« Ernest COLE » film de Raoul PECK (critique de film). Ce remarquable documentaire nous fait découvrir un photographe d’un grand talent. Ernest Cole, né dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, capte les images d’hommes, de femmes, qui témoignent par leur regard, leur attitude, de la violence qui prévalait alors. On pense, aujourd’hui, aux hommes, aux femmes de Gaza qui subissent une violence qu’une intention exterminatrice rend encore plus insoutenable. La déshumanisation des dominants est bien à l’œuvre dans ces deux situations d’horreur.

Photographie d'Ernest Cole.
La ségrégation institutionnalisée. Ph Ernest Cole.

Ernest Cole est dedans et dehors la violence qui s’est abattue sur son pays de 1948 à 1994 [1]. Dedans parce qu’il vit la condition des noirs déshumanisés. Il en connait la peur, les risques, les humiliations, les dangers. Le mépris institutionnalisé. Dehors parce qu’il met son appareil photo en regard de ce système à l’œuvre sur des êtres humains.

Violence dans les township

CE système, Cole veut en montrer, par l’image, la violence. Une succession de photos d’une grande intensité. Des regards, des attitudes, des jeux d’acteurs dans ce pays ravagé par la brutalité des tenants du pouvoir. Comme une colonisation « au carré² ».

Départ pour les Etats Unis

Il veut échapper à ce système. Il part pour les Etats Unis. A New York, il photographie longuement les couples mixtes. En Afrique du Sud sous l’apartheid, la loi punit comme crime un tel comportement.

[JOA : un souvenir se ravive en ma mémoire. J’avais rencontré à Munich, en 1965, deux jeunes Américaines. L’une Noire, l’autre Blanche. Leurs noms m’échappent aujourd’hui. La première était à la recherche d’un ouvrage de Leroy Gourhan [2] sur la préhistoire. C’était un dimanche matin, son avion décollait d’Orly pour les Etats Unis tôt le lendemain.

Nous avons arpenté le Quartier Latin à la recherche de cet ouvrage… Et l’avons finalement trouvé chez un bouquiniste en haut du Boulevard St Michel. Nous nous promenions bras dessus bras dessous. Et elle me disait qu’elle était tellement heureuse de se promener ainsi avec moi dans la rue. Que cette attitude était impossible aux Etats Unis, même à New York d’où elle venait. Je n’étais pas peu fier de ces moments ainsi partagés avec elle.]

Mais…

… Ernest Cole retrouve aux Etats Unis une violence comparable à celle qu’il a connue dans son pays natal. Non pas dans les lois (la lutte pour les droits civiques s’est mise en marche), mais dans les esprits. Dans les imaginaires. Dans les regards. Voir sur ce vaste sujet, l’ouvrage d’Ayana Mathis « Les égarés » ==> ICI

Là encore, Ernest Cole capte par l’image ces regards. Regards de Blancs chargés de mépris, de haine. Mais aussi de peur. Peur des Noirs. Voir l’ouvrage de Sylvie Laurent « Pauvre petit blanc » ==> ICI

Ernest Cole ne parvient pas à faire reconnaitre son travail

Il est Noir. Il photographie la violence faite aux Noirs. Sous l’apartheid de l’Afrique du Sud. Mais aussi dans le Sud des Etats-Unis où ses photos rappellent (étrangement ?) les premières. C’est sur ce point que s’accroche la critique de ceux qui font et défont les réputations des photographes auprès des grands journaux, des grands magazines. Tout à l’opposé d’Henri Cartier-Bresson qui a connu aux Etats Unis une reconnaissance fulgurante, dès ses premières années de photographe. (voir ==> ICI)

Ernest Cole mène une vie de plus en plus marginale. Dans un grand dénuement. Son pays natal lui manque. Terriblement. Mais il ne peut pas rentrer sous le régime d’apartheid. Celui-ci prendra fin en 1994, quatre années après sa mort. Il erre dans les rues de New York. Un séjour en Suède ne parvient pas à l’apaiser.

« Ernest COLE » film de Raoul PECK (affiche du film à Paris)

Découverte en 2017 de 60.000 négatifs d’Ernest Cole dans les coffres d’une banque suédoise

Oubliés ? Perdus ? La banque refuse de donner les informations qui permettraient de retrouver des indices sur ce trésor caché pendant deux décennies. Qui a déposé ces clichés ? Qui a ou aurait payé la location du coffre ? La banque reste muette là-dessus. Le désir d’un donateur voulant rester anonyme ? Une autre piste ?

Raoul Peck sait nous faire partager ces émotions

La violence de l’apartheid, mais aussi l’immense joie de la libération en 1994. De la fin de ce système atroce. La lutte contre le régime de ségrégation était juste. La joie des premiers moments était juste.

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Ernest Cole, né en 1940 à Eersterust (Afrique du Sud) et mort en 1990 à New York, est un photographe sud-africain. Il est l’un des premiers photographes noirs ayant documenté l’apartheid en Afrique du Sud.

Photographie d’Ernest Cole . Pancartes ségrégationnistes dans une gare d’Afrique du Sud.

Il trouve un travail comme photographe pour les journaux Drum magazine et Bantu World.

En 1950, Cole réussit à déjouer les autorités sud-africaines en étant classé en tant que « coloured » (plutôt que « black »), ce qui lui permet d’accéder à des lieux interdits à la plupart des Sud-Africains. Il peut partir pour New York en 1966 et y publie un livre avec l’aide de Magnum Photos contenant ses clichés témoignant de l’apartheid. Il est alors banni d’Afrique du Sud, et s’exile aux États-Unis (Wikipédia).

Pour en savoir plus, voir ==> ICI 

Raoul Peck, né en 1953 à Port-au-Prince (Haïti), est un réalisateur de cinéma, personnel académique, homme politique, cinéaste, réalisateur, producteur de cinéma, militant pour les droits de la personne humaine, journaliste, scénariste, ministre de la Culture

Nommé en 2017 pour l’Oscar du meilleur documentaire pour I Am Not Your Negro, il a notamment réalisé Lumumba, un film inspiré de l’histoire de Patrice Lumumba et son rôle dans l’indépendance de la République démocratique du Congo, ainsi que Le Jeune Karl Marx, un film retraçant la jeunesse de Karl Marx et Friedrich Engels en Allemagne, à Paris et à Londres.

Il a également été ministre de la Culture de la République d’Haïti de 1995 à 19974.

En 1961, son père, ingénieur agronome, choisit de s’éloigner du pays et fait partie du premier contingent de professeurs haïtiens recrutés pour la République démocratique du Congo, dans l’idée que des « Noirs parlant français » seraient plus appropriés pour remplacer les cadres belges qui avaient fui le désastre d’une décolonisation ratée (Wikipédia).

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[1] L’histoire de l’Afrique du Sud de 1948 à 1994 est marquée par la mise en place puis par le démantèlement de la politique d’apartheid. Successivement nommée union d’Afrique du Sud puis république d’Afrique du Sud à partir de 1961, le pays connaît, durant cette période, un système de ségrégation raciale institutionnalisée. Trois ans de négociations constitutionnelles, à partir de 1991, entre le gouvernement sud-africain du parti national dominé par les Afrikaners et les Partis anti-apartheid sont nécessaires pour que la démocratie représentative, que connaissait la minorité blanche soit étendue, en 1994, à la majorité noire de la population sud-africaine et que le premier président noir d’Afrique du Sud, Nelson Mandela, soit élu via des élections au suffrage universel.

[2] André Leroi-Gourhan, né en 1911 à Paris et mort le 19 février 1986 à Paris2, est un ethnologue, archéologue et préhistorien français. C’est aussi un penseur des techniques et de la culture, qui cherche à allier précision scientifique et concepts philosophiques (Wikipédia).