Le lien et le droit
Khadija est salariée d’une association dans une petite ville proche de Marrakech. Une ville très éloignée de Taroudant (centre-sud du Maroc) ou est situé le siège de l’association. La distance d’avec le siège a favorisé une grande autonomie dans son travail. Autonomie qui a favorisé des activités sans lien avec son contrat de salariée, au profit d’une autre association qu’elle a elle-même créée.
La direction de l’association intervient pour clarifier la situation, sans s’opposer à cette activité supplémentaire qui témoigne de ses capacités d’initiative. Je viens régulièrement la voir, depuis Marrakech. Elle m’invite chez elle, me présente sa famille.
Le choc de deux systèmes : Khadija entre fidélité et vérité
Au bout de deux ans d’ambiguïté et de refus de rendre compte de son activité, l’association décide de se séparer d’elle après une séance d’explication à laquelle je participe. A la sortie, elle me lance : « Â ! tu ne m’as pas soutenue !». Je lui réponds: « Ai-je dit quelque chose qui était contraire à la vérité? ». L’échange s’arrête là.
Deux espaces d’égale légitimité
Pour Khadija, c’est le lien qui s’est tissé entre elle et moi qui prime. Elle pense que je dois la défendre au nom de ce lien, quel que soient les écarts par rapport à son contrat de salariée dans le différend qui oppose l’institution (l’association) à sa personne. Pour moi, c’est la vérité de son rapport salarial que je souhaite questionner. Et c’est sur ce critère que je vais définir ma position vis-à-vis d’elle, quel que soit le lien que les visites et repas pris en commun ont créé entre elle et moi.
Loyauté versus Légalité
Dans cette situation, nous sommes dans deux imaginaires sociaux différents. Elle dans le lien (entre elle et moi) et donc dans la loyauté, moi dans le droit du contrat salarial, donc dans la légalité. Elle dans un espace où priment les relations interpersonnelles, moi dans un espace où priment les relations impersonnelles.
Aucune discussion rationnelle ne peut combler cette béance. Car il n’y pas d’entendement commun sur l’enjeu du différend. Nous avons rompu le lien de confiance et d’affection interpersonnelle qui s’était noué entre nous.
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Pour en savoir plus sur ce thème, voir « SUD ! Un tout autre regard sur la marche des sociétés du Sud » ==> ICI
Pour une brève présentation de cet ouvrage, voir ==> ICI
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2 Commentaires
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Situation À laquelle nous sommes très souvent exposée dans nos pays du Sud. Toujours délicate à gérer est cette tension permanente entre l’impersonnel et l’interpersonnel qui travaille le lien social et le recompose avec difficultés. D’où les différends et malentendus fréquents. Ce qui peut être considéré comme un « mélange des genres » au nord, n’est manifestement pas appréhendé de la même manière au sud. Nous le savons. Comment, au double plan de la collectivité et des individus, et dans des sociétés qui se sécularisent de fait, gérer cette transition nécessaire entre la subjectivité des rapports sociaux et ses gros avantages en matière de cohésion, et l’objectivité froide de la norme impersonnelle de droit sans l’extension de laquelle le développement demeurera un horizon lointain. La réponse est loin de s’imposer d’elle-même, elle est à imaginer, et sans doute paradoxalement avec une part de subjectivité…
En effet, le Maroc comme tous les pays du Sud, est en période de transition entre deux systèmes de régulations sociales. Nous sommes alors en présence de deux difficultés : celle inhérente à toutes les transitions, avec ses déchirements, ses violences symboliques ou réelles. Et celle qui résulte du fait qu’on ne sait pas vraiment vers quoi la transition nous mènera: la simple application du modèle du Nord ne constitue pas l’horizon, y compris parce que le modèle du Nord (dans sa diversité) est remis en cause au Nord même.