« Urushi » d’Aki SHIMAZAKI. L’auteure poursuit le fil de l’inspiration qui a soutenu ses romans précédents. C’est encore l’inépuisable sujet de la filiation qui forme la trame de ce roman « Urushi ». D’une écriture délicate, sensible et forte, nous déroulons le récit avec les yeux de Suzuko NIré, une jeune fille de 15 ans troublée dans ses premiers émois amoureux. Elle vit dans une famille totalement recomposée. Faite d’adoptions et de remariages. Les parents et les deux enfants sont comme autant de pièces de porcelaine d’un vase brisé. Mais un vase reconstitué, soudé par l’amour et le respect. Amour et respect mutuel. Également pour les grands parents, figures présentes dans la trame.

Un amour impossible ?

Ainsi, Fujiko-san, la grand-mère qui perd la mémoire et recueille les secrets de Suzuko. Un grand secret ! Suzuko aime son frère Tôru. D’un amour total. Elle veut devenir sa femme. La loi japonaise autorise une telle union. Car elle « n’est que » sa cousine, par le jeu des mariages et adoptions qui ont composé la famille Niré. Une famille comme un vase de porcelaine brisé et recomposé.

Elle fait une fugue pour aller voir son frère dans une ville à 5 heures de train. Elle n’a que 12 ans, mais est vraiment décidée à devenir sa femme.

Le moineau blessé

Suzuko recueille un moineau dont une aile est cassée. Elle va s’en occuper soigneusement, en s’identifiant à lui. Comme lui, elle est fragile, blessée, souffrante de cet amour incertain… Mais elle reconnait aussi qu’elle vit au sein d’une famille unie, aimante. Elle va essayer d’apprendre à parler à son moineau, comme un perroquet peut le faire.

« Urushi » d’Aki SHIMAZAKI (couverture du livre)

Tôru aime Suzuko comme une petite sœur

Il est champion de karaté, jeune, beau garçon. Les filles papillonnent autour de lui. Ses cousines, la sœur de son ami Nao. Suzuko en est toute attristée, piquée par la jalousie.

Un jeune lycéen se déclare auprès de Suzuko

Elle est toute troublée. Mais c’est Tôru qui occupe son cœur. Elle s’ouvre à lui, un jour de balade le long de la plage près de la maison des parents, au pied du Mont Daisen [1]. Une montagne volcanique que la grand-mère confondait avec le célèbre Mont Fuji.

Tôru répond à Suzuko qu’il est amoureux. Qu’il aime un homme, Nao. Suzuko est bouleversée, mais elle comprend. Va-t-il dire ce secret à ses parents ?

Suzuko s’inscrit à une formation de kintsugi [2]

Elle va se former à la réparation d’objets de porcelaine brisés, selon une technique ancestrale. Suzuko formule le projet de faire des bijoux avec cette technique. Elle y retrouve le lycéen qui s’était déclaré auprès d’elle. Elle a 16 ans, en est heureuse et noue une relation avec lui.

« Urushi » d’Aki Shimazaki forme une pièce supplémentaire dans l’œuvre de l’auteure

Une œuvre construite, comme les précédentes, autour des filiations tourmentées. Où les êtres apprennent, souvent dans la douleur, à vivre avec cette charge. Avec ces secrets qui peuvent courir sur plusieurs générations, comme dans la série « Le poids des secrets » [3].

Une œuvre d’où émerge la profonde sincérité de l’auteure. Où la nature, les saisons, forment un décor puissant qui s’imprime sur les personnages. Plus qu’un décor, en fait !

L’homosexualité, déjà présente, court également dans la trame de certains de ses récits, comme ici.

Dans Urushi, il est fait état à plusieurs reprises d’une « clochette sans battant ». Que représente cet objet dans cette histoire ?

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Aki Shimazaki est une écrivaine québécoise, née en 1954 à Gifu au Japon. Elle a immigré au Canada en 1981 et vit à Montréal depuis 1991. Écrits en français, ses livres ont été traduits en anglais, en japonais, en serbe, en russe, en italien, en portugais, en allemand, en hongrois et en espagnol.

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[1] Le Daisen (大山?) est un volcan du Japon situé dans la préfecture de Tottori, dans la région du Chūgoku. Il fait partie des 100 montagnes célèbres du Japon. Pour en savoir plus, voir ==>ICI

[2] Le kintsugi (金継ぎ, « jointure en or ») ou kintsukuroi (金繕い, « réparation en or ») est une méthode japonaise de réparation des porcelaines ou céramiques brisées au moyen drete laque saupoudrée de poudre d’or.

Le kintsugi serait apparu lorsque, à la fin du XVe siècle, le shogun Ashikaga Yoshimasa a renvoyé en Chine un bol de thé chinois endommagé pour le faire réparer. Le bol étant revenu réparé avec de vilaines agrafes métalliques, les artisans japonais auraient cherché un moyen de réparation plus esthétique.

La réparation de vaisselles avec des laques provenant de résines de plantes est une tradition pratiquée en Chine, en Corée, au Japon et au Viêt Nam. Mais les réparateurs japonais amenèrent une touche esthétique particulière en y ajoutant de la poudre d’or. Cela relève d’une philosophie qui prend en compte le passé de l’objet, son histoire et donc les accidents éventuels qu’il a pu connaître. La casse d’une céramique ne signifie plus sa fin ou sa mise au rebut, mais un renouveau, le début d’un autre cycle et une continuité dans son utilisation. Il ne s’agit donc pas de cacher les réparations, mais de mettre celles-ci en avant.

[3] Du même auteur : « Le poids des secrets » Voir ==>ICI