« Sur le contrôle de nos vies » de Noam CHOMSKY. Le célèbre linguiste expose la situation de contrôle croissant des sociétés et des individus, par l’hyper pouvoir américain. Un pouvoir où l’Etat  et les grandes firmes combinent leur capacités de contrôle. Ce qui revient à soumettre de larges parties du monde aux règles édictées par des institutions des Etats Unis, publiques ou privées. C’est cela qui est questionné dans ce document. Ce texte provient d’une conférence que Chomsky a donné à Albuquerque (Nouveau Mexique) en février 2000.

Réduire la souveraineté des Etats au profit des intérêts privés

Déjà en 2000, Noam Chomsky dénonçait l’emprise que le pouvoir des Etats Unis et de ses firmes exerçait sur les peuples du reste du monde.

Il donne comme exemple le démantèlement unilatéral par les Etats Unis du système de Bretton Woods en 1970. Un système conçu dans les années 1940 qui assurait/autorisait une régulation des économies sur leur territoire par les Etats. Notamment des nationalisations, le contrôle de certains prix, des importations, et des mouvements de capitaux… Ainsi, une décision unilatérale en 1970 de la puissance dominante, les Etats Unis, a modelé la vie des milliards d’individus qui peuplent la planète,. Largement hors de ses frontières.

Cette rupture majeure dans la régulation mondiale en 1970 a ouvert la période de la mondialisation libérale. Celle-ci a consisté à priver progressivement les Etats des capacités de mener des politiques autonomes concernant la vie économique et financière de leur territoire. Ce qui a libéré les firmes, et notamment les plus grosses, de tout contrôle public. La liberté du renard dans le poulailler, en fait ! Privatisations, dérégulation du marché du travail, libre-échange pour les transactions commerciales internationales, libéralisation des transactions financières…. Les réformes de dérégulation se sont succédé dans tous les pays. Au Nord comme au Sud.

Au Sud, les Plans d’Ajustement Structurel (PAS)

La Banque mondiale et le FMI ont été les principaux vecteurs de ce mouvement dans les pays du Sud. Des pays qui s’étaient endettés massivement auprès d’institutions financières privées et publiques du Nord après 1973 [1]. Et qui ont sombré dans une « crise de la dette ». Les Plans d’Ajustement Structurel (PAS) ont été les prescriptions que les pays du Sud devaient appliquer en contrepartie d’aménagement de leur dette. Un aménagement piloté par le FMI et le Club de Paris, qui suivait strictement cette logique de diminution du rôle de l’Etat.

Dans les pays qui étaient en phase de construction de l’Etat après leur Indépendance, notamment en Afrique sub Saharienne, cette politique a eu des effets catastrophiques. Car elle a détruit les premiers fondements de  l’Etat. Là encore, les Etats Unis ont joué un rôle déterminant dans le « contrôle de nos vies ».

« Dette inique », « dette odieuse »

Autre cas, celui de Cuba au moment de son indépendance vis-à-vis du pouvoir colonial de l’Espagne. En matière d’ingérence des Etats Unis dans les affaires des sociétés, l’auteur cite le cas de son  refus que Cuba rembourse à l’Espagne une somme décrétée « dette inique ». Cela s’est passé quand les Etats Unis ont conquis Cuba pour empêcher qu’il ne se libère tout seul de la colonisation espagnole en 1898. Sur cette question, voir la note en bas de page et les développements dans Wikipédia [2].

« Sur le contrôle de nos vies » de Noam CHOMSKY couverture du livre

TINA

Cette entreprise de dérégulation massivement appliquée sous la direction des Etats Unis a été accompagnée d’une campagne idéologique visant à faire croire qu’il n’y avait aucune autre solution. C’est le fameux There Is No Alternative (TINA) attribué à Margareth Thatcher [3].

Une campagne idéologique largement orchestrée par les Etats Unis. Ont prêté leur concours à cette entreprisse des économistes [4] et autres intellectuels mercenaires. En utilisant les institutions internationales qu’ils contrôlaient étroitement (Banque mondiale, FMI, OCDE, puis OMC…). Les Etats européens gagnés à cette cause après le ralliement total de la social-démocratie à la mondialisation libérale ont ensuite endossé cette idéologie. Et l’ont fait triompher dans le processus de construction européenne. Les institutions de Bruxelles et notamment la Commission européenne où la Grande Bretagne a rapidement conquis une hégémonie politique, ont joué en effet un rôle majeur dans la diffusion de cette doctrine/idéologie.

Voir « La grande bretagne a dominé l’Europe » ==> ICI

Ce contrôle s’est accru depuis le début des années 2000

La politique des sanctions a élargi en 2001 le champ du contrôle que les Etats Unis exercent sur de larges parties du monde. La lutte contre le terrorisme a été, de ce point de vue, un facteur déterminant dans cette évolution.

Mais c’est aussi sur des sujets particuliers que la politique de sanction s’est déployée, faisant suite à l’embargo décrété contre Cuba [5] en 1962. Sanctions contre l’Iran (1995), le Venezuela (2017) … les Etats Unis décrètent unilatéralement des sanctions contre des Etats en menaçant d’exclusion toute entreprise, toute banque d’un autre pays du monde qui n’appliqueraient pas ces sanctions. Des sanctions décidées par eux seuls. Ainsi en Iran, les entreprises européennes engagées en Iran ont plié devant cette injonction américaine.

Les sanctions contre la Russie (2022), après l’agression de l’armée russe contre l’Ukraine, ont ajouté à ce tableau. L’Union européenne et la Grande Bretagne se sont associées à ces sanctions décidées par les Etats Unis.

Mais contre la Russie, aucun accord global n’a pu se réaliser. Et les sanctions édictées par les Etats Unis ne sont pas suivies par des Etats dont la Chine, mais aussi l’Afrique du Sud. Un nombre important de pays du Sud ont adopté en effet une politique de « non-alignement ». Sur ce sujet, voir « Deux guerres mondiales, ça suffit ! » ==> ICI

On assiste alors à deux mouvements (apparemment) contradictoires

La poursuite de la libéralisation des flux financiers portée par le mouvement de mondialisation d’un côté. Et de l’autre, le contrôle croissant par la soumission des acteurs du monde entier aux injonctions émises par l’Etat dominant, les Etats Unis et les firmes, notamment en matière digitale, qui ont un quasi-monopole mondial dans ce secteur majeur.

Une « mise à jour » par Chomsky de cette conférence de 2000 serait la bienvenue.

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Noam Chomsky, né en 1928 à Philadelphie, est un linguiste américain. Professeur émérite de linguistique depuis 2002 au Massachusetts Institute of Technology, où il a enseigné depuis 1955. il y fonde la linguistique générative. Il s’est fait connaître du grand public, à la fois dans son pays et à l’étranger par son parcours d’intellectuel engagé de tendance socialiste libertaire. Pour en savoir plus sur l’auteur, voir ==> ICI

[1] L’endettement de bien des pays du Sud auprès d’institutions financières privées et d’Etats du Nord s’est accéléré après 1973 quand le premier choc pétrolier a ralenti la croissance mondiale. Les firmes du Nord ont alors fait pression pour encourager l’endettement des pays du Sud (un endettement souverain majoritairement) pour maintenir par une hausse des importations de ces dernier l’activité au Nord. Cet accroissement de l’endettement n’a pas pris en compte les capacités de remboursement des emprunteurs du Sud.

Le FMI, contrôlé par les pays dominants, étant alors positionné comme financeur en dernier ressort pour les firmes du Nord. Mais aussi comme restaurateur des capacités de remboursement des pays du Sud. Les PAS ont été engagés à cette fin dans les années 1980, selon la doctrine du « Consensus de Washington ». Les Etats Unis ont piloté l’élaboration et la mise en œuvre de cette doctrine.

[2] La dette inique ou dette odieuse est une doctrine fondée sur une série de jurisprudences avancée par certains auteurs en matière de droit international. Une dette est odieuse dès lors qu’elle est contractée par un régime pour satisfaire des besoins contraires aux intérêts de la population. Et lorsque les créanciers en avaient connaissance. On parle ainsi de « dette odieuse » lorsqu’elle a été contractée par une dictature et qu’elle doit être remboursée lors de la transition démocratique. Dans cette optique, ces dettes sont considérées comme des dettes du régime qui les a contractées, et non pas de l’État en entier.

La doctrine de la dette odieuse a émergé au cours du 19e siècle. Elle concerne l’annulation de la dette contractée par un régime despotique pour subvenir à ses besoins personnels et non à ceux de son peuple.

Mexique. La doctrine a été formalisée sur le fait qu’en 1883 le Mexique avait dénoncé la dette contractée par l’empereur Maximilien en promulguant une loi dite « de règlement de la dette nationale » qui déclare : « Nous ne pouvons pas reconnaître, et par conséquent ne pourront être converties, les dettes émises par le gouvernement qui prétendait avoir existé au Mexique entre le 17 décembre 1857 et le 24 décembre 1860 et du 1er juin 1863 au 21 juin 1867 ».

Cuba. Le second exemple est fourni par les États-Unis, qui ont refusé que Cuba paye les dettes contractées par le régime colonial espagnol. La Commission de négociation des États-Unis a refusé cette dette, la qualifiant de « poids imposé au peuple cubain sans son accord ». Selon ses arguments, « la dette fut créée par le gouvernement de l’Espagne pour ses propres intérêts et par ses propres agents. Cuba n’a pas eu voix au chapitre ». La Commission ajouta que « les créanciers ont accepté le risque de leurs investissements ». Les États-Unis ont obtenu gain de cause via le Traité de Paris en 18984. Ce traité a entièrement annulé cette dette.

(…) Irak. Après leur invasion en Irak 2003, les États-Unis ont appliqué ce concept pour ne pas hériter de la dette de Saddam Hussein lors de l’annexion du pays. Médiatiquement, tout a été fait pour que le terme « dette odieuse » n’apparaisse pas au grand jour. Car son application par les États-Unis indiquerait que cette jurisprudence est bien existante au 21e siècle. Ce qui ouvrirait la porte à tout pays héritier d’une dette de la part d’anciens régimes. Le cas de l’Irak s’est réglé au sein du Club de Paris, qui a annulé 80 % de la dette globale. Sans aucune référence à la notion de dette odieuse. Afin d’éviter que d’autres pays réclament l’annulation de leurs dettes en invoquant le même motif. (Wikipédia).

A noter qu’une bonne partie de la dette de l’Irak avait été constituée par Saddam Hussein pour régler des achats d’armes. Notamment auprès des pays occidentaux. Autre remarque, les montants de la dette annulée ont été comptés comme Aide publique au développement (APD) dans les statistiques officielles des Etats qui ont effacé leur créance.

Pour en savoir plus sur la dette inique ou odieuse, voir ==> ICI

[3] Pour en savoir plus sur TINA, voir ==> ICI

Voir également « Tina et Daech vont en bateau »  ==> ICI

[4] Notamment Milton Friedman. Sur cet économiste qui a joué un rôle décisif dans l’élaboration de l’idéologie libérale, voir ==> ICI

[5] Sur l’embargo contre Cuba, voir ==> ICI


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