« Pouvoir de négociation » contre « Intérêt général ». Il est question ici des relations entre les pouvoirs politiques et les grandes firmes pharmaceutiques. Ces firmes qui sont sur le devant de la scène dans la production de vaccins contre le covid 19.

Ma réflexion sur ces notions part de deux échanges que j’ai eu ces derniers mois. L’un avec une personne qui travaille dans la finance internationale à Londres. L’autre avec une autre personne qui travaille à Bruxelles, à la Commission européenne.

« Un fort pouvoir de négociation »

Alors que je les questionnais sur l’attitude de ces firmes face aux Etats (incluant la dernière augmentation du prix du vaccin de 25% annoncée par Pfizer), je me suis fait répondre, avec les mêmes mots, par mes deux interlocuteurs. Ces firmes ont un « fort pouvoir de négociation » face aux Etats m’a-t-on dit. En énonçant cet argument comme une évidence. Comme un fait littéralement indiscutable.

Et ceci, alors que ce sont les firmes pharmaceutiques qui mènent le jeu. En termes de délais de livraison. En termes de prix. Et en termes quantités livrées. Un jeu qui doit beaucoup aux aides publiques massives que la plupart de ces firmes ont reçu des Etats pour accélérer les recherche d’un vaccin contre le Covid 19.

Une évidence tranquille !

J’en ai été très choqué car j’ai, pour ces personnes que je connais depuis longtemps, de l’estime. Deux personnes qui sont totalement insérées dans leurs milieux professionnels. Dans un bain idéologique où s’élaborent les idées qui soutiennent la mondialisation libérale. Sans état d’âme, comme une évidence tranquille.

Pour elles, il est tout à fait normal que la puissance publique joue avec ces firmes dans un jeu de rapport de forces. « Il n’y avait pas d’alternative » !

Des questions m’assaillent alors

A supposer qu’on accepte cette idée de « négociation », quel est le « pouvoir de négociation » des populations qui sont concernées en premier rang par la vaccination ?

L’Etat est censé défendre l’intérêt général à long terme des sociétés. C’est même sa raison d’être affichée. C’est au nom l’intérêt général que l’Etat exerce son pouvoir de contrainte. Par exemple pour récolter les impôts, mettre en prison les coupables, pour changer les lois, faire des réformes, détenir l’exercice de la violence légitime (police)…

Dans cette affaire de vaccins, où se trouve ce rôle de défense de l’intérêt général à long terme que les Etats sont censés défendre ?

Pourquoi ce pouvoir de contrainte disparait-il face à ces firmes ? Surtout, dans une période de crise sanitaire où la vie de millions d’individus est en cause ?

Quelles contreparties aux aides publiques qui ont été versées à ces firmes ont-elles été exigées par les Etats ? Ne nous trouvons pas, une fois de plus, dans le cas d’un Etat « fort avec les faibles et faible avec les forts » ?

Un autre champ de question surgit : la santé, un bien marchand ?

Peut-on considérer les vaccins comme un produit marchand ? Un produit dont la stratégie de production, de prix, est décidé en fonction du cours des actions des firmes productrice ?

Pourtant, c’est un produit dont l’acquisition signe la vie ou la mort de milliards d’individus. Au-delà, la circulation de ce produit fonde l’équilibre social et politique des sociétés en période de crise sanitaire. Peut-il être, sans dommages, soumis aux aléas du marché ? Aux décisions d’un conseil d’administration de firme pharmaceutique qui n’a comme objectif que d’accroitre les profits de la firme ? L’idée, énoncée au début de la pandémie, selon laquelle la santé de la population était mise au-dessus des contraintes financières, était donc un leurre ?

Par ailleurs, peut-on laisser les firmes engranger des profits gigantesques (les firmes pharmaceutiques mais aussi celles liées au digital) en profitant de la crise sanitaire, sans opérer sur elles un prélèvement fiscal spécifique ? Alors que les Etats, au Nord la plupart du temps, ont accru la dépense publique pour compenser une partie des effets de la pandémie sur l’économie ?

Le cynisme des grandes firmes qui font fleurir leurs profits sur la vie et la mort de centaines de milliers d’êtres humains n’est pas une faille du système C’est le système !

Défiance, défiance

Tous ces questionnement (et bien d’autres) nourrissent légitimement une défiance profonde vis-à-vis des pouvoirs politiques. Ceux-ci apparaissent comme complices de ces firmes. « Capturés par ces firmes », selon l’expression des travaux académiques [1].

Cette défiance nourrit l’appui aux mouvements d’extrême droite qui rejettent les institutions. Et avec elles, les étrangers, la science, le savoir, la culture… Le robinet de haine est grand ouvert ! La dislocation des sociétés avance sous les coups de boutoir des marchés !

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Voir aussi l’article sur le Capitalisme de péage ==> ICI

[1] State capture ou Capture de l’Etat : La captation de l’État est un type de corruption politique systémique dans laquelle des intérêts privés influencent de manière significative les processus décisionnels d’un État à leur propre avantage. Wikipédia (anglais) Pour en savoir plus, voir  ==> ICI