Covid-19 – Confinement et Précarité au Sud (suite 2). Nous cherchons à recueillir et partager des informations sur les façons dont les sociétés du Sud réagissent face à la pandémie et aux mesures de confinement adoptées par les autorités. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous présentons les informations que nous recueillons dans notre entourage personnel et au travers des actions de l’ONG « Migrations & Développement » (M&D) [1] au Maroc et dans la diaspora marocaine dans le monde. Plus exactement, au Maroc, dans la région du Souss Massa, en zones rurales et urbaines. Et dans la diaspora majoritairement présente en France.

 

Nous partagerons ces informations sur ce site le plus régulièrement possible. Le 1er « épisode » a été publié le 27 mars 2020 voir ==> ICI

 

Pour ce 2° épisode, les échos de solidarité viennent du monde rural. Sur les témoignages recueillis, on constate une mobilisation forte et très rapide des organisations de la société civile, avec un fort engagement des jeunes. Et une bonne coordination avec les autorités. Les émigrés des villages concernés sont souvent mobilisés.

 

• Témoignage de Saadia, infirmière en France dans un établissement de santé mentale pour jeunes

 

Saadia mène depuis 11 ans des actions de solidarité avec le village d’origine de son père dans l’Atlas marocain, à travers une association créée en France. Des actions en direction des femmes portant principalement sur la santé.

Voir l’action de Saadia dans le village d’origine ==> ICI

 

« Avant la décision de confinement prise par les autorités marocaines, les gens du village m’ont appelé pour demande de mes nouvelles, alors que la pandémie était déjà installée en France. Quand les villageois ont sentis que le Maroc pouvait être concerné, ils n’ont pas hésité à me solliciter et à échanger avec moi pour des informations ou renseignements. J’ai pu ainsi partager avec eux les explications sur le pourquoi et le comment des mesures de précaution contre le virus. Depuis, je suis en lien direct et quotidien avec les habitants de mon village.

 

Les jeunes s’engagent dans le village

 

Les jeunes du village veillent sur le confinement des habitants. Ils s’occupent de l’approvisionnement car le souk hebdomadaire a été fermé. Un commerçant en fruits et légumes monte une fois par semaine au village. Une personne par maison vient acheter légumes et fruits. Pour la viande, les jeunes prennent les commandes des familles. Ils constituent les paniers et les déposent devant les maisons.

 

Le travail dans les champs

Les femmes partent travailler au champ 2 par 2, les unes le matin, les autres l’après-midi. |Une bonne partie des hommes est partie à Casablanca, Marrakech ou Agadir pour travailler]

 

 

Les urbains qui reviennent au village ?

Les jeunes ont demandé à ceux du village qui sont partis travailler à Agadir ou à Casablanca de ne pas revenir au village de peur qu’ils ramènent avec eux le virus.

 

La confiance. Les jeunes du village s’assurent que tout marche bien. La confiance qu’on a construit depuis 11 ans se manifeste dans nos échanges et dans cette prise en charge par les villageois de leur protection vis-à-vis du virus. »

 

Et en France, comment cela se passe ?

 

« J’ai été arrêtée bien avant le confinement pour raisons médicales. Je suis en arrêt maladie. Je passe mon temps au téléphone pour faire du soutien psychologique auprès de mes collègues qui sont au travail. Les jeunes confinés dans l’établissement sont très agités. Il y a beaucoup de passages à l’acte. Y compris violents contre le personnel de l’établissement. Je reste donc en contact quotidien également avec mon milieu de travail. Je fais le maximum. »

 

Témoignage de Zaïna professeur à Paris, originaire d’un village dans l’Atlas marocain

 

« Dans les six hameaux de mon village, une grande partie de la population a peu de moyens et dépend de l’argent transféré par les émigrés, en majorité de l’intérieur (Casablanca, Agadir…). Cette année est une année de sécheresse. Cela renforce la précarité des familles.

 

Aujourd’hui, ces familles font face avec courage et pudeur à la menace du coronavirus, au confinement et au renchérissement du coût de la vie en raison de la fermeture des souks hebdomadaires ‘bon marché’. Le retour massif des journaliers fuyant les villes sans indemnités ni épargne et revenant au village prive les villageois d’une aide financière vitale. Et augmente les besoins de la population, les besoins essentiels.

 

Confinement et Précarité au Sud Atlas et Anti Atlas marocains
Des villages perchés dans la montagne de l’Atlas. Au premier plan, l’ancien grenier fortifié du village, qu’on appelle « agadir »

 

Une cagnotte de solidarité

 

J’ai mis en place une chaîne de solidarité pour alimenter une cagnotte. Je compte demander de l’aide à mon entourage amical et professionnel. L’argent sera envoyé là-bas. Mon représentant sur place que je connais personnellement et dont je me porte garante répartira équitablement les produits aux familles les plus démunies selon leur taille respective. Je m’engage solennellement à suivre la gestion de la cagnotte et à en rendre compte aux généreux donateurs. »

 

• Commune au flanc du Mont Sirwa (Province de Ouarzazate)

 

Témoignage de M. migrant retraité qui a dû rester dans son village d’origine alors qu’il devait rentrer en France

 

« Avant le confinement, il y a eu une campagne de sensibilisation par les autorités avec la participation des associations du village. Les habitants ont très bien compris la mesure.

 

Comment fonctionnent les transports ?

 

Les transports interurbains par car ont été interrompus par les autorités. Il reste les Grands taxis qui ne peuvent prendre que 3 personnes au lieu de 6. Et qui doivent désinfecter la voiture régulièrement.

 

On craint la contagion par les personnes qui reviennent des grandes villes ou de l’étranger et qui remontent dans les villages. Ceux qui sont remontés avant le blocage des transports restent chez eux pendant 14 jours. Dans le rural, le confinement demandé par les autorités est très bien respecté par les populations. Tout le monde joue le jeu.

 

Et l’approvisionnement ?

 

Dans les villages de la Commune, les épiceries continuent d’être approvisionnées. Et les autorités contrôlent les prix pour éviter une flambée et des pénuries artificielles. Les grands souks hebdomadaires sont fermés. Mais il reste des petits marchés, avec peu de vendeurs et peu d’acheteurs. Jusqu’à maintenant, on trouve tous les fruits et légumes, avec des prix raisonnables.

 

Le soutien des autorités auprès des familles pauvres

 

Les autorités ont organisé la distributions de paniers (avec farine, sucre, thé, huile, c’est « un panier standard » pour tout le Maroc) aux familles nécessiteuses des villages de la Commune. C’est le Cheikh de chaque village qui est chargé d’identifier ces familles pour que personne ne reste dans la difficulté. Mais celles-ci ne se déclarent pas. Par pudeur. Il faut aller leur proposer l’aide.

 

On est tous d’accord pour que ce soit l’Administration [qui dépend du Ministère de l’Intérieur] qui fasse la distribution. C’est tant mieux. Cela évite les bavardages inutiles.

 

Et pour l’électricité ?

 

Pour payer l’électricité [qu’on paye en rechargeant une carte], l’Association villageoise récupère les cartes. A tour de rôle, on va à la ville voisine en voiture pour recharger toutes les cartes du village. On s’inquiète de la situation de chacun pour que personne ne connaisse une coupure d’électricité !

 

Toutes les écoles, toutes les mosquées sont fermées

Mais le muezzin continue de faire les appels à la prière. On fait la prière à la maison. C’est tout à fait normal.

 

Et comment fonctionne l’éducation ? Les instituteurs ont mis en place des cours sur WhatsApp. Ça a l’air de marcher. Il y a aussi des cours à la télévision nationale (Chaîne 4). On essaye de les faire suivre par les enfants et les jeunes.

 

Le travail agricole ?

 

Ce n’est pas très important. Mais le travail continue. On évite les attroupements, les contacts. On fait du fourrage pour les animaux, un peu de légumes. Mais on ne fait plus d’orge comme avant. On n’a plus de grands troupeaux. Juste une vache pour le lait de la famille. Ici, l’agriculture ne paye pas. Les jeunes préfèrent aller à la ville pour trouver du travail. Les femmes continuent de faire des tapis à la maison. Mais c’est un travail très peu payé. Les villageois qui sont partis en ville ou en Europe envoient de l’argent.

 

La sécheresse. Nous sommes dans une année très difficile. Il y a la sécheresse. L’an dernier, l’Etat a financé le creusement d’un puits. Mais le raccordement au réseau est retardé parce qu’il faut changer le réseau. Celui qu’on a est ancien et trop faible. Il ne supportera pas la pression du nouveau puits. Pour l’instant, les travaux sont arrêtés.

 

Quelle action pour ton Association ?

 

Notre association agit à sa mesure. Mais pour l’instant, elle observe l’action de l’Administration. Et elle se prépare à agir plus en solidarité si le confinement dure longtemps. D’autant que le Ramadan arrive bientôt [il devrait commencer autour du 23 avril]. Pour l’instant, on n’a pas mobilisé les migrants du village pour un soutien financier. On se prépare pour le cas où le confinement durerait longtemps.

 

Ce que l’on peut espérer après la pandémie ?

 

Que le mental des gens change. Que l’égoïsme diminue. La solidarité, c’est important ! Pour l’instant, les autorités ont bien réagi. Et elles ont agi très vite, c’est positif.

 

• A Taliouine les jeunes organisent la solidarité

 

Les jeunes du Forum Initiatives Jeunesse (FIJ) ont organisé une collecte auprès des familles dans tous les quartiers de la petite ville de Taliouine (Province de Taroudant) sur la route nationale qui va d’Agadir sur l’Océan à Ouarzazate. C’est à Taliouine que se situe le souk chaque lundi, qui est fermé depuis les mesures de confinement prises par les autorités.

 

L’Association Algou et l’Association des Jeunes d’Imgoun (Commune de Tassousfi) ont collecté auprès des habitants et des migrants, respectivement 30.000 DH (2.800 €) et 23.000 DH (2.200 €). Avec ces sommes, ils confectionnent régulièrement des « paniers » de nourriture pour les distribuer aux familles pauvres de leurs villages.

 

D’autres associations se coordonnent avec les autorités et les commerçants pour apporter les approvisionnements jusqu’aux villages dans un rayon de 15 à 20 km. Elles organisent les achats et distribution en respectant les règles de distance sociale.

 

Revalorisation des Associations Villageoises

 

Ces actions valorisent fortement le rôle des Associations villageoises qui étaient nées il y a 30 ans pour mener des actions de construction de petites infrastructures collectives (électrification[2], adduction d’eau potable, irrigation, retenues collinaires…) avec le soutien des migrants du village. Avec le ralentissement des actions au niveau villageois, les Associations villageoises ont perdu de leur importance. La situation présente les remobilise sur des enjeux de solidarité, en lien le plus souvent avec les migrants (de l’intérieur et à l’international) issus de leur village.

 

Des politiques publiques « par le bas » dans le domaine social

 

Plus généralement, l’association M&D va soutenir ces mobilisations prises dans l’urgence, afin de mettre l’accent sur les politiques sociales, au niveau communal (une Commune regroupe de 30 à 60 villages). C’est, en quelque sorte, un champ de politiques publiques qui pourrait se construire « par le bas » en prolongeant les démarches mises en œuvre dans cette période de confinement.

 

Les « BAOM »

 

M&D a déjà expérimenté cette démarche d’amorce de politique publique « par le bas » avec la création des Bureaux d’Accueil et d’Orientation des Migrants (BAOM) créés au sein de Communes ayant une forte diaspora. Ces BAOM sont animés par des agents communaux et sont chargés d’aider les migrants retraités et ayant droits à transférer leurs droits acquis dans l’émigration (en France notamment). Mais aussi de soutenir les démarches administratives des migrants au niveau local, lors de leur retour temporaire ou définitif au Maroc.

 

• Une coopérative agricole aussi s’investit dans la solidarité

 

Dans la Commune d’Agadir Melloul (Province de Taroudant), la Coopérative Ounzine du Safran, regroupant des agriculteurs de 12 villages, a mis en place un dispositif de soutien ciblant les familles démunies dans les villages concernés.

 

• L’agro-écologie sous confinement

 

L’association M&D mène des actions pilote de formation à l’agroécologie avec « Terre & Humanisme » sur deux terrains.

 

– L’un se situe près de la ville de Tiznit, dans la Commune d’Arbâa Sahel. Avec une activité tournée vers le maraîchage. Une Ferme pédagogique, des formations agroécologiques dans les villages. Notamment avec un groupe de « femmes semencières ». Les formations sont interrompues actuellement pour cause de confinement, mais le travail dans les champs continue.

 

Confinement et Précarité au Sud dans le rural - l'agro-écologie de la Ferme pédagogique et Femmes semencières
Commune d’Arbâa Sahel, Province de Tiznit. Ferme Pédagogique et Serre des Femmes semencières

 

Cependant, la Ferme pédagogique vend l’essentiel de sa production de légumes à la Dar Taleb (internat rural pour collégiens et collégiennes) de la Commune. Comme le collège est fermé, la Ferme vend actuellement dans le chef-lieu de la Commune et les villages alentours pour s’adapter à la situation actuelle.

 

– L’autre terrain se situe dans plusieurs villages du Mont Sirwa. A l’articulation entre Atlas et Anti-Atlas, entre Taliouine et Tazenakht. Sur cette zone montagneuse, les cultures vont commencer avec le printemps. Les villageois et villageoises iront travailler dans les champs en s’organisant pour respecter les consignes nationales. Nous n’avons pas encore d’informations précises sur ce point.

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[1] L’ONG Migrations & Développement a été créée en 1986 par des migrants marocains vivant et travaillant dans le sud de la France. Je suis engagé dans M&D depuis 2003. Voir le site de l’ONG ==> ICI

 

[2] M&D s’est construite autour de ces petits équipement collectifs villageois soutenues par les migrants du village présents en France. Les premières opérations ont porté sur l’électrification villageoise autonome (à partir de groupes électrogènes). Depuis 2005, l’opérateur national, l’ONE, a couvert presque tous les villages de la région et M&D ne mène plus d’opération d’électrification villageoise. Elle a réussi à mobiliser les acteurs nationaux pour ce faire.

 

Dans l’espace rural, M&D déploie désormais ses actions sur d’autres terrains. Adduction d’eau potable et assainissement, appui aux Communes rurales pour élaborer les Plans communaux de Développement, formation à l’agroécologie etc…