e Pingouin » d’Andreï KOURKOV. Un magnifique jeu littéraire structure ce roman. Un roman bâti sur une idée saugrenue. Le héros Victor accepte de recueillir un des manchots du zoo de Kiev, qui ne peut plus entretenir ses animaux captifs. Il vit avec lui une vie triste. Dans un deux pièces triste. Situé dans un quartier triste. Nous sommes au milieu des années 1990 en Ukraine. Un pays déchirée par sa relation pesante avec la Russie, après que l’empire soviétique s’est effondré. La transition vers un système libéral est portée par des apparatchiks qui combinent méthodes mafieuses et violence bureaucratique opaque.

Victor est un écrivain raté. Il ne parvient pas à écrire le moindre texte qui se tienne. Mais, un jour, il lui vient une étrange proposition.

Ecrire par avance des nécrologies d’hommes en vue

C’est la proposition qui arrive d’un des principaux quotidien du pays. Il reçoit du directeur des listes de personnalités avec des indications précises à reporter dans ces nécrologies. Ce que Victor fait avec brio. Le travail afflue régulièrement, et, avec lui des revenus non moins réguliers.

La famille bricolée

Victor tente de rompre sa solitude, avec, à ses côtés Micha, son pingouin dépressif. C’est l’hiver. Le Dniepr est gelé. Victor, un ami policier et Micha vont se promener sur la glace. Micha est dans son élément. Il plonge avec bonheur dans les trous faits sur la surface gelée du fleuve.

Arrive Sonia, une fillette vive et espiègle, qu’une connaissance rencontrée quelques jours avant lui a confié. Sonia et Micha s’entendent à merveille. Le père de Sonia disparait. Il faut alors à Sonia une nounou pour s’occuper d’elle au quotidien. Son ami policier lui présente sa jeune nièce, Nina. Celle-ci va prendre à cœur sa fonction auprès de Sonia.

« Le Pingouin » d’Andreï KOURKOV (couverture du livre)

Le groupe formé par Victor, Sonia, Nina et Micha le pingouin se constitue dans la vie de tous les jours. Victor et Nina se mettent en ménage, sans élan, sans amour. Comme par une triste nécessité. Les nuits avec Nina réchauffent un peu le cœur de Victor.

Vue à hauteur de ses 5 ans, Sonia dessine la famille au complet : Victor le papa, Nina la maman, elle, Sonia l’enfant, et Micha le pingouin. En promenade dans les parcs de la ville. La vie suit son cours, les commandes de nécrologie continuent d’arriver.

Mais arrivent en même temps des signes inquiétants

L’auteur installe progressivement une trame mystérieuse et effrayante qui sert de fond au récit. Le directeur du journal lui demande de prendre le large quelque temps pour se protéger. De quoi au juste ?

Victor découvre que les nécrologies sont progressivement publiées, à mesure que meurent les personnages. Jusque-là, tout est normal. Mais les morts surviennent par assassinat. Pourquoi ? Par qui ? Le mystère s’épaissit dans le drame. Mais on lui assure qu’il ne risque rien… s’il prend quelques précautions.

Pour s’éloigner de Kiev, il va passer le réveillons du jour de l’an dans la datcha de son ami policier. Nous sommes dans un lieu réservé à la nomenclature policière. Mais, là aussi, de graves évènements suspects surviennent.

La peur s’installe. Mais peur de quoi ?

Rien ne vient donner corps à cette peur. Et c’est ce qui fait grandir l’inquiétude que l’auteur réussit à faire passer au lecteur, à mesure que l’on progresse dans la lecture.

L’inquiétude se forme avec l’incapacité de Victor -et du lecteur- à saisir la nature même du danger qui rôde. On sent confusément, derrière une menace non définie, la violence du pouvoir. D’une puissante conspiration aux contours diffus. Où se mêlent hommes politiques et mafias, réunis par la corruption et les affaires de mœurs. Tout est dit à demi-mots, simplement évoqués. Rien n’est précis dans l’écriture du roman.

L’argent, le pistolet, l’alcool, la cuisine …

L’affaire est confuse, mais elle est importante. Très importante. La preuve ? Elle mobilise des fonds élevés. Victor reçoit de l’argent. Beaucoup d’argent. Notamment en provenance du père de Sonia qui va disparaitre, assassiné. Il a sans doute appartenu à cette organisation aussi puissante que discrète. Il en est mort. Non sans avoir donné une épaisse liasse de dollars pour l’entretien de Sonia, et… un pistolet à Victor. Pour quel usage ? Cet objet de mort, lourd et froid, participe du climat d’incertitude et de peur que l’auteur installe.

L’alcool ? Tout est occasion pour boire. Seul. Devant sa feuille blanche glissée dans la machine à écrire. Pendant les nuits d’insomnie… Avec des amis. Avec Nina. De la vodka. Du vin. De la vodka. Entre ces verres, du café. Et encore du café.

La plupart des scènes intérieures se situent dans la cuisine de l’appartement exigu qu’occupe Victor avec Sonia, Nina et Micha. Il y reçoit ses visiteurs. Y partage alcool, café et thé. On pense au rôle central de cette pièce dans la description de la Russie post-soviétique que fait la sociologue Svetlana-Alexievitch dans « La fin de l’homme rouge », dont on trouvera une note de lecture ==> ICI

… et la solidarité

Mais Victor se montre généreux quand Pidpaly fait appel à lui. C’est le scientifique du zoo qui a été licencié quand on a dispersé la population de manchots qu’il suivait. Le vieil homme est malade. Et triste d’avoir perdu ses objets d’étude dont il se sentait proche. Y compris de Micha qu’il a bien connu. Il a accumulé des centaines d’observations sur ces animaux. Mais qui s’en soucie aujourd’hui ? Victor est sincèrement solidaire. Plus largement, les relations décrites dans le roman entre les personnages sont bienveillantes, aidantes, chaleureuses.

Pidpaly s’est mobilisé pour soutenir le projet d’établissement d’une base scientifique ukrainienne en Antarctique.

Micha le pingouin entre dans le scénario funeste

Faire des enterrements « avec pingouin » devient à la mode dans le milieu de la mafia qui enterre ses morts dans un rituel somptuaire. Victor y est invité avec Micha. Il reçoit à chaque enterrement, une somme importante et en devises. 1000 dollars.

Il se retrouve, avec son animal, dans ces assemblées d’hommes lourds. Qui arrivent en de lourdes berlines de marque étrangère, et costumes sombres. Des hommes massifs. A la coupe rase et aux propos rares. Qui respirent la violence et le viol des lois et de tout ce qui peut être violé.

On comprend que ces hommes font partie du scénario funeste. Mais à quelle place ? Et qu’elle est celle qui a été donnée à Victor dans ce système ? De lui et de son pingouin ?

Fin de partie

Victor comprend progressivement qu’il devra disparaitre avec la fin du rôle qu’on lui a attribué dans cette sinistre pièce.

Il provoque une rencontre avec l’homme chargé par la direction du quotidien de prendre sa suite comme rédacteur de nécrologie ! Et l’une de ses premières taches, est d’écrire celle de … Victor !

D’autres épisodes agitent la « petite famille ». Toujours aussi loufoques et invraisemblables. Notamment quand Micha le pingouin attrape une méchante grippe. Une grippe qui dégénère et va nécessiter une greffe de cœur !

Pirouette de la chute du livre

L’histoire trouve sa fin d’une façon aussi inattendue qu’invraisemblable. Victor va partir loin, en Antarctique. Sans Micha le pingouin. Il laisse Sonia, Nina, Micha et toute la sombre organisation qui a décidé qu’il était allé au bout de son rôle. Dans cette pièce dont il ne connaissait à peu près rien.

Invraisemblable et pourtant…

La force de ce récit est paradoxalement son invraisemblance. Les indices instillés au fur et à mesure peinent à dessiner un scénario plausible. Et pourtant, malgré son côté absurde, saugrenu, on se laisse prendre par une inquiétude sourde, traversée de scènes cocasses, pleines d’humour. On est pris dans le suspense du dénouement de l’histoire.

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Andreï Iourievitch Kourkov (en russe : Андрей Юрьевич Курков ; en ukrainien : Андрій Юрійович Курков) est un écrivain ukrainien de langue maternelle russe né en 1961 à Boudogochtch, oblast de Léningrad, URSS. Il vit depuis son enfance à Kiev où il termine ses études à l’Institut d’État de pédagogie des langues étrangères en 1983.

Il affirme savoir parler sept langues étrangères. Et a exercé différents métiers comme rédacteur, gardien de prison (à Odessa où il rédige ses premiers récits) et caméraman. Il a rédigé une trentaine de scénarios de films et de documentaires.

Ses romans se caractérisent par un regard acéré et ironique sur la vie dans les sociétés postsoviétiques. On y trouve quantité de situations absconses de la vie quotidienne russe ou ukrainienne qui, déformées à l’extrême, deviennent surréalistes. Cependant, Kourkov pose un regard toujours grave et tendre sur ses personnages.

Il utilise souvent le registre de la fable animalière qui lui permet de dépeindre avec humour la vie politique et sociale des années postsoviétiques. D’après Wikipédia. Pour en savoir plus, voir ==> ICI

 


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