« Rosie Carpe » de Marie NDiaye. Une histoire de femme. L’ histoire d’une femme en miettes. Une femme qui doute de sa propre existence, tant ses parents l’ont peu considérée comme être vivant, comme personne humaine. Une vie recluse sur une famille muette. Pas de contact avec l’extérieur. Pas de relations au sein de la « famille ». La seule ouverture affective, c’est son frère, Lazare. Mais il est, comme elle, privé d’amour, dans le doute absolu de son existence. Comment ces deux enfants, peuvent-ils s’en sortir, accrochés l’un à l’autre dans la plus grande détresse de leur non-existence ?

Il y a cette histoire de femme, poignante. Et il y a l’incroyable capacité de l’auteure à nous faire entrer dans les pensées de Rosie, cette femme. Mais aussi dans celles de Lagrand, un homme qui entre dans le récit et se glisse au cœur du drame.

Oui, Marie NDiaye nous fait entrer dans les pensées les plus futiles, les plus étranges, à côté des pensées les plus profondes. Dans un mélange que nous avons tous éprouvé. C’est le génie de l’auteure de nous faire partager cet écheveau de pensées. A sauter du coq à l’âne. Passer et repasser jusqu’à l’obsession la même idée, tournée dans tous les sens jusqu’au vertige… A tisser ces pensées avec la trame du récit fait de rebondissements sordides jusqu’au drame.

Une plongée dans l’angoisse

Dès les premières pages, Marie NDiaye nous entraine au fond de l’angoisse qui va traverser le roman. Rosie Carpe débarque en Guadeloupe où son frère Lazare est sensé l’accueillir. Elle ne trouve à l’aéroport qu’un ami à lui, Lagrand. Un accueil d’une bienveillance froide, impersonnelle. Et des propos qui laissent à penser que Lazare n’est pas disponible. Très occupé à des « affaires » aussi mystérieuses que louches. Les 50 première pages de l’ouvrage nous tirent, avec Rosie, au plus profond du désespoir. En tant que lecteur, nous sombrons avec Rosie !

Rosie arrive avec Titi, son fils de 5 ans, qu’elle perçoit comme faible, transparent, fragile, inconsistant. Comme elle l’a été avec ses propres parents qui ne lui ont donné ni amour, ni attention. Qui n’ont jamais pris soin d’elle (ni de son frère). Comment pourrait-elle donner quelque chose à Titi son fils alors qu’elle n’a jamais rien reçu ? Rosie arrive en Guadeloupe auprès du seul être qui compte pour elle, son frère. Avec d’immenses attentes. Mais des attentes qu’elle ne sait pas formuler. A part qu’elle a besoin d’argent. Elle est enceinte. Elle ne sait pas, elle ne veut pas savoir comment elle s’est retrouvée avec ce bébé dans le ventre.

Aucune lueur d’humanité dans cette première soirée aux Antilles. Si. Quelques moments, quelques gestes éphémères avec la femme qui vit avec Lazare, Anita. Une lycéenne qui s’occupe tant bien que mal de Jade, une petite fille qu’elle a eu avec le frère de Rosie.

On est éprouvé dès l’entrée en lecture du roman par ces lignes d’où ne sort que de si faibles lumières ! Marie NDiaye ne nous épargne pas !

Les parents lâchent le faible lien qui les reliait à leurs enfants

Nous revenons cinq ans avant. Rosie et son frère quittent Brive-la-Gaillarde pour venir à Paris faire des études. Elle rate sa première année, et son frère disparait. Les parents coupent alors les vivres. Elle a 20 ans.

Rosie se retrouve seule. Elle cherche du travail et devient cuisinière dans un hôtel triste à la Croix de Berny. Un nœud routier qui relie en croix Sud et Nord, Est et Ouest dans la banlieue Sud de Paris. Bruyant, sale, morne, impersonnel. Max, le sous-gérant de l’hôtel, met la main sur elle, dès le début.

Le sexe dans ses aspects sordides imprime sa marque

Elle n’aime pas cet homme, mais au moins, Max lui a donné l’impression qu’elle existe. Une étrange relation se noue entre Rosie et le sous-gérant, marié par ailleurs. Bienveillant et distant à la fois.

Rosie ne sait rien des relations affectives. Elle n’a connu que sa relation d’enfant avec Lazare son frère. Elle tâtonne dans ces espaces nouveaux qui s’ouvrent, avec un homme inconsistant, silencieux, buté, cachotier, calculateur.

Celui-ci monte un coup de pornographie avec une femme qui vient filmer leurs ébats. Rosie est confuse, désespérée. Et désespérée de ne pas savoir s’opposer à ce qu’elle comprend comme un viol. Et aussi comme un vol car elle ne verra jamais l’argent que Max gagne avec ce trafic minable d’images.

Elle se retrouve enceinte

Et immédiatement, elle est obsédée par l’idée que cet enfant, conçu sous la caméra, a été blessé. Et qu’un jour, il demandera des comptes pour cette blessure. Cette idée ne la quitte pas. Mais elle est incapable de l’exprimer à la face de Max. Celui-ci commence par jouer un rôle de père. Il va même jusqu’à « payer le landau de Titi », le petit garçon né de ces amours filmées.

Lazare débarque un jour

Amaigri, triste, sale, il échoue chez sa sœur à la recherche de quelques francs. Il a faim, il a froid. Il dort dehors. Il sent mauvais jusqu’à la nausée. Rosie est follement heureuse de retrouver son frère, après un an de séparation sans nouvelles. Mais Lazare, quand il apprend la situation de sa sœur avec Titi au sein et Max dans les parages, débarque chez Max et s’incruste dans sa maison. Il terrifie la femme de Max, puise dans les affaires du mari pour se vêtir, dort dans leur lit. Max et sa femme sont épouvantés.

Rosie refuse absolument d’aller chercher son frère. Celui-ci finit par quitter la maison de Max et de sa femme sans un regard pour Titi. Sans un mot pour Rosie.

A ce moment, le lait maternel qui inondait les seins de Rosie et nourrissait Titi se tarit. Brusquement. Sans retour. Titi refuse le biberon. Obstinément. Il s’accroche désespérément à ce sein vide. Il hurle. Rosie ne sait plus quoi faire.

Les parents quittent Brive-la-Gaillarde et s’établissent à Antony, à faible distance de Rosie

Mais ils ne lui font aucun signe et ignorent son enfant. Ils ont accueilli Lazare qui passe ses journées à dormir et ses nuits à trainer. Rosie est reprise par le doute. Existe-t-elle ? Titi, ce faible enfant, peut-il lui donner l’assurance qu’elle existe ?

(p 145) « Une jeune femme nommée Rosie Carpe longeait les haies bien entretenues d’une petite rue paisible et discrètement cossue d’Antony. Rosie était cette toute jeune femme, nommée Rosie Carpe, qui marchait le long des haies de fusains en laissant courir sa main sur les grillages, les treillis. Elle savait qu’elle était Rosie Carpe et que c’était bien elle, à la fois Rosie et Rosie Carpe, qui marchait en ce moment d’un pas tranquille, longeant les haies bien taillées de ce quartier résidentiel, silencieux, d’Antony. »

Là encore, Marie NDiaye nous fait plonger dans les méandres de sa pensée. Une pensée qui tourne jusqu’à l’obsession sur le besoin de se sentir exister. Alors qu’elle n’a aucune expérience de cette sensation. Exister ? Mais comment, et pour qui ?

Rosie ne se remémore sa vie d’enfant à Brive-la-Gaillarde que nimbée de jaune. Partout, tout est jaune. Un jaune triste et sale dans sa mémoire où aucun amour, aucune attention, ne vient crever le voile de ses souvenirs teintés de cette couleur. A Antony, elle découvre le pavillon coquet que ses parents ont loué. Une odeur de buis coupé envahit ses perceptions quand elle découvre que la femme, dans le jardin, un sécateur à la main, est sa mère. Oui, sa propre mère. Toujours aussi froide, impersonnelle… rien n’a changé.

L’enfant, la crèche, le travail à l’hôtel… Elle construit autour de ces points fixes l’idée qu’elle existe. Max ne la voit plus.

Lazare revient

Il revient avec un ami, Abel. Celui-ci a un plan pornographique de vente d’objets sexuels en Guadeloupe. Lazare est partant avec son nouvel ami. Il a même convaincu ses parents d’entrer dans cette « bonne affaire ». Il commence par délester Rosie de quelques francs et disparait. Le pavillon où ses parents taillaient leur buis est devenu vide. Ils ont dû partir avec Lazare pour gagner de l’argent avec ce commerce douteux. Beaucoup d’argent à gagner, dans leur rêve !

« Rosie Carpe » de Marie NDIAYE Couverture du livre

Rosie sombre dans l’alcool

L’enfant, la crèche, le travail à l’hôtel… Ce n’est pas suffisant pour donner à Rosie les réponses aux questions qu’elle ne sait même pas poser. Existe -t-elle ? Elle effleure une rencontre amoureuse avec un client de l’hôtel. Un homme qu’elle nomme pour elle-même « le Noir ». Mais au dernier moment, elle refuse le rendez-vous. Et se reproche ensuite d’avoir laissé passer ce qui aurait pu être une rencontre avec un autre être. Elle qui sait si peu ce qu’est « une relation ».

Dix, puis vingt bières accompagnent ses soirées, seule, alors que Titi se fait encore plus petit, de peur de fâcher sa mère. De peur que se révèle le grand vide dans lequel sa mère sombre.

(p 171) « Mais Titi savait, elle sentait qu’il le savait comme si elle l’avait su elle-même, qu’il ne fallait pas demander trop à Rosie, sa mère. Rosie Carpe, qui n’avait que vingt et un ans vingt-deux ans et marchait seule le matin et le soir au long des trottoirs souillés d’une neige grise perdue (…). Il le savait, aussi ne pleurait-il que très peu, la ménageant. Et la protégeant de son tact inconscient d’enfant solitaire. »

Qui est le père de ce bébé ?

Max ne voit plus Rosie. Encore moins Titi le fils qu’il a pourtant reconnu. Il va se remarier avec une autre femme. Et cela provoque un choc pour Rosie qui s’arrête de boire, brutalement. Max invite tout le personnel de l’hôtel à la fête de mariage. Rosie et Titi sont de la partie. Au cours de la soirée, elle boit plus qu’elle ne doit. Quelques semaines plus tard, elle se rend compte qu’elle est enceinte. Qui est le père de ce bébé ? Personne ne lui répond.

Elle imagine, jusqu’à l’obsession, que Titi connait la réponse à cette question. Du haut de ses 5 ans, il aurait tout vu par-delà l’ivresse de sa mère. Mais elle n’ose lui poser la question.

Un impensable imaginaire se noue dans la tête de Rosie, sur cette « scène primitive ». Non pas celle que Titi pourrait construire pour son propre compte, entre Max et Rosie, avec, au milieu, la femme qui filmait les ébats. S’installe ainsi dans l’esprit de Rosie une autre confusion, un autre élément dramatique. Car il s’agit de la « scène primitive » de ce bébé que sa mère porte, entré par effraction dans son ventre, et dont Titi serait le témoin de la conception.

Rosie a décidé de rejoindre Lazare en Guadeloupe

Nous retrouvons là le début du roman. Juste après que Rosie a débarqué en Guadeloupe, si peu accueillie par son frère.

L’auteure décrit un dimanche matin dans l’ile. Des moments sordides envahis par des odeurs putrides. A côtés des fillettes en robes blanches empesées se pressant à la messe, les touristes métropolitains ont envahi hôtels et plages aux images de rêve. Exhibant leurs vieillesses et leurs peaux rose-brulé par le soleil. Avec l’audace donnée par le sentiment que tout est permis avec les « indigènes » sur ce bout de terre des tropiques encore colonisé.

Parmi ces touristes, les parents même de Rosie, les époux Carpe. Pris dans des histoires de famille disloquée. Où le sexe s’est affranchi tranquillement des règles communes. Diane, la mère de Rosie est enceinte de son amant sous les yeux de son mari qui œuvre avec une jeune femme simplette, Lisbeth. La mère Carpe, Diane, triomphante de son état dans la conjuration de son âge. Et les hommes, minables, englués dans ces relations entre rhum, citron vert et sexe triste et incestueux.

La trame du récit se resserre fortement

L’ami de Lazare, le grand jeune homme noir fin et musclé dans son polo blanc, à la bienveillance lisse, avec sa Toyota, immaculée, cache difficilement la douleur de son enfance. C’est lui, Lagrand, qui est venu chercher Rosie à l’aéroport de la part de Lazare.

Et c’est Titi qui réveille sa douleur. En voyant cet enfant malingre, passif, douloureux, endormi et exposé aux durs rayons du soleil, grelottant de froid. Il a le brusque sentiment que Rosie, sa mère, souhaite sa mort. Rosie ne s’inquiète pas de l’état de son fils. C’est Lagrand qui prend soin de Titi et le met à l’ombre.

L’auteur nous fait comprendre, par des touches subtiles, que Lagrand est tombé amoureux de Rosie. Celle-ci, arrivée en loques en Guadeloupe, s’est apaisée et épanouie dans la maison de son frère, aux cotés d’Anita. Elle est redevenue belle et désirable, du haut de ses 25 ans.

Et elle a réussi à arracher d’elle-même sa dépendance à ce frère qui n’est même pas venu la voir. C’est Lagrand qui lui donne un peu d’argent, en prétextant qu’il vient de son frère. A ce stade de la lecture, on ne comprend pas la nature de la relation entre Lagrand et Lazare. Pour quelles raisons Lagrand est il si dévoué à cet homme misérable ?

Rejeté par sa mère, mais… en vie

Lagrand se remémore le drame qu’il a vécu avec sa propre mère. Lui, enfant, après dix années de vie avec elle dans la pièce unique d’une masure misérable. Brusquement, elle l’a rejeté avec une violence inouïe. Elle a vu en lui la malédiction totale. Elle l’a maudit. Et l’a fait disparaitre radicalement de son univers d’un « Pschitt » ravageur. Après ce geste, elle est entrée en folie. Dans une folie déclarée qui l’a conduite dans un hôpital psychiatrique d’où elle n’est pas sortie depuis plus de dix ans.

Pour Lagrand, la vue de Titi avec sa mère joue un effet de révélation. Il se dit que sa propre mère l’a rejeté pour ne pas le conduire à la mort, comme Rosie est en train de le faire avec Titi. Et cela bouleverse sa relation à sa mère ! Tandis que son attirance pour Rosie ne faiblit pas mais le questionne profondément.

Le drame s’approfondit

Lagrand revoit Lazare qui lui chuchote qu’ils on fait une énorme « bêtise ». Lui et Abel, son ami d’enfer, ont assassiné pour le voler un touriste égaré dans la foret profonde. Les deux hommes cherchaient à attraper des espèces animales protégées pour les vendre. C’était la dernière idée géniale d’Abel. Au moment du meurtre, Abel a prononcé le nom de Lazare devant la femme du touriste assassiné, avant qu’elle ne s’enfuie dans la jungle.

Le jeune Lagrand prend sur lui toute la charge de ce sauvage assassinat. Une charge qui l’accable. On ne sait pas pourquoi.

Titi à l’hôpital. Lagrand rencontre-t-il sa mère ?

Lagrand prend en charge Titi qui grelotte de fièvre et l’amène à l’Hôpital où on diagnostique une maladie due à l’ingestion de mangues souillées par l’urine des rats qui pullulent dans la maison où il vit avec sa mère Rosie, Anita et la petite Jade. Celles-ci sont au cinéma, à rire, tranquilles, devant un film comique qui passe dans une salle de la ville.

A l’Hôpital, Lagrand erre dans les bâtiments après avoir remis Titi aux médecins. Il se dirige, comme aimanté, vers le pavillon psychiatrique. Il revoit sa mère. Mais est-ce bien sa mère ? Elle ne le reconnait pas. Ils sort encore plus meurtri de ces retrouvailles incertaines.

L’écriture ou la lecture ?

A partir de ce moment du récit, le texte devient confus. L’angoisse de Lagrand prend le dessus et brouille la réalité. Ou peut être est ce un effet de lecture ? Et ce serait le mal-être que suscite la lecture de ce récit qui obscurcit ma propre vue ?

Rosie vit quelques moments d’immense joie

La joie immense de se sentir délivrée de Titi. Cet enfant dont elle voulait la disparition. C’est chose faite. Cet enfant mal aimé, pas aimé du tout en fait, a disparu de son paysage, d’une façon qu’elle ignore elle-même. Elle baigne dans l’euphorie, mais elle sait que cette sensation peut se retourner immédiatement. Elle revoit son frère, Lazare. C’est une loque humaine, qui s’attend à tout instant à être arrêté pour le meurtre du touriste commis dans la forêt.

Mais le drame ne laisse que peu d’espace à la joie

Avant son arrestation, Lazare a volé la voiture de Lagrand, emmené sa sœur dans la forêt profonde. Dans une scène confuse, elle avorte de l’enfant quel porte. Cet enfant conçu « sans père ». Elle qui avait rêvé de retrouver le seul homme qui avait marqué un intérêt authentique pour elle. « Le Noir », comme elle l’appelle en son for intérieur. Un homme qu’elle avait éconduit alors qu’elle travaillait à l’hôtel à la Croix de Berny, cinq ans auparavant.

Près de vingt ans après

Marie NDiaye, ici dans « Rosie Carpe », nous livre un épilogue à la mesure du livre. Lagrand a épousé une femme qui ne vit que d’exorcismes à repousser les diables qui l’assaillent. Il vit à côté d’elle, sans la toucher. Avec le souvenir de Rosie. Lazare est retourné à Brive-la-Gaillarde après avoir purgé sa peine. Abel a disparu, volatilisé. Il a réussi à échapper à la justice.

Diane, la mère de Rosie, a mis au monde une fille qu’elle a appelé Rose-Marie, redoublant le vrai prénom de Rosie. Rose-Marie est une très belle jeune fille, que sa mère prostitue sans scrupule. (p 392) « Rose Marie est née fille, alors que j’avais espéré un garçon, monsieur Lagrand. Mais je ne le regrette plus. C’est une pure merveille, et qui vaut de l’or. » Ainsi parle de sa seconde fille la mère de Rosie. Le sexe, là encore, est présent sous ses aspects les plus sordides.

Lagrand rencontre Titi par hasard…

Il le voit dans la rue, dans une manifestation d’enseignants. Titi n’est pas mort, les médecins l’ont sauvé. Il est maintenant professeur de mathématique. Et il a accueilli chez lui sa mère Rosie, alors qu’il s’est marié avec Lisbeth, l’ancienne maitresse de son père. Ils élèvent ensemble leurs quatre enfants. Titi a accueilli Rosie, à la condition que personne ne la touche. Ses enfants, sa femme, lui-même, et toute autre personne.

Lagrand débarque chez Titi. Il s’approche et prend le bras de Rosie. C’est bien elle qu’il aime depuis qu’il l’a rencontré il y a 20 ans. Il part avec elle.

La lecture dans « Rosie Carpe » de Marie NDiaye nous laisse sur de multiples interrogations

Des interrogations qui ne touchent pas seulement notre réflexion, mais aussi nos affects les plus profonds.

– Ainsi de l’évocation de la couleur jaune qui court sur tout le récit. Une couleur associée au malheur. Le jaune de l’enfance de Rosie à Brive la Gaillarde. Le jaune d’une voiture qui passe dans la rue, le jaune des robes de Diane, la mère de Rosie…

– Ainsi de l’évocation de la couleur de la peau. Le seul homme que Rosie place dans son imaginaire comme celui qui aurait pu lui apporter l’amour, elle le nomme « le Noir ». Lagrand est un aussi un jeune homme noir. Un Noir bien installé dans la vie sociale. Mais qui cache de moins en moins bien son drame intérieur. Celui d’avoir été rejeté par sa mère comme possédé par des démons.

Les touristes « blancs » qui se sont aventuré au cœur de la forêt tropicale interdite se sentent rassuré de constater que les deux homme hagards, décharnés, en haillons, une machette à la main qu’ils rencontrent… sont blancs. Dans ce pays, la Guadeloupe, où les indigènes sont noirs. C’est ce que Marie NDiaye met dans l’imaginaire de Lagrand quand celui-ci évoque le récit que Lazare lui a fait du massacre qu’il a perpétré avec son acolyte Abel.

– Et puis le sexe, qui court sur tout l’ouvrage, jamais autrement que sordide, marchand, facteur de malheur par les grossesses non désirées qu’il provoque.

– Derrière ces différents plans, il la question maternelle, comme immense source de frustration. Les femmes n’aiment pas leurs enfants, dans ce récit. Du début à la fin, c’est une des clés des drames qui se nouent. Et qui se dénouent dans le sang. Surtout, les femmes n’aiment pas leur fille… ou en font un objet « qui vaut de l’or ».

Enfin, Marie NDiaye nous laisse avec des questionnements sans réponse

Ces questionnements concernent essentiellement le personnage de Lagrand. L’auteure installe, sans en donner la clé, le mystère du lien entre Lazare et Lagrand. Pourquoi ce dernier est-il si attaché à cette loque humaine que devient Lazare ? L’auteure l’explique par le souvenir de l’accueil que sa propre mère avait fait d’un chien errant, sale, décharné. Un chien qu’elle avait recueilli alors qu’elle vivait dans un face à face avec son fils. Avant qu’elle ne rejette violement ce fils, de peur de le tuer.

Pourquoi Lagrand prend il sur ses épaules toutes les fautes de son entourage ? Pourquoi cherche-t-il à compenser leurs défaillances, comme lorsqu’il sauve Titi en l’emmenant à l’hôpital ? Alors qu’il a compris que sa mère souhaite au plus profond d’elle, la mort de cet enfant ?

Lazare, le seul homme qui tient debout socialement, ce bel homme fin, élégant, Noir dans ses habits blancs, prend sur lui toutes les fautes de cette cohorte d’êtres minables, dégradés, aux comportements immondes. Au fond, que nous dit là Marie NDiaye ?

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Marie NDiaye, née en 1967 à Pithiviers dans le Loiret, est une femme de lettres française, ayant notamment remporté le prix Femina en 2001 pour Rosie Carpe et le prix Goncourt en 2009 pour Trois Femmes puissantes. Pour en savoir plus sur Marie NDiaye, voir ==> ICI

Voir aussi la note de lecture de « Trois femmes puissantes » ==> ICI