Texte d’introduction aux Actes du colloque international :

 

« Systèmes alimentaires territorialisés (SAT) : quelle stratégie pour un développement durable ? », Colloque d’Agadir, 29-30 novembre 2017

 

 

Covid-19 : des opportunités pour d’autres politiques publiques en matière de systèmes alimentaires. Les actes de ce colloque sont publiés alors que la planète suspend son souffle, paralysée par le virus Covid-19 que la mondialisation effrénée a fait circuler tout autour de la planète à une vitesse fulgurante. Cette pandémie ainsi que le confinement instauré au Nord et sa difficile projection au Sud (peut-on confiner la pauvreté ?) constituent un événement inouï à cette échelle. Un événement qui ouvre un moment de sidération, de drame. Et en même temps propice à des prises de conscience et des changements de comportement. Un moment qui peut catalyser des évolutions en cours qui peinaient à se frayer un chemin jusqu’alors.

 

En matière d’alimentation, nous sommes là aux conséquences extrêmes des contradictions créée par un système basé sur l’hyper-mondialisation des échanges et les excès des pratiques agro-industrielles, lorsqu’elles ne sont guidées que par la quête de maximisation du profit financier.

 

D’autres politiques publiques sont possibles

 

La recherche de réponses durables à ces trajectoires a justement occupé l’essentiel des travaux de ce colloque. Notamment en matière d’instauration de systèmes alimentaires territorialisés. C’est vers la mise en œuvre d’autres politiques que nous devons concentrer nos efforts. Les actes de ce colloque y contribuent.

 

La pandémie et les mesures pour y faire face provoquent des effets multiples, dans le réel et dans les perceptions

 

La maladie, ainsi que le confinement et ses variantes selon les pays, entrainent des conséquences dont, à ce stade, on n’a répertorié ni la diversité ni l’ampleur. Parmi les effets directs, on constate l’apparition de pénuries de matériel médical et d’aliments de base. Mais aussi un raccourcissement des circuits d’approvisionnement en produits alimentaires et l’intervention de l’État pour tenter de limiter la flambée des prix des produits de première nécessité. On a en outre constaté, au début du confinement, le déplacement à la campagne de millions d’urbains de par le monde.

 

Systèmes alimentaires territorialisés - Actes du colloque d'Agadir

 

La nécessaire autonomisation des productions directement liées à la vie

 

La situation sous pandémie provoque des effets sur les perceptions. A commencer par le questionnement de l’extension sans limites de la marchandisation de secteurs de l’activité humaine, et d’abord, des secteurs touchant à la vie même. Marchandisation mondiale de la santé, mais aussi des systèmes alimentaires. Dans les deux cas, la limitation physique des échanges dans la période de lutte contre la pandémie pose la question de la nécessaire autonomie des pays, des territoires, par rapport à la production lointaine de principes actifs de médicaments, de matériel médical, ou de produits agricoles.

 

Des échanges internationaux préservant l’agriculture familiale

 

Autonomie pour augmenter la sécurité alimentaire ne signifie pas autarcie, faut-il le rappeler. Les épices ont constitué l’une des premières bases du commerce lointain. De ce point de vue, la relation commerciale que l’Europe cherche à établir avec l’Afrique à travers les APE (accords de partenariat économique) basés sur des échanges entre l’UE et chacun des pays du Continent, livre le commerce de produits agricoles aux logiques marchandes, y compris dans leur dimension spéculative. Avec, en Afrique, des conséquences majeures en termes d’exode rural et d’émigration pour partie vers l’Europe. L’incohérence des politiques des Etats du Nord est totale à vouloir « agir sur les causes profondes de l’émigration » d’une main. Et soutenir, de l’autre main, la spécialisation internationale défavorable à l’économie familiale et à la transformation locale à l’échelle artisanale.

 

A l’opposé de ce schéma, l’augmentation de la sécurité alimentaire et le renforcement d’une agriculture paysanne en réseau avec l’artisanat et les PME agroalimentaires pourraient être soutenus par des échanges effectués selon des contrats d’achat et d’approvisionnement pluriannuels tels que préconisés par l’IPEMD dans le cadre du projet de « Verticale Afrique-Méditerranée-Europe ». Nous pensons, par exemple, à la région du Nord de l’Afrique, première importatrice de céréales au monde.

 

Une agriculture paysanne riche en emplois

 

Il existe des millions d’emplois vacants dans l’agriculture. Une partie des jeunes souhaite rester vivre dans le monde rural. Pour peu que des services publics de qualité existent (école, santé), et que le travail apporte un revenu supérieur à celui de leurs parents. Car leurs besoins en biens marchands se sont accrus (transports, médicaments modernes, téléphone portable…). Pour cela, ils ont besoin d’avoir des débouchés locaux pour leur production. Et la territorialisation des systèmes alimentaires offre une sécurité accrue à l’augmentation durable de leurs revenus.

 

Des filières agricoles et agroalimentaires respectueuses de l’environnement,

 

reliant les savoirs traditionnels et les apports actuels de l’agroécologie respectant les éléments naturels, sols, végétaux, animaux et pratiquant un usage réduit en produits chimiques et en énergies fossiles. Une démarche qui peut s’étendre à l’hydro-agro-écologique. Les régions méditerranéennes où les précipitations pluviales sont désormais plus rares et plus violentes nécessitent la préservation des sols et une rétention de l’eau à l’échelle des bassins versants. Ces opérations sont réalisables avec une forte intensité en travail et un très faible investissement en capital. « Retenir l’eau pour retenir les jeunes hommes et femmes dans l’agriculture et l’espace rural », constitue une orientation nécessaire pour atténuer les effets du changement climatique, de la perte de biodiversité. Mais aussi de l’exode vers des villes surpeuplées et souvent synonymes de chômage.

 

Un retour à la campagne qui s’amorce ?

 

Au Maroc comme partout dans le monde, les mesures de confinement ont provoqué un mouvement de retour vers les campagnes. Ce mouvement n’a pas souvent été apprécié des villageois, car il augmente les risques de propagation du virus. Mais il entraine aussi une remise en exploitation par certains jeunes des champs laissés en friche. Et le retour à la terre de jeunes urbains instruits, s’il se stabilise à une échelle significative, peut changer l’image du travail agricole. Faire des études ne signifie plus systématiquement aller à la ville et travailler dans un bureau. La Grèce en crise, après la crise de 2009, a connu un tel mouvement.

 

Une alimentation favorable à la santé

 

Depuis l’antiquité, on connait le lien entre qualité de la nourriture et santé. L’accès accru à des productions de proximité peut favoriser l’intérêt pour les régimes alimentaires liés aux régions, aux territoires. Avec leur diversité et leur richesse nutritionnelle et culturelle. La pandémie met la santé en exergue. Le lien avec une alimentation « patrimoniale » de qualité, mieux équilibrée, moins animale, issue de l’agroécologie est possible.

 

La modernité est questionnée,

 

pour n’avoir pas tenu ses promesses. Et notamment pour avoir être perçue comme éloignant du territoire les hommes et les femmes qui l’animent. « La modernité, c’est quand on ne connait pas l’homme qui a semé la graine, celui qui a fauché le blé, celui qui a moulu le grain, celui qui a fait cuire le pain que nous mangeons ». Entendu dans une joute poétique (Ahwech) tenue lors d’une fête de mariage en aout 2015 de deux jeunes de Perpignan, nés en France de migrants originaires d’un village de l’Atlas marocain.

 

Ancré et Ouvert

La promotion de systèmes alimentaires territorialisés ne signifie nullement le renferment sur l’identité. On peut faire le choix d’être ancré et ouvert à la fois. Ancré sur nos territoires, leurs richesses, leur diversité, leur contenu en éléments culturels. Mais ouverts sur les autres, sur la nature, sur le monde. En un nouveau rapport au monde qui élargit les espaces de solidarité.

 

Jacques Ould Aoudia

 


 

Voir les actes complets ==> ICI. On lira notamment un article d’Abderrazak El Hajri sur l’expérience de l’association Migrations & Développement en matière d’agroécologie.

Voir « Société, pouvoir et alimentation. Nourriture et précarité au Maroc précolonial » de Bernard Rosenberger ==> ICI