour saisir la situation actuelle dans laquelle le Covid-19, cette petite bestiole, nous a fait basculer. 

La mort, réelle ou imaginée, fait irruption dans la vie quotidienne 

Brusquement, dramatiquement, le temps se raccourcit et nous met face à la mort avec une soudaineté inouïe. Face aussi à la violence institutionnelle, qui bouscule les gestes habituels. On ne peut plus accompagner un parent mourant dans ses derniers instants. On ne peut plus suivre au cimetière, en famille, le corps du défunt.

 En Italie, c’est l’armée, dans de sinistres convois de camions militaires, qui s’occupe du corps des morts. Vers des crémations collectives décidées pour des raisons de santé publique ? Le choix du traitement du corps mort échappe à la décision des familles, des individus. Cela relève, en ces temps de pandémie, d’une décision de santé publique. 

 

La domination absolue de la pensée économique dominante est brutalement ébranlée

 La pensée dominante nous avait (presque) convaincu que seuls les critères économiques, financiers, devaient régler nos vies. Rentabilité, performance, dette, rigueur budgétaire, valeur boursière, attractivité, compétitivité [1]… Voilà les contraintes qui devaient guider nos actions et nos vies d’une façon exclusive. Le TINA de Margareth Thatcher (« Il n’y a pas d’alternative »[2]) s’imposait comme une loi d’airain. Pendant les 40 dernières années, tous les gouvernements ont adopté ces normes. Et surtout, ont cherché à plier les sociétés à ces normes. Dans les pays du Nord, le renoncement des social-démocraties à défendre les sociétés devant cette déferlante néo-libérale a permis à cette idéologie d’imposer sa logique.

 Dans la plupart des pays du Sud, les gouvernements se sont soumis aux conditionnalités des Institutions Financières Internationales selon le « consensus de Washington ». Des prescriptions inspirées par ces mêmes principes présentés comme universels. 

 

Avec les effets que l’on sait

 Démantèlement des services publics (notamment des services hospitaliers), privatisation de leurs segments les plus rentables et délabrement des autres… Au Nord comme au Sud, la même doctrine s’est imposée. Avec une capture consentie des Etats par les firmes les plus puissantes. Des firmes qui ont façonné les dispositifs fiscaux à leur avantage. Ainsi, on a vu partout monter les inégalités et le basculement dans la misère de fractions entières de populations. 

 

Et puis, Covid-19 est arrivé !

 Et il a imposé la prise en compte d’un autre champ de critères : la vie. La défense de la vie humaine. Les politiciens ont brusquement été confrontés à d’autres enjeux. Celui de la survie. La leur, d’abord. Et aussi celle des populations dont ils revendiquent la conduite. Le virus ne reconnait ni les différences de classe, ni les frontières nationales. 

 

Les mesures touchent directement chacun d’entre nous, au Nord comme au Sud 

Un brusque changement de critères dans un contexte dramatisé tant par les autorités que par la circulation des informations les plus diverses sur les réseaux sociaux. Des enjeux d’autant plus forts que nous sommes tous personnellement impactés par les ripostes à la propagation de la pandémie. Confinement sévère, fermeture des écoles, des commerces non essentiels, des frontières, modification des gestes quotidiens… maintien confus du travail dans les entreprises, mais non prise en compte des personnes « sans domicile fixe » (SDF)…

 Dans les pays du Sud, le travail dit « informel », qui touche de très larges fractions de la population, s’effectue pour l’essentiel dans la rue. Comment faire disparaitre de l’espace public ces activités de survie ? Avec quelles conséquences sur la possibilité de manger chaque jour pour des centaines de millions de familles ? Comment faire « rentrer à la maison » des populations jeunes, bouillonnantes d’énergie, de vie ? 

 

Réactions de masse 

Cette emprise directe sur les gestes quotidiens des personnes à une échelle de masse (on parle de près de 2 milliards d’être humains confinés dans le monde à la fin mars 2020) ouvre grand le champ des réflexes de masse. Peurs, croyances diverses, haines… la boite est ouverte à toutes ces réactions qui puisent une immense énergie dans la rencontre possible de chacun avec la mort. Et dans des comportements que nous pensions enfouis à jamais. L’histoire des pandémies antérieures nous le montre. 

Rumeurs, peurs de masse, recours exalté aux croyances religieuses ou magiques, désignation de boucs-émissaires…

 Au Maroc, dans trois grandes villes, des milliers d’habitants sont sortis en pleine nuit après que les autorités ont décrété l’urgence sanitaire. Ils sont sortis en invoquant le nom de Dieu. Sous une pluie battante, poussés par une force irrésistible. Bien sûr, les barbus organisés ont cherché à donner à cette poussée de peur une signification politique. Mais la peur était plus forte que tout. Plus forte que les barbus pourtant passés maîtres dans l’instrumentalisation politique de la religion. 

 

Des forces religieuses tentent de chevaucher cette peur de masse 

Ils demandent que soient ouverts les lieux de culte en défiant le confinement imposé par les autorités. Pour invoquer Dieu qui « seul peut mettre fin à cette maladie ». « Un fléau envoyé sur terre pour punir les hommes ». Les punir d’avoir courroucé Dieu ou les Dieux, selon les croyance. Évangélistes, Islamistes, Ultra-orthodoxes juifs se déchaînent face à l’Etat car ils sentent cette énergie gigantesque qui peut animer des foules. Ils tentent de capter cette force obscure. C’est l’occasion de prendre leur revanche sur les Etats sensés agir dans le champ du rationnel. 

Bouc-émissaire 

Et cette peur de masse provoque irrésistiblement la désignation de boucs-émissaires. Les étrangers, les chiffonniers, les huissiers, les pauvres, les albinos, les nomades… L’histoire nous raconte toujours la même chose. La recherche d’un responsable, facilement identifiable, pour apaiser la colère populaire.

 Au sein des réseaux sociaux aujourd’hui, des acteurs amplifient ces peurs. Les professionnels de la haine sont à leur aise, à répandre les rumeurs les plus folles. Les petits professionnels qui d’un clic cherchent à embraser la Toile. Les professionnels plus organisés dans les réseaux d’extrême droite. Et, sans doute, d’autres acteurs adossés à des Etats. Le terrain des grandes pandémies est tout particulièrement fertile pour les rumeurs.

 

Covid-19 Le temps des peurs de masse
Vielle comme le monde, la peur de la mort provoqué par l’épidémie fait émerger des boucs émissaires dans les imaginaires populaires ou dans les manœuvres des politiciens 

Et certains politiciens, en toute irresponsabilité, agitent ces peurs. Trump le premier, qui associe la pandémie à l’immigration, contre toute vérité. Le Mexique a plus à craindre en cette fin mars 2020 d’une contamination par les Etats Unis que l’inverse.

Sur le bouc émissaire, voir ==> ICI 

Rumeurs et ruées de masse

 Les politiques publiques, sensées agir dans le champ des pensées rationnelles sont affaiblies par leurs mensonges. La défiance s’installe face à des institutions politiques qui ont fait de la tromperie de masse leur façon de gouverner depuis des années. Y compris dans les décisions prises depuis le déclenchement de la crise sanitaire. 

 

Confinement ou immunité de masse ? Dépistage ou pas ?

 Derrière ces questions, des milliers de vies sont en jeu. Immunité de masse signifie de faire « la part du feu ». On laisse mourir les plus faibles et on compte sur la création, chez les plus forts, d’une résistance naturelle au virus. La Grande Bretagne, la Hollande, et la Suède ont suivi cette voie. Ces pays sont en train de revenir en arrière.

 

Voir une analyse de cette politique ==> ICI 

En France, les autorités ont fait le choix du non-dépistage de masse. A rebours des leçons qui auraient pu être tirées de l’expérience coréenne où, semble-t-il, la progression du virus a été jugulée. Pourquoi un tel choix par les autorités françaises ? Par manque de moyens ? Pour d’autres raisons ? 

En France, un traitement « miracle » a surgit dans le débat public, la chloroquine.

 Un produit porté par un chercheur à la mine atypique. Seul contre les politiciens. Contre les laboratoires pharmaceutiques. Contre les autorités médicales et sanitaires. Une polémique sur l’efficacité de ce médicament banal enfle, sans que les autorités politiques ne la maîtrise [3].

 A l’étranger, ce produit a été adopté comme traitement. Dans les villes, au Nord comme au Sud, on se rue sur ce médicament, notamment pour des automédications, y compris à but préventif.

 La situation, en France, échappe aux autorités. Des responsables politiques, médicaux, affirment qu’ils ne respecteront pas les décisions du ministre et utilisent ce médicament.

 Les autorités politiques perdent le contrôle sur cette question de santé publique dans une situation d’urgence. La peur de masse est ici cause de ces dérèglements, mais aussi conséquence. Elle a de quoi y trouver des motifs !

 

Voir Covid-19 Des questions simples pour y voir clair  ==> ICI 

Nous sommes dans une situation de peurs de masse qui peut conduire, au Nord comme au Sud, aux pires débordements

 Les autorités politiques restent empêtrées dans des hésitations où affleurent les mensonges et les enjeux politiciens, mais aussi financiers. Les laboratoires pharmaceutiques sont à l’œuvre depuis des années, à tirer les ficelles discrètes qui débouchent sur l’écriture des lois en matière de santé publique (autorisation de mise sur le marché notamment).

 Les scandales médicaux ont montré que les autorités politiques ont le plus souvent tranché en faveur des intérêts financiers et en défaveur de la santé, et finalement, de la vie. Comment avoir confiance maintenant ?

 

Laboratoires pharmaceutiques et gangs de la drogue aux USA ==> ICI 

« Nous sommes en guerre »

 Le langage « guerrier » est totalement trompeur : il donne l’impression d’une maîtrise de la situation par les autorités. Mais qui peut se sentir protégé par tant d’incompétences et de mensonges ?

 Sans parler des décisions des 30 dernières années de destruction de l’Hôpital public. De réduction du nombre de lits d’hôpitaux pour une population qui augmente et, parmi elles, la part des personnes âgées. Une politique de marchandisation de la santé qui fait fi de la vie humaine ! 

 

C’est de solidarité que les sociétés ont besoin… Et d’ailleurs, loin des politiciens, elles s’activent sur ce terrain

 Parallèlement aux mouvements de panique de masse, la solidarité se construit, à bas bruit. Entre voisins dans les immeubles. Dans les quartiers. Dans les territoires. Parmi les campagnes. L’interdiction des déplacements impose la logique de l’espace commun de proximité ! 

 

Et des idées nouvelles émergent

 Des idées qui reconnaissent le lien social comme essentiel pour vivre ensemble, tout simplement. L’entraide comme réflexe élémentaire. Des idées qui rétablissent de nouvelles hiérarchies sociales. Les infirmières, les aides-soignants, les médecins. Mais aussi les caissières qui affrontent nos humeurs lors de nos approvisionnements. Les conducteurs des transports en commun. Les éboueurs.

 Et tous ceux qu’on ne voit pas. Les gaziers qui nous fournissent le gaz. Les électriciens qui maintiennent les accès au courant électrique. Mais aussi les salariés des maisons de retraite. Les personnes en charge des soins à domicile pour les personnes âgées, pour les handicapés… Ceux-là ne sont pas, par nécessité, dans les « gestes barrière » et la distance nécessaire !

 

Tiens, on ne parle plus des traders ! Ils restent actifs en télétravail ? 

Des idées pour l’immédiat. Mais qui nous inspirent pour construire un autre monde

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[1] Le langage est perverti : on parle « d’industrie financière » ! Le mot « investissement » désigne de plus en plus des placements boursiers ! Au sein même de cet envahissement de la pensée économique, le vocabulaire de la finance a pris le dessus !

[2] “There Is No Alternative” (TINA).

 [3] Lors d’une mission professionnelle au Burkina Faso, en mars 1994, j’ai pris de la Nivaquine (autre nom pour la Chloroquine) pour prévenir le paludisme pendant plusieurs semaines avant la mission, pendant la mission et après. Sans examen préalable.

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Voir l’interview du Pr André Grimaldi sur les politiques hospitalières ==> ICI