« La terre est une orange amère » Poèmes d’Abdellatif LAÂBI. Une série de cours textes sur les impressions du poète dans plusieurs situations de vie quotidienne. Des souvenirs émergent. L’expérience carcérale. Le séjour à l’hôpital. Des méditations sur son parcours. Ses espoirs, ses croyances. Sa colère. Ses déceptions. Ses désespoirs. La guerre en Ukraine. La vieillesse. Le vide du ciel… Un enchainement de récits composés d’une écriture simple, sans emphase. Le choix de la langue française.
Quoi de mieux que de laisser le lecteur apprécier quelques extraits ces œuvres ?
D’où vient la haine ?
(…) qui a fermé à double tour la porte derrière laquelle se tiennent terrorisés
le doute le regret la compassion le pardon
qui frappent et frappent à cette porte
jusqu’à ne plus comprendre pourquoi
et s’arrêtent convertis au désespoir
Dans la cave
l’enfant explique à son nounours ce qu’est la guerre
le nounours ne comprend pas tout mais il est rassuré
et ses yeux se ferment
malgré le bruit des explosions
Guernica
(…) multiplié par combien ?
dix ? cent ?
combien de Picassos faudrait il pour que les villages et les villes martyrs
déposent leur braise dans nos consciences
et par le force tranquille de l’art
s’incrustent définitivement dans nos mémoires ?
[JOA : je pense au martyr de la population de Gaza]
Le ciel est vide
(…) nous le savons au fond de nous-mêmes
puisque nous nous échinons depuis la nuit des temps
à le remplir du bric à brac de nos misères
nos hallucinations, nos idées tordues
nos peurs incurables
et nos sacrifices sanglants
Flashs
(…) je me vois
ayant perdu la raison
courant tout nu dans la ville dévastée
et pour en finir
me jetant
avec un grand éclat de rire
dans une fosse commune
Rions !
(…) de nos larmes
nos lamentations, nos bourreaux en fin d’exercice
nos rêves qui ne survivent pas la nuit
notre chemin qui se perd en chemin
nos tunnels sans la fameuse lumière
au bout.
Méditations agitées
(…) Si je n’avais pas connu la prison
je n’aurai vécu de l’amour
que ce qu’en vivent les personnages de roman
(…) Ciel gris
Un rayon de soleil
perce vaillamment les nuages
Quelqu’un est il en train de penser à moi ?
(…) Les bourgeons du magnolia
(que j’ai souvent évoqué dans mes écrits)
commencent à percer
La fin du monde n’est pas pour demain
Rage
Beaucoup de mes questions ont vieilli
ou du moins pris du plomb dans l’aile
mais ma rage
celle des débuts
quand j’ai pris la parole pour ne plus la lâcher
cette rage là
elle est restée intacte
« La terre est une orange amère »
& & &
Abdellatif Laâbi, né à Fès en 1942, est un poète, écrivain et traducteur marocain. Il a fondé en 1966 la revue Souffles qui jouera un rôle considérable dans le renouvellement culturel au Maghreb. Son combat lui vaut d’être emprisonné de 1972 à 1980. Il s’est exilé en France en 1985.
Il reçoit le prix Goncourt de la poésie le 1er décembre 2009 et le grand prix de la francophonie de l’Académie française en 2011 (d’après Wikipédia). Pour en savoir plus, voir ==> ICI
Certains de ces extraits nous plongent dans l’atmosphères des haïkus. Voir ==> ICI