« Brothers » de Yu HUA (note de lecture). Une fresque picaresque de la vie d’un bourg agricole quelque part dans la campagne chinoise. Nous sommes autour des années 1960 pendant la Révolution Culturelle. Puis dans le tourbillon des réformes d’ouverture économique du début des années 1980.

 

« Brothers » : deux frères pris dans les tourments de l’ouverture de la Chine au capitalisme

 

Deux frères orphelins. Li Guangtou et Song Gang, liés par leur abandon après la disparition de leur père battu à mort pendant la Révolution Culturelle comme ‘ancien propriétaire terrien’. Et de celle de leur mère, morte épuisée et désespérée par la mort de son mari. Ces deux frères vont suivre des destins divergeant dans la Chine des bouleversements des années 80. Un seul d’entre eux, Li Guangtou, bravant toutes les traditions (mises à mal par le ‘socialisme’) saisira les opportunités de l’ouverture économique pour s’enrichir énormément. Tandis que l’autre, Song Gang, demeurera dans sa condition de pauvre et d’humilié.

 

Une vision sombre de la société chinoise. Où les relations sociales sont d’une cruauté absolue, sans rémission. Des relations sociales mises au paroxysme de leur violence pendant la Révolution Culturelle.

 

La primauté du statut se durcit sous le régime « socialiste »

 

Une société où l’omniprésence du statut, caractéristique fondamentale des sociétés du Sud, se pare du discours socialiste pour se durcir encore. Dans un formalisme exacerbé, écrasant les plus faibles. De fait, la prééminence du statut se maintient sous le régime communiste. Mais il s’affranchit des assignations séculaires. Désormais, l’arriviste de toute origine sociale peut, grâce au Parti et à ses capacités d’opportunismes, grimper dans la société. Il peut le faire par exemple comme directeur d’atelier ou d’usine, et s’imposer avec brutalité par son nouveau statut. Sans égards pour les plus pauvres.

 

« Brothers » : Révolution Culturelle (années 60) et Réformes économiques (années 80)

Pendant la Révolution Culturelle (1966-1968) (文革 wéngé), les anciennes assignations (comme celle de propriétaire terrien par exemple) étaient stigmatisées. Elles faisaient l’objet de toutes les violences en une ‘justice populaire’ d’une extrême cruauté. Une « justice » nourrie d’arbitraire et d’impunité.

Après le lancement des Réformes autorisant l’enrichissement personnel (1978), l’arrivisme des plus habiles et des plus cyniques se déploie dans le domaine économique. Mais ce passage à l’économie capitaliste s’effectue dans le maintien de l’imaginaire social du statut ! Un imaginaire traditionnel mâtiné de ‘socialisme’.

 

D’une société de subsistance à une société d’accumulation

 

On assiste au passage de la société rurale de subsistance, où la faim n’est jamais loin des villageois, à la société d’accumulation et de consommation. Une société où l’argent coule à flots; Où la moindre entreprise se développe à une vitesse fulgurante. Où les opportunités s’ouvrent dans de multiples domaines. Les hommes sont pris dans cette aventure. Accès aux biens de consommation, voyages dans les villes et même à l’étranger, information mondialisée. Les plus actifs se saisissent, à leur façon, des opportunités qu’une croissance annuelle de 10% créé à une échelle inégalée.

 

Le concours des « Miss vierges »

 

En un récit d’où n’est pas absente la caricature, le roman décrit l’organisation d’un concours national de Miss vierges dans le bourg des deux frères. Ce concours est l’occasion de décrire le mouvement de marchandisation de la société. Laquelle procure des opportunités d’enrichissement, fondées sur le jeu avec les croyances des ruraux crédules. Ceux-ci demeurent dans l’opposition universelle d’avec les urbains et la modernité.

 

L’envahissement des « marques » pour rehausser le statut

 

L’imaginaire du statut est toujours présent. Réels ou le plus souvent inventés, ‘les titres font l’homme’. Ils se combinent avec les noms des marques, si possible étrangères (un costume Armani par exemple). Désormais, les produits ont des ‘titres’ (les marques) qui ont le pouvoir de rehausser la valeur de celui qui en est le propriétaire. Ceci est aussi valable en Occident, à grande échelle. Et les jeunes s’y laissent prendre tout particulièrement.

 

Le campagnard aux bains publics dans la ville

 

Des scènes et situations burlesques et cruelles jalonnent le récit. Des scènes que l’on pense tirées de fait divers réels. L’une raconte le passage de Song Gang et d’un de ses acolytes dans les bains publics d’une grande ville. Le frère a été entraîné hors de son bourg pour faire fortune dans les régions côtières en vendant des ‘produits d’hygiène’. C’est ainsi qu’ils nomment par euphémisme les poudres de perlimpinpin qu’ils proposent aux passants (pour soigner telle ou telle maladie). Ils se glissent tous deux dans le bain, en quête d’un moment de quiétude… Et se retrouvent terrorisés par les agissements d’un colosse accompagné d’un énorme chien puissant et agressif. Imaginez la scène des deux campagnards nus, pourchassés par un chien déchaîné, dans les pièces chaudes du bain. En face, un maître tout à sa jouissance de voir leur humiliation !

 

Le vendeur de poudre à perlinpimpim pour faire pousser les seins des femmes

 

Dans un autre passage du livre, Song Gang pense faire fortune en vendant un produit sensé augmenter la poitrine des femmes. Pour cela, il va se faire greffer des seins pour illustrer les vertus de sa potion. Son opération lui procure les pires douleurs. Il les endure en pensant à la richesse qu’il ramènera à sa femme restée au bourg.

 

Autre épisode, la vente, lors du concours des Miss vierges, d’hymens artificiels sensés redonner aux femmes leur virginité perdue, qualité hautement nécessaire pour concourir ! A noter que le produit venant d’Europe valait deux fois plus que son imitation chinoise.

 

Le Parti Communiste très peu présent dans la trame du roman

 

Les ruraux sont présentés comme grossiers et les hommes très tournés vers le sexe sur un mode brutal. Curieusement, le Parti communiste chinois est peu présent du paysage dans ce long roman. De même la politique de l’enfant unique et le système du Houku qui distingue les droits des urbains de ceux des ruraux, ceux-ci ne pouvant bénéficier des avantages sociaux des habitants des villes.

 

Voir la lune ! !

 

Par une malicieuse pirouette, le texte commence et se clôt sur des visions de lunes. Au début, la narration s’ouvre sur un incident cocasse. Li Guangtou adolescent est surpris dans les latrines communes du village pendant qu’il se penche pour voir les fesses des femmes. Par chance, il a pu voir, avant d’être découvert, le postérieur de la plus jolie femme du bourg. Il en tirera profit aux dépends de la curiosité lubrique des hommes du village en se faisant offrir un riche plat de nouilles… Contre la description dudit postérieur. Tout à la fin du texte, le même Li Guangtou, le frère devenu richissime potentat local, prépare un voyage en satellite russe au cours duquel il aura tout le plaisir d’observer de plus près… la lune.

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Et sur une analyse du système chinois « Capitalisme et Empire » ==> ICI