« Le restaurant de l’amour retrouvé » de OGAWA Ito. L’auteure nous prend la main pour cheminer aux coté de Rinco. Une jeune femme qui découvre, en rentrant chez elle, qu’il ne reste plus rien dans l’appartement. Tout est parti avec son petit ami, son amoureux, un jeune indien à la peau brune qui sentait les épices de son pays. Elle en perd la parole ! Rinco travaillait dans un restaurant turc. Lui, dans un restaurant indien.
Elle quitte immédiatement ce lieu vide, et décide de rentrer chez sa mère, par un long trajet en bus. Elle rejoint le village où elle est née. Près des « Deux mamelons », deux monts évocateurs, entre lesquels on profite de la hauteur pour faire du saut à l’élastique. Elle retrouve ce village, qu’elle a quitté il y a 10 ans, sans y retourner. Là où elle a vécu des relations difficiles avec sa mère qui tient le bar du village.
La jeune Rinco se met en tête d’ouvrir un restaurant. Elle investit ce lieu à son image. Avec peu de moyens et une forte détermination.
Sa mère l’a accueillie froidement
Elle monnaye toute son aide, et ne l’accepte chez elle qu’en échange de son engagement à entretenir Hermès. Un joli cochon, assez élégant pour un cochon, que la mère élève dans sa maison. Elle ne le nourrit qu’avec des légumes biologiques qu’elle cultive en désordre dans son jardin.
L’amour de la nature
Rinco, la jeune femme, retrouve avec un immense plaisir la nature après tant d’années passées en ville. Le figuier aux larges branches auprès de qui elle se confiait. Le hibou dans le grenier qui sonne, chaque jour, les heures de minuit. Les odeurs des plantes. Le ruisseau et les sources qui donnent une si bonne eau… Le soleil qui se reflète dans l’eau.
Et Kuma, un homme qu’elle a connu quand elle était enfant, au village. La femme de Kuma, une belle Argentine du nom de Signorita, vient de le quitter emmenant leur fille. Le villageois va aider Rinco à installer son restaurant, à qui elle décide de donner le nom de « L’Escargot ». On y mangera en prenant tout son temps. Il n’y aura pas de musique pour pouvoir entendre les bruits de la nature environnante…
En attendant que le restaurant ouvre ses portes, elle devient « copine » avec Hermès qu’elle nourrit avec attention.
Le récit se poursuit…
Un récit loufoque, échevelé, ébouriffé, comme Rinco qui a coupé à grands coups de ciseaux ses longs cheveux. Un désordre qui contraste avec le soin mis à décrire les réflexions de la jeune femme quand il s’agit de cuisine. Et des plats qu’elle élabore avec un immense raffinement.
Elle ne parvient toujours pas à parler. Mais elle s’en accommode, avec son carnet sur lequel elle note les phrases essentielles à prononcer. Un carnet qu’elle montre à ses interlocuteurs. Quand à Hermès, elle continue de lui préparer chaque matin son pain aux glands et autres graines.
La cuisine comme un art
Elle attache une immense importance aux gouts. Aux parfums des aliments. A leur composition savante pour qu’émerge la saveur des plats. En une combinaison de nuances subtiles qui composent la grande restauration. Elle tient cet amour de la cuisine de sa grand-mère maternelle. Sa mère ? Elle ne aime pas. Qui l’a faite souffrir. Qui ne l’a jamais prise dans ses bras.
Rinco, toujours aidée par Kuma, va chercher des plantes sauvages dans la forêt. Des grenades, des champignons rares, des châtaignes, des herbes aromatiques… Et des glands pour Hermès.
« Le restaurant de l’amour retrouvé » de Ogawa Ito
Dans le village, dans la région, il commence à se dire qu’aller manger à « l’Escargot » donne des chances aux amours. Aux amours qui naissent. Qui se sont oubliées et qui renaissent….
Rinco aime les gens. Elle les aime à travers la cuisine qu’elle mitonne avec un soin immense. Une attention à l’autre. Pour deviner ce qu’il va aimer. Elle entre en relation profonde avec l’autre par la cuisine qu’elle mitonne avec le plus grand soin. Toujours en relation avec ce qu’elle imagine du désir de l’autre !
Son cœur est immense. Elle ne compte pas sa peine au travail. D’ailleurs, ce n’est pas une peine, mais un plaisir. Il y a de la joie chez cette jeune femme si déterminée à faire de la cuisine un plaisir à partager !
Des histoires abracadabrantes, sorties de l’imagination de l’auteure
Rinco accueille un jour une fillette, Kozue, en pleurs car le lapin qu’elle a trouvé ne mange plus, dépérit. Elle déclare à Kozue qu’elle va guérir le lapin de son anorexie. Et c’est ce qui arrive, tandis qu’à la table du restaurant (l’unique table), une famille fête le départ en maison de retraite du grand père taciturne « qui perd la boule ». Elle retrouve le même regard dans les yeux du lapin anorexique et dans ceux du grand père qui va quitter sa famille. Pour ce repas, la mère de famille avait demandé un « repas d’enfant ».
Née d’une immaculée conception (?)
Cette jeune femme, Rinco, pétrie d’amour découvre le mystère de son origine. Sa mère à la réputation défaillante, est en effet vierge. Contre toutes les apparences. Rinco aurait été conçue, hors mariage, avec le sperme d’un homme de passage. Du sperme que sa mère se serait injectée à l’aide d’un « pistolet à eau ». Elle apprend cette information (mais y croit-elle vraiment ?) en même temps que le cancer de cette mère étrange. Elle plonge dans la mélancolie.
Le désarroi de Ogawa Ito
Derrière ces lignes et la fiction du roman, on sent le trouble de l’auteure. En pleine immersion dans le décousu post-moderne de la pensée. Où la cuisine, la méticulosité dans la fabrication de mets raffinés, tient lieu de bouée. Et de lien d’amour avec le reste du monde, puisque l’amour de sa mère est impossible.
Le mariage de la mère
Cette mère lointaine a retrouvé son amour de jeunesse. C’est le docteur qui soigne son cancer. Lui aussi ne s’est pas marié après leur séparation. Ils décident alors de se marier. Et la mère demande à Rinco de préparer son repas de noce… Et de servir comme plat principal, pas moins qu’Hermès.
Rinco est hautement troublée. Avec Kuma et un autre ami, elle va assister à la mort de la bête. Et à son découpage. Rinco se lance alors dans la cuisine de cet animal énorme. « Rien ne se perd dans le cochon ». C’est aussi un proverbe au Japon. Le repas des noces de sa mère est un festival de mets du monde entier. Rinco met toute son énergie, tout son amour à le préparer.
Une demande d’amour maternel, jamais comblée
On découvre à quelques pages de la fin que tout l’ouvrage est tourné vers la quête d’amour maternel de Rinco. Tout converge vers cette demande inassouvie depuis l’enfance. La cuisine ? Un moyen d’accéder à l’autre, on l’a vu. Mais derrière cet « autre », il y a la mère, et encore la mère.
L’amour finit par gagner, mais à moitié. Il reste tant de regrets. Tant de moments perdus. Tant d’occasions ratées. L’auteure est totalement présente derrière le récit.
En contrepoint
On pourrait faire de ce livre le contrepoint du roman d’un autre auteur japonais, INOUE Yasushi, « Le faussaire ». Un recueil de nouvelles où la dureté de la vie, la tristesse, n’est pas balancée par des éclats d’amour et de joie. Voir la note de lecture ==> ICI
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Ito Ogawa, née en 1973 à Yamagata, est une écrivaine japonaise. Elle est connue pour ses rédactions de chansons, notamment pour le groupe Fairlife. Et ses livres illustrés pour les enfants.
Avec « Le restaurant de l’amour retrouvé », son premier roman, elle a obtenu un grand succès auprès des critiques et du public. Le roman a remporté le Prix Étalage de la Cuisine 2011 et une version cinématographique est sortie sur les écrans japonais en 2010, sous le titre « Rinco’s Restaurant ». Pour en savoir plus sur l’auteure, voir ==> ICI