« Un chant céleste » de YAN Lianke (note de lecture). Nous poursuivons avec Yan Lianke [1] nos marches dans la campagne chinoise. Au plus profond de ce monde où homme et nature se mêlent étroitement. Si proches ! Dans un combat quotidien où les éléments naturels et les êtres humains composent « à part égale », pourrait-on dire, la scène de la vie. « Le bruit de son pas s’éloignant s’était mêlé au gazouillis du ciel qui s’éclaircissait. » (p 22)
Le soleil, la pluie, le vent, la terre, la rivière, les saisons occupent une place majeure dans la vie de chacun des hommes et des femmes
Ceux-ci luttent quotidiennement pour se nourrir et nourrir leur famille dans ces campagnes isolées de Chine où l’auteur campe ses récits [2]. Ici, la vie des êtres humains est totalement liée à ces éléments. Des éléments capricieux, souvent terribles, rarement généreux. Il faut trois ans de bonnes récoltes de pommes pour que le mari puisse acheter un chemisier à fleur à sa femme !
Yan Lianke nourrit son récit de descriptions de la nature. « L’univers était parfum d’automne. Un automne profond, dont le temps était venu. Dans les monts flottait une odeur sucrée de maïs, si dense qu’elle prenait à la gorge. » (p 5). C’est avec cette évocation que commence le récit.
La mère et ses quatre enfants idiots
« Un chant céleste » de YAN Lianke, très court roman, nous fait vivre quelques moments aux cotés de You Sipo. Une paysanne mère de quatre enfants, des enfants atteints d’idiotie. A moins que cela soit de crétinisme. Incapable de vivre ce drame, le mari de You Sipo s’est jeté dans la rivière il y a 20 ans. Elle n’a pas de mots assez durs pour insulter ce mari qui l’a laissée seule avec ses quatre petits à moitié fous. Pour « se la couler douce » là où il est maintenant !
Elle se bat avec la nature sur les quelques mu [3] qu’on lui a accordé dans le village reculé qu’elle a rejoint. Dans son village d’origine, les villageois n’en finissaient pas de lui faire honte, après qu’on a pris l’habitude, dans la région, de le désigner comme « le village des 4 idiots ».
You Sipo a déjà réussi à marier ses deux filles ainées
Elle a dû les marier l’une avec un boiteux, l’autre avec un borgne. Impossible, en effet, de marier une idiote avec un « gens-complet » !
Le récit commence alors que la récolte de maïs s’annonce généreuse. You Sipo fait la moisson. Mais sa « Troisième » (c’est par leur rang dans la fratrie qu’elle désigne ses enfants) se fait peloter les seins par son « Quatrième », son fils et dernier enfant. La Troisième a 28 ans. Elle déclare vouloir « dormir dans les bras d’un homme », comme ses deux sœurs ainées. Elle veut un mari ! Et un mari qui soit « gens-complet » !
La mère va partir chercher un mari pour sa Troisième
You Sipo part dans les villages les plus reculés. Là où personne n’a entendu parler de ses enfants idiots. Elle sait que sa Troisième n’acceptera qu’un gens-complet. La négociation sera rude !
Après quelques échecs, elle trouve un célibataire qui accepte le marché. Il va venir chercher sa future femme et tout ce que la mère a mis dans la balance : une bonne part de la récolte de maïs, des couvertures, des instruments de cuisine…
Un remède contre le mal
Entre temps, la mère apprend qu’un breuvage permet de sauver ses enfants du mal qui les a rendu idiots. Il faut préparer une décoction d’os d’un parent proche.
Avec un de ses gendres, le borgne, elle va sans barguigner [4] sur la tombe de son lâche de mari et en déterre quelques os. Là, très concrètement, la terre et les restes du corps sont inextricablement mêlés. Et l’auteur décrit la mère et son gendre fouillant la tombe, faisant corps avec la nature et ce qu’elle fait de nous, une fois que nous lui avons laissé notre dépouille. Ainsi, les êtres humains ne sont pas seulement intégrés dans les éléments naturels. Le monde englobe aussi les morts. Ils nous accompagnent. Ils peuvent même nous aider. On leur parle, ils nous répondent. Et You Sipo ne se prive pas d’engueuler son mari qui l’a abandonnée !
Pas de romantisme dans la description de cette fusion entre humain, nature et mort
Après avoir déterré les os et rebouché la tombe, elle s’en va préparer la décoction. « Les os frottaient les uns contre les autres, s’entrechoquaient avec une musique blanche et lumineuse de clair de lune en train de se déverser. Une senteur de putrescence ténue coulait en silence à leurs pieds. » (p 64)
La mère va tout faire pour délivrer ses enfants du mal qui les ronge…
… et mourir. Pour son dernier voyage, ses trois gendres et son fils portent son cercueil. Ses trois filles sont aussi guéries. Trois jolies jeunes femmes, toutes enceintes forment le convoi. Elles pleurent. Le mari de la défunte est là, qui l’accueille près de la tombe où elle va être enfouie. Il est habitué des lieux. You Sipo est enterrée dans un cercueil en bois de cyprès épais d’un demi-pouce.
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[1] Yan Lianke (閻連科), né en 1958 dans le district de Song, est un romancier chinois. Il a été militaire et écrivain officiel de l’armée. Pour en savoir plus sur l’auteur voir ==> ICI
[2] Voir les notes de lecture des romans de Yan Lianke : « Le rêve du village des Ding » ==> ICI « Les jours les mois les années » ==> ICI et « Songeant à mon père » ==> ICI
[3] Le Mu (亩) est une unité de mesure de surface utilisée en Extrême-Orient, et particulièrement en Chine, où elle est officiellement normée. Elle correspond à environ 1/15 d’hectare, soit 666,67 m².
[4] Sans hésiter ; sans mettre du temps à agir ; sans réticence ; sans hésitation.