« ‘Beaux seins belles fesses’ ‘Cent ans de solitude’ … et l’académisme » Une histoire qui part du titre d’un ouvrage de Mo Yan : « Beaux seins belles fesses »
Un livre qui nous fait franchir la ligne qui sépare Sud et Nord
Quel titre Mo Yan a choisi pour son livre ! Pas facile à glisser dans une conversation mondaine pour briller dans un salon. Pas confortable à lire dans le métro en exhibant la couverture portant un tel titre… Et pourtant, un livre fascinant. Un de ces livres si rares qui nous fait passer derrière le miroir. Derrière la ligne qui sépare les mondes développés et non développés. Le Nord et le Sud. Un des quelques livres, avec « Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marques, qui soulève un coin du voile pour nous faire pénétrer dans la vision du Sud. Dans les croyances du Sud.
Difficile d’en parler avec les mots, avec les concepts du Nord
Comment dire autrement que la rationalité change de nature ? Puisque les êtres humains peuvent devenir des personnages surnaturels, les animaux venir habiter les hommes…
Une aventure académique dans la France du XXI° siècle
En septembre 2012, j’envoie un article pour la « Revue Tiers Monde » [1] sur les mouvements populaires dans les pays arabes qui ont éclot en Tunisie en 2011, à la lumière de l’expérience turque. Je fais un paragraphe entier sur « Neige », un roman d’Orhan Pamuc, car il illustre mon propos.
Mon manuscrit est envoyé à un referee de trois personnes. L’un d’entre eux, d’une façon anonyme comme il se doit pour un referee, se déchaîne contre moi. Il concentre sa rage sur le paragraphe en question au motif que je ne respecte pas les règles de publication académique puisque je n’utilise pas le langage des sciences sociales. Voici ce que je lui réponds, par le truchement de la Revue puisque je ne le connais pas.
« La seconde partie est, nous le reconnaissons, peu classique dans un texte de ce type. Elle résulte d’un parti pris sur les sources d’information concernant le fonctionnement des sociétés. Pour avoir lu des centaines d’articles académiques et de rapports provenant d’institutions économiques sur le développement, nous maintenons que certains textes littéraires peuvent apporter une connaissance en profondeur du fonctionnement des sociétés. Notamment celles du Sud qui sont toujours abordées, dans les textes savants, avec les outils conceptuels forgés au Nord. Nous revendiquons donc ces intrusions dans la pensée du Sud par le biais de la littérature.
A titre d’exemple, nous citons « Things Fall Apart » (« Le monde s’effondre ») de Chinualumogu Achebe (1958). « Quatre générations sous un même toit » de Lao She (1940-42). « Cent ans de solitude » de Gabriel García Márquez (1965). « La trilogie du Caire : Impasse des Deux-Palais, Le Palais du désir et Le Jardin du passé » (1987-1989) de Naguib Mahfouz. « Beaux seins, belles fesses » de Mo Yan (2004). « L’Immeuble Yacoubian » de Alaa al-Aswani (2002). « Le Poids des secrets » (2005), « Au cœur du Yamato » (2006), « L’Ombre du Chardon » (2015) d’Aki Shimazaki; etc… »
Sur ces faits, Mo Yan obtient le Prix Nobel de littérature (je n’y étais pour rien, croyez-moi).
Depuis cet épisode académique, je pourrais ajouter » Le Fils du pauvre » de Mouloud Feraoun (1950). « Le Sommeil de l’esclave » de Mahi Binebine (1992). Mais aussi « L’équilibre du monde » de Rohinton Mistry (1995), cet écrivain indo-canadien, qui écrit des pages somptueuses sur la pauvreté dans l’Inde des années 80.
Finalement, l’article sera publié sans modification notable de ma part
Avec une note de bas de page revendiquant ce détour par la littérature et citant les auteurs dont Mo Yan et son titre !!
& & &
[1] « Les poussées populaires des sociétés du pourtour méditerranéen accoucheront elles d’une nouvelle modernité ? Réflexion à partir du cas turc », Revue Tiers Monde, n°212, oct-dec 2012.
Sur l’auteur Mo Yan, voir==> ICI
Sur « Le sommeil de l’esclave » de Mahi Binebine, voir ==> ICI
Voir aussi la note de lecture sur « L’équilibre du monde » ==> ICI
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1 Commentaire
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[…] Tout d’abord, je salue avec plaisir le plaidoyer de Daniel Rivet en faveur de la littérature comme source de connaissance, pour l’historien qu’il est. Cette position rejoint la mienne. Depuis longtemps, je plaide pour que l’on puisse accorder à certaines œuvres littéraire un statut de porteur de connaissance sur la vie des sociétés. « Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez nous dit beaucoup sur la vie et l’imaginaire des sociétés d’Amérique Latine. De même « L’immeuble Yacoubian » d’Allaâ El Aswani sur l’Egypte et tout particulièrement de sa capitale, Le Caire. Pour ne citer que ces deux exemples. Voir à ce sujet « Beaux seins, Belles fesses et l’académisme » ==> ICI […]