« Son Excellence » de Naguib MAHFOUZ (note de lecture). En un court roman, Naguib Mahfouz nous dresse le portrait impitoyable d’un homme d’extraction très modeste (son père était cocher) littéralement dévoré par son désir d’ascension sociale. Cette ascension, il rêve de la réaliser dans l’Administration. Une Administration au service d’un Etat qu’il sacralise. Qu’il voit comme le bras armé de la volonté de Dieu. Et lui, fonctionnaire, comme le serviteur de cette volonté.
Othmân Bayyoumi, notre héros, s’est totalement ligoté dans son ambition
Une ambition qu’il mène au prix d’un travail acharné : il doit gravir les 8 échelons pour arriver au poste convoité, celui du Directeur général de l’Administration. Celui qui donne droit au titre d’« Excellence » !
Sans appuis familiaux (il doit même cacher ses origines sociales), il n’a que sa compétence à mettre sur la balance, ainsi qu’une immense servilité vis-à-vis de sa hiérarchie. Il nourrit sa compétence par des études qu’il mène en marge de son travail au Service des Archives. Etudes de droit, étude des langues, le français et l’anglais. Il ne lui reste plus de temps pour s’occuper de l’amour, de la nécessité (religieuse) de fonder une famille, avoir des enfants. D’abord sa promotion professionnelle, ensuite l’amour.
Il brise ainsi toutes les relations amoureuses qui s’esquissent
Son amie d’enfance, amoureuse de lui, est d’extraction trop modeste. En quoi pourrait-elle l’aider à progresser dans l’échelle sociale ? De jeunes collègues ensuite qu’il séduit puis rejette. Il ne peut se permettre une diversion par rapport à son désir de grimper les échelons. Un désir qui mobilise, finalement, toute son énergie.
Presque toute son énergie ! Il ne peut s’empêcher de visiter régulièrement Qadriya, une prostituée, en s’affligeant du péché qu’il commet chaque fois qu’il la rejoint dans sa pièce nue. Il prend, à cette occasion, un verre de vin, redoublant sa situation de pécheur !
De renoncement à vivre en renoncement à vivre, Othmân va finir par atteindre son objectif
Il est au seuil du poste désiré. Mais aussi au seuil de sa retraite. Il a fini par se marier, d’abord avec Qadriya. Puis avec une très jeune collègue qui a flairé la « bonne affaire » en ce septuagénaire riche et seul. Mais il tombe gravement malade, sans concrétiser sa promotion. Il a réussi, il a échoué.
Le poids écrasant des conventions sociales
C’est le thème de ce roman, soutenu dans cette édition par une très belle image de couverture. Un roman porté par une écriture subtile comme sait si bien le faire Naguib Mahfouz. Qui peint avec délicatesse les tourments d’un homme qui finira par s’écrouler sous le poids des chaines qu’il a passé à son cou. Alourdissant celles qu’il a hérité de son origine sociale.
L’auteur ne traite pas, ici, de la difficile émergence de l’individu comme dans bien d’autres de ces romans [1]. Mais plutôt du fardeau oppressant des règles sociales de l’Egypte éternelle. Règles où le carcan religieux, social, politique se mêlent pour figer la société. Pour imposer un langage de soumission. Soumission à Dieu inextricablement mêlée à la soumission aux hommes qui peuplent sa hiérarchie. L’ascension sociale en devient un calvaire. Certes la porte est ouverte, mais elle est si étroite !
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Pour en savoir plus sur l’auteur, c’est ==> ICI
[1] Voir notamment « Le jour de l’assassinat du leader » ==> ICI
L’article est aussi disponible sur le site AL3OMK Voir ==> ICI
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