Brève histoire de la Direction de la Prévision et comment elle a été alignée sur l’idéologie libérale, avant d’être fondue dans le Trésor
Au milieu des années 60, le Ministère de l’Economie s’est doté d’une direction d’études, la Direction de la Prévision qui a très vite conquis un grand prestige intellectuel. La « DP » était une particularité française : une direction maîtresse de ses sujets, c’est-à-dire indépendante de la toute puissante Direction du Trésor.
La DP constituait un intellectuel collectif très fécond
Un collectif presque exclusivement composé d’économistes de gauche dans toutes les variantes de l’après mai 68, mettant son intelligence au service de ministres de droite dans une déontologie rigoureuse. Le sérieux reconnu des études et des prévisions relevait de l’intérêt général, par delà la couleur politique du ministre à qui elles étaient destinées. C’est cette fiction qui a fait travailler ces économistes avec rigueur, inventivité, dévouement, loyauté. Les ministres d’alors appréciaient la qualité de ses travaux. Leurs auteurs pensaient que la « science économique » les protégeait des récupérations et pressions politiques. Quelle naïveté !
Au tournant des années 70, le pouvoir politique de droite a décidé de liquider ce bouillon de culture de gauche
La pensée libérale allait devenir dominante, il n’était plus question de laisser ces économistes avoir le poids qu’ils avaient pris dans l’édifice intellectuel de l’Etat. Le pouvoir a fait venir de l’Université américaine un économiste « monétariste » adepte de l’Ecole de Chicago, Jacques Melitz, chargé de soutenir la doxa libérale face aux économistes de gauche. Ceux-ci ont été invités à quitter la DP pour l’Université, la recherche.
Une reprise en main de la pensée économique
Le ministère de l’Economie a ainsi repris la contrôle de cette direction d’études, pour l’aligner sur la pensée dominante, l’économie néo-classique. Celle-ci allait prendre le pouvoir sur les esprits pour plusieurs décennies, servant de justification « scientifique » aux ruptures d’avec le régime de croissance de l’après guerre en France (et ailleurs). Ce régime des Trente Glorieuses était en effet marqué par un couplage de la croissance de la productivité et de celle des salaires réels (ce qui signifiait un partage plutôt équitable des fruits de la croissance). Le triomphe de l’idéologie libérale a permis la rupture de ce couplage, amorçant la montée des inégalités.
J’AI SUPPRIME ICI UN GRAPHIQUE TIRE D’UNE PUBLICATION D’ATTAC MONTRANT LA DIVERGENCE, A PARTIR DE 1980, ENTRE CROISSANCE DES SALAIRES ET DE LA PRODUCTIVITÉ, CAR CE GRAPHIQUE REPRÉSENTAIT LES ÉVOLUTIONS AUX USA. CELA RESTE VALABLE POUR LA FRANCE. VOIR MICHEL AGLIETTA, DANS LA DERNIÈRE PUBLICATION DU CEPII. http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/livre/abstract.asp?NoDoc=11321
Ce triomphe a soutenu idéologiquement les grandes réformes libérales qui ont façonné la société depuis
Recul de l’Etat, privatisations, libre-échange, dérégulation financière, indépendance de la Banque Centrale et monopole de la création monétaire confiée aux banques privées… bref, tout ce qui a formaté notre modèle de croissance d’aujourd’hui, dans le cadre européen et mondialisé. Partout dans le monde, ce modèle a accéléré la marchandisation des sociétés, précarisé le contrat salarial, et surtout, accru les inégalités au profit d’oligarchies mondialisées. Celles ci s’exonèrent en outre de leurs devoirs fiscaux vis-à-vis des Etats (évasion fiscale). Elles le font en toute légalité puisque elles ont capturé les Etats (« State Capture ») pour façonner les lois à leur profit.
Depuis 2000, un autre découplage
Un découplage entre croissance économique et croissance de l’emploi, accentuant encore la montée des inégalités. D’où la montée du chômage et des activités non salariés (souvent informelles et non protégées) partout dans le monde. L’ubérisation en est la forme emblématique. Ce découplage s’est approfondi après la crise financière de 2007-2008, provoquée par les dérives du système financier qui ont mis au chômage des dizaines de millions de personnes dans le monde. Le renflouement par les Etats des banques privées (selon le principe libéral de « socialisation des pertes et de privatisation des bénéfices ») a accru la dette publique. Cet accroissement de la dette a donné aux politiciens de droite (social-démocratie comprise) des arguments pour diminuer l’engagement protecteur de l’Etat, et faire payer la note aux classes moyennes et populaires par un impôt de moins en moins redistributif .
En France, le pouvoir amplifie ce mouvement depuis 2017
En reportant sur les retraités et les classes moyennes déclassées par la mondialisation, les libéralités fiscales accordées aux plus riches. L’argument de l’excès de dette public fait encore recette ! En l’utilisant ainsi sur les enjeux écologiques, le pouvoir risque de dresser contre la protection de l’environnement ces classes perdantes de la mondialisation : « Fin du mois » pour les uns, contre « fin du monde » pour les autres ?
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