« Mémoires d’Hadrien » de Marguerite YOURCENAR. Un monument de la littérature, écrit de main de maitre par la première femme à être admise à l’Académie française. Un œuvre érudite. Où les références à l’histoire antique de l’Empereur Hadrien sont légion. En personnages, en lieux, en évènements.

Cet ouvrage parle aussi beaucoup de son auteure. Une femme qui s’appuie sur l’histoire d’un empereur de la Rome antique pour exprimer son positionnement dans le monde. Fait d’un mélange singulier de certitudes, d’humanisme, d’individualisme généreux.

Marguerite Yourcenar a choisi comme nom de plume l’anagramme presque parfait de son nom de famille : Crayencour. Une famille de la noblesse belge dont elle gardera une élocution apprêtée. Mais aussi une écriture précieuse et raffinée. Parfois complexe, toujours riche.

Marguerite Yourcenar aime Hadrien

Derrière le propos d’Hadrien, qui parle à la première personne dans l’ouvrage, on entend la pensée de l’auteure. Mais plus que la pensée. On entend l’amour que Marguerite Yourcenar porte à Hadrien. Comme homme mais aussi comme empereur.

On pense ici à Ahmet Altan, tombé amoureux de l’héroïne de son roman Madame Hayat alors qu’il était détenu. Un personnage totalement imaginaire. Voir ==> ICI

Tandis que Marguerite Yourcenar évoque un personnage historique. En outre, elle est libre. Libre de nous montrer son amour pour cet homme, son héros. Mais aussi pour l’Empereur. Pour son œuvre et derrière son œuvre, pour l’Empire.

Le pouvoir !

Ce milieu qui baigne pour l’essentiel dans la nature méditerranéenne qu’elle décrit en détail, avec une attirance évidente. Pour Marguerite Yourcenar, c’est un émerveillement. Elle qui vient du plat pays des brumes.

Mais c’est sur les enjeux politiques qu’elle porte son attention. Elle nous guide dans les chemins arides de l’accession au pouvoir. En nous parlant de la filiation qui va conduire au poste suprême. Hadrien va-t-il être désigné par Trajan comme son « héritier » politique ? De fait, son successeur comme Empereur ?

Le pouvoir. Luttes et intrigues pour y accéder et s’y maintenir. Confiance et défiance. L’entourage, les flatteurs, les soutiens sincères et fidèles… Les complots et les froides décision d’en éliminer les acteurs. Réflexions encore sur le pouvoir et ses contradictions Sur la puissance. La mort.

L’auteure évoque aussi la frontière insaisissable entre êtres humains et divinités. Composante essentielle de la culture romaine. Hadrien sera déifié après sa mort.

Elle parle des constructions de temples qu’Hadrien sème lors de ses multiples visite du vaste empire.

Le limes de l’Empire

Après le pouvoir, c’est ce qui occupe l’esprit d’Hadrien. Sujets romain en deçà. Barbares au-delà. Et à chaque nouvelle conquête, on transforme des « Barbares » en « Sujets », puisque le limes englobe les populations conquises. Mais c’est un jeu sans fin, puisque de nouveaux Barbares apparaissent de l’autre côté du nouveau tracé du limes.

Hadrien veut faire cesser ce jeu

L’auteure insiste sur l’arrêt des conquêtes et sur la recherche de traités avec les royaumes limitrophes. Une stabilisation du limes qui consolide cet Empire aux frontières fragiles sur ses franges du Nord, vers la Germanie. Mais aussi sur ses franges orientales, vers la Mésopotamie, vers l’Egypte.

Point de récits de batailles pour cet empereur. Mais de multiples questionnements sur les alliances avec les tribus, avec les royaumes qui bordent l’Empire. La révolte des Juifs contre les projets impériaux occupe une place importante dans le texte

L’empereur Hadrien est en perpétuel mouvement

En reprenant les désignations d’aujourd’hui, ces missions le mènent de l’Espagne à l’Angleterre, de l’Allemagne à la Grèce. De la Turquie à l’Egypte. Mais c’est Athènes qu’il chérit. Pour sa culture, ses monuments, ses poètes et philosophes.

« Mémoires d’Hadrien » de Marguerite YOURCENAR couverture du livre

Sur l’amour

Il n’éprouve que peu de sentiment pour son épouse dont il n’aura pas d’enfant. C’est à Antinoüs qu’il porte son amour. Un jeune éphèbe qui le suit, silencieux. Comme un bel animal dominé. Parfois rétif. Mais Yourcenar est discrète sur la relation que noue l’empereur, homme dans la force de l’âge, avec cet adolescent sombre et lointain. On sent cependant la puissance de ce sentiment, qu’elle décrit avec une pudeur extrême.

Antinoüs se suicidera avant d’atteindre 20 ans. Hadrien en sera fortement touché. Mais il reste l’homme de tous les pouvoirs. Cet écart entre la stature de l’Empereur et la sensibilité de l’homme est décrit avec une grande finesse par Yourcenar qui préserve sa part de mystère.

Sur les pratiques de magie

L’auteure décrit l’intérêt que porte Hadrien aux différentes pratiques qu’il rencontre aux quatre coins de l’immense empire qu’il tient sous son pouvoir. Des pratiques les plus douces aux plus cruelles. Selon l’auteure, il s’y intéresse en restant hors du champ des croyances qui soutiennent ces pratiques. Mais c’est elle, l’auteure, qui porte un regard appuyé et distant sur ces gestes lourds de sens qui structurent la vie des populations aussi diverses que possible, que l’Empire rassemble.

La fin de l’ouvrage prépare à la mort du héros

Au prix d’un retour sur soi sans concession, Hadrien chemine vers la mort. Il traine avec dignité sa déchéance physique qui s’accentue. Il redoute et il souhaite l’issue fatale. Ses capacités physiques diminuent. Il garde sa lucidité qu’il met à profit pour l’examen critique de sa vie qu’il déroule dans sa mémoire.

Marguerite Yourcenar nous fait cheminer sur cette voie avec Hadrien Empereur et avec Hadrien l’homme. Bien qu’assuré de sa déification, son angoisse de la mort n’est pas moins présente.

Un immense travail de recherche et de documentation

Au fil de la lecture de l’ouvrage, et plus encore, à celle des notes qui le suivent, on mesure la quantité énorme de connaissances que Marguerite Yourcenar a accumulé pour écrire cet ouvrage. Des connaissances de tous ordres sur la société romaine sous l’Empire. Sur les hommes qui ont porté cet édifice prodigieux d’élaboration politique et juridique.

Les acteurs politiques sont à l’intérieur, ce sont des concurrents potentiels, des amis, ou des complotistes. Ceux de l’extérieur, des alliés potentiels ou des ennemis. Les populations intégrées à l’Empire ne sont pas toujours soumises.

Les connaissances portent également sur les multiples dieux honorés dans les différentes parties de l’Empire. Et sur leur enchevêtrement d’avec les hommes de pouvoir.

Sur les arts, et l’amour de l’Empereur pour les développer. Lui qui réhabilite les temples, fait édifier de nouveaux édifices, crée de nouvelles statues. A commencer par celles d’Antinoüs qui vont fleurir en de mains endroits, suscitant une dévotion religieuse.

La Villa

Hadrien consacre une grande énergie à construire sa villa de Tibur, à quelques lieux de Rome, où il se réfugiera dans les dernières années de sa vie. Après de multiples embellissements au fil des ans, tout au long de son magistère.

Au cours de ses multiples déambulations dans les ruines de la villa, Marguerite Yourcenar nous fait part de ses émotions à mettre ses pas dans ceux d’Hadrien après tant d’autres occupants. (p 445 dans les notes) « Hier, à la Villa, [j’ai] pensé aux milliers de vies silencieuses, furtives comme celles des bêtes, irréfléchies comme celles des plantes, bohémiens du temps de Piranèse, pilleurs de ruines, mendiants, chevriers, paysans logés tant bien que mal dans un coin des décombres, qui se sont succédé entre Hadrien et nous. »

L’érudition pointe

Avec le mot de « sardoine », cette pierre blanche et brune, translucide, dont on faisait de délicates sculptures. Et « taurobole », mot savant pour désigner le sacrifice d’un taureau.

C’est une introduction à la vie romaine que ce texte nous conduit

Il développe notre intérêt pour ce monde complexe et puissant. Et remarquablement documenté par les acteurs et auteurs contemporains de sa gloire. Peu de civilisations ont fourni autant de documents sur leur propre marche !

Ils ont nourri la production de cet étrange récit où les personnalités de l’auteur et de son héros sont parfois difficiles à désintriquer. Mais qui nous livre une œuvre majeure dans sa singularité.

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Marguerite Yourcenar, pseudonyme de Marguerite Cleenewerck de Crayencour, née en 1903 à Bruxelles (Belgique) et morte en 1987 à Bar Harbor dans l’État du Maine (États-Unis), est une femme de lettres et académicienne française (naturalisée américaine en 1947). Elle est la première femme élue membre de l’Académie française en 1980 et la première femme dont l’œuvre est publiée de son vivant dans la Bibliothèque de la Pléiade en 1982.

Romancière, nouvelliste et autobiographe, elle est aussi poète, traductrice, essayiste et critique littéraire. Pour en savoir plus sur l’auteure, voir ==> ICI

Publius Aelius Hadrianus dit Hadrien (Imperator Cæsar Traianus Hadrianus Augustus, en latin), né en 76 à Italica (près de Séville) et mort en 138 à Baïes, est un empereur romain de la dynastie des Antonins. Il succède à Trajan en 117 et règne jusqu’à sa mort en 138.

Empereur lettré, poète et philosophe, il rompt avec la politique expansionniste de son prédécesseur, s’attachant à pacifier et à structurer administrativement l’Empire romain tout en consolidant des frontières parfois poreuses. En 122, il fait bâtir le mur d’Hadrien pour marquer la limite du nord de la Bretagne romaine. Actuelle Angleterre.

Au cours de son règne, il visite quasiment toutes les provinces de l’Empire, encourageant le développement de la culture et subventionnant personnellement plusieurs projets. À Rome, il fait entièrement reconstruire le Panthéon et bâtit le temple de Vénus et de Rome. Fervent admirateur de la Grèce et cherchant à faire d’Athènes la capitale culturelle de l’Empire, il y ordonne la construction de nombreux temples opulents. Sa relation avec le jeune Antinoüs et la mort prématurée de celui-ci conduisent Hadrien à fonder Antinoupolis sur les rives du Nil.

Les dernières années d’Hadrien sont marquées par la maladie. Il vit la révolte de Bar Kokhba comme l’échec de son idéal panhellénique, et fait exécuter plusieurs sénateurs. Ne parvenant pas à avoir d’enfant avec son épouse Sabine, il adopte Antonin le Pieux en 138 et le nomme héritier de l’Empire. Hadrien meurt la même année à Baïes. Antonin le fait postérieurement diviniser malgré l’opposition du Sénat.

Les sources antiques le décrivent comme énigmatique et contradictoire, capable à la fois d’une grande générosité personnelle et d’une extrême cruauté, poussé par une curiosité insatiable ainsi que par une ambition sans limites.


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