On Jacques Hassoun et le loup-garou. Je me suis lancé dans l’écoute d’émissions sur la sorcellerie dans la collection des « Nuits de France Culture ». Une série de 25 podcasts diffusées pour la première fois en 1974.
Une façon, pour moi, de mieux connaitre la société française dans ses tourments qui l’ont agitée à la fin du Moyen Âge. Le grand Jules Michelet, au milieu du XIX° siècle, a écrit un ouvrage mémorable sur le sujet : « La sorcière »[1]. Un sujet qui a fait des centaines de milliers de victimes. A près de 90% composé de femmes. La thèse de Michelet : c’était un moyen, pour le pouvoir (politique et religieux), de réprimer toute contestation sociale dans les profondeurs de la société, à l’époque à une écrasante majorité rurale.
Une de ces émissions est consacrée au Loup-garou. Une figure centrale dans la France rurale où bourgs et routes étaient assez sûres, mais situées au milieu d’immenses forêts, domaine du règne animal. Où le loup occupait une place majeure, redoutée, terriblement inquiétante dans la réalité de ses attaques mortelles contre villageois et troupeaux. Dans la réalité, et dans les fantasmes. La peur du loup est encore, de nos jours, agitée auprès des petits enfants dans bien des sociétés.
Que vient faire Jacques Hassoun dans cette histoire ? Il est invité à commenter un des 25 épisodes de la série d’émission. Celui consacré au procès d’un jeune garçon qui s’est pris pour un loup-garou. A assumé cette responsabilité. La justice le déclare « sorcier ». Seul son jeune âge l’a écarté du bucher où tout adulte jugé comme « sorcier » par un tribunal était condamné.
Un des innombrables procès en sorcellerie
Au début du XVII° siècle (en 1603) se déroule à Bordeaux le procès d’un adolescent, Jean Grenier, jugé pour lycanthropie [2]. C’est-à-dire pour s’être transformé en loup et avoir agressé des êtres humains. L’accusé revendique ses actes. Il raconte avoir tué et mangé des chiens. Puis s’être attaqué à des bébés et des enfants, dont une jeune fille, âgée de 13 ans. Cette dernière déclare qu’une créature entre loup et homme l’a agressée.

Ces procès sont conduits en dehors de toute rationalité, sous l’impulsion d’un magistrat Pierre de Lancre, obsédé dans sa volonté d’éradiquera un prétendu fléau de sorcellerie qui se serait abattu au Pays basque au tournant du XVII° siècle. Les aveux sont le plus souvent obtenus sous la torture. Une ordalie [3] appliquée à l’endroit des accusés de sorcellerie consistait à leur attacher une pierre lourde aux pieds et de les jeter dans l’eau. S’ils flottaient, c’était qu’ils étaut protégés par Dieu. Et donc n’étaient pas une ou un sorcier. Dans l’autre cas….
Aux cotés de l’historien Jean-Pierre Peter, le psychanalyste Jacques Hassoun apporte des pistes d’interprétation sur cette sombre affaire.
Rencontre autour de la mémoire
Ce qui m’a touché dans cette écoute, c’est la voix de Jacques Hassoun que j’ai brièvement connu autour des années 1994. Magie et trésor des archives radiophoniques ! Il nous a quitté trop tôt, en 1999.
Jacques Hassoun a écrit un livre sur transmission et identité, que j’ai beaucoup apprécié : « Les contrebandiers de la mémoire ». Je m’y suis reconnu. Et en ai fait une note de lecture : Voir ==> ICI
& & &
Jacques Hassoun, né en 1936 à Alexandrie (Égypte) et mort en 1999 à Paris, est un médecin psychiatre français, puis psychanalyste lacanien. Il a développé une théorie de la dépression.
Juif athée, il s’est installé en France en 1954 pour poursuivre ses études. Il devient en 1979 membre de l’École freudienne de Paris. Son travail sur le narcissisme primaire le rapproche de Lacan. Il cofonde en 1979 l’Association pour la sauvegarde du patrimoine culturel des Juifs d’Égypte (ASPCJE). Pour en savoir plus sur Jacques Hassoun, voir ==> ICI
[1] La Sorcière est un essai de Jules Michelet publié en 1862 à Paris, qui présente une vision romantique de la sorcière. Dans ses précédents ouvrages, l’auteur avait flétri la sorcellerie, qu’il définissait comme « la reprise de l’orgie païenne par le peuple ». Dans ce livre, il considère au contraire la sorcellerie comme la révolte populaire et naïve de la nature humaine contre les épouvantes et les oppressions du Moyen Âge.
Il voit une première manifestation moderne de cet esprit de la nature qui avait enfanté le paganisme grec et qui devait produire la Renaissance. Il explique l’origine pathologique de l’hallucination, par laquelle tant de malheureuses s’imaginaient que Satan habitait réellement en elles, et leur prêtait une puissance extraordinaire. Michelet va jusqu’à montrer, dans les bizarres mystères célébrés en l’honneur de Satan sous le nom de messes noires, un des éléments qui ont contribué au réveil des sciences et de la philosophie.
Dans ce livre, Michelet évoque l’Inquisition en utilisant notamment comme sources l’Histoire critique de l’Inquisition d’Espagne de Juan Antonio Llorente (1817-1818) et l’Histoire de l’Inquisition en France d’Étienne-Léon de Lamothe-Langon (1829). Deux ouvrages dont les historiens actuels mettent en doute l’authenticité historique. Comme d’ailleurs le travail de Michelet dans son ensemble.
[2] Le terme de lycanthropie dérive du grec lukanthrôpos qui signifie homme loup. Plus connue du grand public sous le nom de loup-garou, la lycanthropie désigne la croyance selon laquelle la métamorphose d’un homme en loup serait possible. De telles croyances sont anciennes puisque remontant à la période antique. Elles ont également conduit à d’innombrables procès en Europe à la fin du XVIe siècle. Cette période voit en effet une véritable épidémie de lycanthropie, combattue avec force par certains juges zélés de l’Inquisition.
Mais la lycanthropie désigne également un trouble mental durant lequel l’individu a la conviction délirante d’être changé en loup. Très tôt ce trouble a été associé à la mélancolie, pour être ensuite rattaché à la manie ou folie agitée. C’est, au début du XXe siècle, un symptôme clinique que l’on peut observer dans de nombreux troubles mentaux et organiques. Aujourd’hui encore la littérature internationale rapporte l’observation de plusieurs cas cliniques intéressants.
Lycanthropie et mythologie. La possibilité d’une métamorphose d’un être humain en animal est une croyance ancienne. L’Ancien Testament en fait une première mention. Il s’agit du mythe du roi Nabuchodonosor, qui fut transformé en bœuf pendant 7 ans. Il est intéressant de noter que cette métamorphose survient dans les suites immédiates d’un état dépressif. Ce qui souligne la relation très précocement établie entre zoomorphisme et maladie mentale. Source : Wikipédia.
[3] L’ordalie, ou « jugement de Dieu », était une forme de révélation de la preuve à caractère religieux, issue des coutumes franques mais probablement aussi de l’Ancien Testament. Elle consistait à soumettre un suspect à une épreuve, douloureuse voire potentiellement mortelle. Son issue, prétendument déterminée par une divinité ou Dieu lui-même, permettait de conclure à la culpabilité ou à l’innocence dudit suspect.
On pratiquait l’ordalie en Occident surtout au début du Moyen Âge. Si l’accusé était innocent, Dieu, qui le savait, l’aidait à surmonter l’épreuve. L’Eglise finalement condamna cette pratique. D’après Wikipédia.




