Réponse à une question de Léa
Léa, 20 ans, m’interpelle sur mai 68 : « Qu’en est il sorti ? Que reste-t-il de ce mouvement dont on parle tant ? «
Je lui répond que ce moment d’histoire de la société française a accéléré l’émergence de quatre mouvements d’idées qui ont modifié en profondeur les imaginaires sociaux à l’oeuvre aujourd’hui.
Le mouvement marxiste dans son déclin
J’ai participé, de 1968 à 1978, à cette aventure dans les rangs de l’organisation trotskiste LC puis LCR. Sans regrets pour mon engagement, pour tout ce que j’ai appris sur le monde sur l’histoire du mouvement ouvrier, sur l’analyse politique des rapports de force, sur le jeu des acteurs dans les organisations. Et sur l’espace de la ville le temps des manifestations… Mais aussi sur une vision mondiale des enjeux politiques actuels. Et pour la camaraderie, pour les rencontres, pour l’ouverture internationale, pour la défense des causes perdues. Avec le sérieux regret d’avoir été aveugle sur la montée des vrais dangers : la pensée libérale qui allait s’emparer du monde progressivement à partir de la fin des années 70.
Le mouvement sociétal-libertaire
C’est, parmi les rejetons de mai 68, l’un des plus visible. Un mouvement largement représenté dans sa version soft par les couches moyennes urbaines instruites, les lecteurs de ‘Libé’ (Libération). Un mouvement qui a largement donné ses voix à la social-démocratie, pendant un moment, mais qui peut basculer vers la droite pourvu qu’on lui laisse toujours plus de libertés individuelles. La moyenne bourgeoisie ‘branchée’, qui fait partie des gagnants de la mondialisation (sur un mode mineur), a soutenu la libération de la femme, des homosexuels, le PACS, le mariage pour tous… C’est ce courant qui a accéléré le dé-tricotage sociétal de nos sociétés : toujours plus de libertés, toujours plus de droits, mais pas un mot sur les responsabilités, sur les devoirs associés à ces droits. Et on détourne la tête des droits sociaux !
Le mouvement néo-libéral qui a fini par triompher,
après avoir construit une base intellectuelle (Hayek, Friedman), conquis des leaders politiques (Thatcher, Reagan, puis bien d’autres), imposé une forme d’Etat capturé par les grandes firmes, détruit les pouvoirs des Etats sur leurs espaces territoriaux, ruiné les finances publiques en socialisant les pertes des banques et en ignorant l’évasion fiscale massive des grandes entreprises. Il a fallu aussi mobiliser pour cela des relais d’opinion afin de maintenir une démocratie formelle (élections, pluripartisme, liberté plus ou moins contrôlée de la presse, liberté de création d’organisations…). Les économistes comme producteurs d’idéologie ont été dans leur immense majorité les pourvoyeurs de fumée légitimant ce mouvement, apportant des « justifications scientifiques » à la dérive des inégalités. C’est ce courant qui a largement entamé le dé-tricotage social de nos sociétés, avec ses relais institutionnels à l’OCDE, au FMI, à la Banque mondiale…. Même si, depuis quelques temps, ces organisations tirent le signal d’alarme sur la montée dangereuse des inégalités.
Un rejeton tardif, indirect et tenace : l’extrême droite xénophobe
Un autre des rejetons de mai 68 : un mouvement puisant, au sein de chaque pays européen dans ses racines historiques profondes, et trouvant dans les exclus de la mondialisation de larges relais au sein de chacune des sociétés. La désignation de l’étranger comme cause de tous les maux est un phénomène classique qui fonctionne à plein régime avec l’effondrement de la pensée progressiste et le triomphe du libéralisme pourvoyeur d’exclusion sociale et identitaire.
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